Chapitre 7 : Blessée et aguerrie 2/4
POINT DE VUE LAUR'
Je ne sais pas du tout où je suis. Plongée dans l'obscurité totale, je reprends possession de mon corps qui me paraît broyé. Je touche mon visage, mes doigts sillonnent ma peau qui semble tuméfiée. L'un de mes sourcils a souffert, je sens un point de suture à travers le pansement que l'on m'a appliqué. Je découvre mon abdomen oppressé par un bandage en tissu, et je devine dès lors que la blessure la plus importante est à cet endroit. Mon pouce révèle de multiples contusions éparpillées sur pratiquement chaque parcelle de mon anatomie.
Je ne suis pas au dortoir car le lit est plus grand et l'odeur m'est inconnue. Quelqu'un respire à côté de moi, son souffle est bruyant, la personne dort sans aucun doute. Je commence à paniquer, à m'agiter. Je ne comprends pas pourquoi je suis blessée, je ne sais même pas où je me trouve.
Soudain, en piochant dans ma mémoire, je me souviens de ce qui m'est arrivé. Plusieurs personnes se sont acharnées sur moi, j'ai tenté de me défendre. J'aurais dû mourir, je ne comprends rien du tout. Mais où suis-je ?! Il y a une aiguille dans ma main, elle me fait mal. Je crains que l'on m'ait enlevé, que l'on prévoit de me torturer et de me tuer dans la pire des souffrances. Ma respiration commence à s'emballer et les larmes dévalent mes joues. J'essaie de me lever mais je perds équilibre et tombe violemment. J'ai réveillé la personne qui partage la pièce avec moi, je me recroqueville sur moi-même pour me protéger. La lumière s'allume presque automatique et quelqu'un me pose sur le lit. Éric ? Lui ?
- Laur' ? ... Ça va aller. C'est fini.
Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il me dit. Je n'arrive plus du tout à respirer, je suis en train de faire une crise de panique. J'aimerais savoir ce qu'il m'est arrivé et pourquoi je suis ici, dans ce vaste appartement qui m'est inconnu.
- Calmes-toi. Tu es en sécurité maintenant. Respire en prenant de grandes inspirations. Me dit Éric en m'invitant à suivre sa respiration.
Je suis assise au bord de son lit, les mains encrées dans son matelas et le regard plongé dans le sien. Lui, est à genou devant moi et me tient les mains. Je l'entends soupirer, je pense que je l'ai un peu décontenancé.
- Chut ... Gonfle tes poumons dans un rythme régulier et tranquille.
Peu à peu puis sans le vouloir, je me calme et reprend contrôle sur mon organisme totalement chamboulé par la panique qui m'a assailli. Mes larmes s'éteignent et mon corps cessent de trembloter. Éric se lève et s'assoie à côté de moi.
- Tu vas t'en remettre. Ne fléchis pas maintenant. Tu dois continuer à te battre, tu dois aller jusqu'au bout de cette initiation. Tu as les moyens d'aller au plus haut ici. Me rassure-t-il en joignant mes mains et en regardant droit dans le sol.
- Pourquoi tu me gardes chez toi ? Demandé-je en observant son arcade embellit par deux piercings d'un noir métallique.
- Il était hors de question que je te laisse à l'infirmerie pour qu'ils s'en reprennent à toi.
- ... J'aurais dû mourir ce soir... Dis-je d'une voix tremblante et sombre.
- À croire que tu n'as pas encore accomplie tout ce que tu avais à faire dans cette vie. Il va falloir que tu restes un moment immobilisé car tu n'es plus capable de mener un combat physique. Mais ne t'inquiète pas, tu vas pouvoir faire la seconde partie de l'initiation étant donné qu'elle est psychologique.
- Ce n'est pas ton genre de garder quelqu'un chez toi... Tu n'aimes personne.
