Nous l'encourageons et restons entre filles jusqu'à ce que mon tour arrive. Je passe à dix heures ce matin et je sens l'anxiété augmenter. Les classements seront dévoilés ce soir à dix-huit heures et je ne m'imagine pas un instant devenir sans-faction.

- Tu n'es pas trop stressée pour ce dernier affrontement ?

- Non, ça va et toi ? La trompé-je pour dissimuler ma peur et paraître plus brave.

- Je te rappelle que les natifs ne se font pas virer à la première partie de l'initiation. Donc je ne suis pas très inquiète, je vais me donner à fond et on verra ce que ça donne.

- Ah oui c'est vrai. J'avais totalement zappé ce détail. Vous en avez de la chance, j'aimerais ne pas avoir cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Je vais triompher lors de cet ultime affrontement pour rester ici. Je n'ai pas le choix et je vais y arriver. J'en suis persuadée, j'ai ma place dans cette faction.

- Tu ne lâches jamais, c'est ce que veulent les instructeurs. Les Audacieux n'abandonnent que lorsqu'ils en sont contraints. On pourrait croire que tu es née ici. J'ai l'impression de te connaître depuis toujours... Contrairement aux autres transferts, tu n'es pas marquée au fer rouge par ton ancienne faction. On dirait que tu es venue ici et que tu as laissé toutes les habitudes et les attitudes que tu avais chez les Érudits. Tu as une sacré capacité d'adaptation ! J'ai beaucoup d'admiration pour toi. Me révèle Haley à cœur ouvert ce qui démontre la réciprocité de l'amitié naissante que je ressens pour elle.

- Non, je suis bel et bien née chez les Érudits. Je suis touchée par ce que tu me dis Haley. Je fais de mon mieux pour me fondre dans la masse. En soi, j'avais tellement en horreur les coutumes des Érudits, que les vôtres sont agréables à adopter. J'adore cette nouvelle vie et j'aime autant les avantages que les inconvénients de cette faction. Je me sens bien ici, je me sens comprise et au bon endroit. Je sais que je serais acceptée et que je pourrais être entière. Je pense avoir fait le bon choix. Affirmé-je en contemplant les yeux emplis d'enthousiasme d'Haley.

- Ah bah ça tu peux le dire ! D'ailleurs, je voulais te demander si tu étais d'accord pour sortir ce soir. On va s'éclater, tu verras. Ça te dit de venir avec nous ?

- Pourquoi pas ! Mais comment ça on sort ?

- On a le droit de sortir de l'enceinte tant que d'autres Audacieux confirmés nous accompagnent. On va bien s'amuser, tu vas voir ! Il y aura Aaron et d'autres gens.

-Ah bah pourquoi pas. Maintenant, je suis trop pressée d'être ce soir ! Je sens que ça va être une soirée mémorable. M'extasié-je.

- À qui le dis-tu ?! S'exclame Haley

Cette petite soirée avec Haley et Aaron s'annonce bien sympathique. Je suis heureuse, ça va être une occasion de plus pour m'intégrer à cette faction. Puis j'aime casser ma routine ! C'est étrange, j'ai l'angoisse du combat qui arrive mélangée à l'excitation folle que provoque la fête de ce soir. J'entends la voix de Max retentir dans toute la cafétéria. Il attend que le silence se fasse avant d'annoncer ce qu'il a à dire.

- Demain journée des Visites. Les novices, vous aurez le droit de fréquenter chaque membre de votre famille toute la journée, mais vous avez toujours l'interdiction de sortir de l'enceinte si vous n'êtes pas accompagné d'un membre avéré de notre faction. Vos proches pourront accéder au secteur Audacieux à partir de dix heures.

Cette information ne fait qu'un seul tour dans mon cerveau. Je vais revoir ma mère. Cette nouvelle me rend ivre de joie, j'ai l'impression que je vais exploser de bonheur. Pourtant on m'a déjà prévenu hier de la journée des Visites mais ça n'a pas fait tilt... Sûrement à cause de la fatigue. Je sens la gaieté grandir en moi, elle pousse les parois de mon thorax et envahie brutalement tout le reste de mon corps. L'envie de crier cette euphorie est difficilement répressive. Ça me donne encore plus de rage pour combattre mon adversaire final. Je gagnerai pour ma mère, pour qu'elle soit fière de moi. Je veux briller à ses yeux et je veux lui prouver qu'elle n'a pas à avoir peur de ce qu'il peut m'arriver ici. Je souhaite lui montrer que j'ai trouvé ma voie. Je veux bouger et me battre pour elle comme elle s'est battue pour nous. Elle m'a transmis ses valeurs, elle a fait de moi quelqu'un. J'espère qu'elle verra qu'elle a réussi à m'élever. Elle a toujours été une bonne mère, douce et aimante. Malgré les violences que mon père a pu me faire endurer, je n'ai jamais cessé d'aimer celle qui m'a mise au monde. J'ai douté encore et encore sur le fait qu'elle soit au courant des sévices que Richard m'a fait supporter, mais je ne lui en jamais voulu. Je rêve d'être une aussi bonne mère qu'elle...

- C'est dingue comment tu es expressive... Je peux lire sur ton visage l'émotion qui te traverse l'esprit. Me signale Haley en m'affichant un léger rictus.

- Oui, j'ai du mal à cacher mes émotions. C'est embêtant dans certaines situations.

- Tu as changé de visage automatiquement ! C'est fou !

- À ce point-là ? La questionné-je

- Oui. Contrairement à toi, je vois mes parents souvent vu qu'on est dans la même faction, or je ne peux pas leur parler. Ça me fera une occasion de pouvoir leur adresser la parole. La voix de ma mère me manque parfois... Mon foyer aussi... Or, je pense que je ne partage pas la même intensité de joie que toi ! Profite à fond demain. Tu sembles être méritante puis tu en as sûrement grandement besoin. Surtout quand on pense à la suite de l'initiation qui se présage être difficile en tout point.

- Cette journée des Visites va me permettre de gonfler mon réservoir de bonheur pour affronter cette deuxième phase où les simulations vont nous éprouver. Je savais qu'en faisant ce choix, je ne verrai plus mes parents. Ma mère me manque aussi. J'ai hâte, nous allons passer une journée de dingue. Ce n'est que quand on est séparé