- Si ça te dérange, tu peux toujours rester à l'infirmerie... Je ne suis pas si inhumain que j'en ai l'air. Ne pas se fier aux apparences, c'est le maître mot quand l'on est né chez les Érudits. Ce n'est pas parce que quelqu'un est froid avec toi que c'est sa véritable personnalité. Ta mère est une grande scientifique, elle paraît hautaine alors que c'est sans nul doute la personne la plus humble que je connaisse.
- Tu n'as pas tort là-dessus.
Je baisse les yeux, et fais parcourir mes yeux sur mes bras. Il y a plusieurs entailles et quelques hématomes qui parsèment ma peau, mais rien de bien grave.
- Tu as une plaie à l'abdomen qui a été recousue, je devrais la nettoyer et refaire le bandage au moins deux fois par jour. Tu vas devoir limiter tes déplacements et faire gaffe à ne pas empirer la situation. Je sais que c'est un sacrilège que de te demander ça, mais c'est pour ta santé. Il voulait t'hospitaliser, j'ai refusé et j'ai négocié pour que tu restes sous ma tutelle. Heureusement que j'ai obtenu une formation diplômante en soin infirmier, sinon, Max t'aurait viré de la faction si tu étais obligée de louper la suite de l'initiation. Bref, ça fait beaucoup d'informations, il faut que tu dormes.
- Les semaines à venir vont être compliquées. Mais merci, sans toi je ne serais peut-être plus de ce monde ou dans le cas inverse, je serais condamnée à être sans-faction. D'ailleurs, ce ne sont pas les vêtements que je portais.
- Ethan t'a changé avec le médecin, tu étais couverte de sang.
- Ah d'accord, je ne me souviens pas de grand-chose mais je sais que je ne portais de choses si amples...
- Ce sont mes fringues, donc attention à ce que tu dis. Je ne suis pas si gros que ça. Dit-il sur un ton rieur en plaçant la couette jusqu'à mes hanches pour m'inciter à me coucher.
Il éteint la lumière pour en rallumer une autre de plus faible intensité. Il déplie son canapé et met un duvet dans lequel il se glisse pour s'y allonger. Je me tourne et me prend à repenser à toutes ces péripéties, ce qui provoque une angoisse étouffante remplie de sanglots. J'essaie d'être discrète mais Éric m'a sûrement entendu car il se lève pour s'asseoir sur le lit. Il me pose une main sur mon épaule.
- Je vais rester là à attendre que tu trouves le sommeil. Me tranquillise-t-il dans un chuchotement presque inaudible.
Ces quelques paroles réussissent à m'apaiser. Je m'endors malgré la tempête qui frappe ma conscience telle des vagues qui déferlent violemment contre la paroi d'une falaise.
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Mon esprit s'éveille et mes yeux s'ouvrent face au plafond bétonné de l'appartement du leader Audacieux. Éric ne paraît pas se trouver dans la même pièce que moi, il doit sûrement être dans la salle de douche, car j'entends l'eau couler. Je décide d'essayer de me lever, donc je tourne mon corps puis me hisse à la verticale. Mes pieds épousent le sol glacé et mes jambes poussent pour me redresser. J'ai très mal au ventre mais je parviens quand même à me mettre debout en combattant la douleur.
- Tu te bats toujours toi, pas vrai ? Retentit une voix en direction de la salle d'eau.
- Toujours, c'est dans ma nature.
- Tu veux te passer un coup de flotte sur le visage avant d'aller manger ? Me propose-t-il en séchant ses cheveux.
J'acquiesce d'un léger signe de tête et marche lentement en direction du lavabo.
- Ne prend pas de douche, je n'ai pas encore des bandages de rechange.
- Je vais juste voir l'étendue des dégâts et me rafraîchir pour apaiser mes douleurs.
- D'accord, je t'attends. Presse-toi. Dit-il en jetant un œil à sa montre.
Mes yeux se posent sur mon reflet dans le miroir. Je suis... Défigurée. J'ai un coquard sur l'œil droit et ma tempe droite est ouverte. Mon visage est gonflé au niveau de mes pommettes. Je passe de l'eau sur mes joues. Jamais mon père n'avait touché à mon visage, personne n'avait pu atteindre cette partie si identitaire de moi. J'ai subi alors que je m'étais promise de ne plus endurer de souffrances sans avoir la capacité de me défendre. La tristesse de ressentir un corps encore endoloris comme au temps de ma vie d'Érudite et la haine qui me saccage la conscience, sont des émotions destructrices. Il faut que je me relève, j'ai peur de ne pas en avoir la force... Je passe frénétiquement mes mains sur mes bras, comme pour me consoler. Je me rends compte rapidement qu'il manque l'aiguille qui libérait des antidouleurs.
- Eric ? Ma perfusion ? Demandé-je affolée.
- Je te l'ai enlevé cette nuit, ça avait l'air de te gêner. Il faut qu'on y aille. Tu sembles prête, suis-moi.
Je m'avance vers la porte mais il me stoppe net et me prend le bras.
- Ne dis rien sur le fait que tu sois chez moi. D'accord ?
- Oui, je garderai ça pour moi ... Je réfléchis un instant, inquiète et affaiblie par le mal. Je fais comment pour leur faire face ? Je... Je flippe vraiment, je ne sais quel comportement adopter. Dis-je en murmurant.
- Fais comme s'il ne s'était rien produit. Ne montre pas que ça t'a mis un coup, sinon, ils auront en partie gagné. Tu es forte de caractère, garde la tête haute et répond aux questions de façon neutre. D'ailleurs, ce soir je te ferai un signe discret pour rentrer.
- Merci ... Vraiment. Dis-je en retenant son bras.
Il plonge son regard dans le mien mais le détourne presque aussitôt.
- De rien. Me lâche-t-il en partant précipitamment.
Je ne sais pas ce qu'il m'a pris de le retenir, je n'ai rien compris à ce qui vient de se passer. Ce moment a été étrange car l'émotion que j'ai ressentie n'était pas que de la reconnaissance, c'était un mélange d'amitié et d'autre chose que n'arrive pas à nommer. Quand je suis avec lui, j'ai toujours ce malaise. J'ai cette impression de ne pas être à ma place, d'être traitée différemment des autres, d'être une exception. Il m'offre la sécurité, il ne l'aurait jamais fait pour un autre novice. Encore dubitative par rapport à ces émotions qui me transpercent, je traîne dans les couloirs. Je n'ai pas envie de voir mes agresseurs... Et quand j'arrive dans la cafétéria, le besoin de devenir minuscule et de disparaître est grand, voire titanesque. J'aimerais me réfugier, je voudrais ne pas avoir à contrer les regards curieux des Audacieux qui me voient défigurée puis boiteuse. Je cherche Haley et Aaron, ils sont assis deux tables plus loin. Je prends place en baissant les yeux sur mon plateau.
- Mon Dieu ! Il t'est arrivée quoi ?! Qui t'a fait ça Laur' ? M'interroge Aaron totalement outré.
- Des malades se sont jetés sur moi hier soir. Mais ça va, ne vous inquiétez pas. Expliqué-je en n'affichant aucun émoi.
- Ne dis pas que ça va... Tu as vu dans quel état tu es ? Scandalise Haley en serrant ma main.
- Oui, je sais. Mais je ne vais pas me morfondre, c'est ce qu'ils veulent. Je ne suis pas morte, je dois m'en réjouir.
- Tu n'as pas tort, mais la justice ne peut rien faire pour les rechercher et les condamner ?
- La justice n'existe pas pendant l'initiation. Les plus forts régissent, même s'ils doivent user de certaines ruses pour parvenir à leur fin, qu'elles soient cruelles ou pas...
Le silence s'installe, mes amis sont bouche bée, je pense qu'ils ne savent pas quoi me dire. Je ne souhaite pas que leurs attitudes changent à mon égard juste à cause de cet incident. Je mange tranquillement avant d'aller rejoindre le reste des novices à la salle d'entraînement pour la seconde phase de l'initiation.
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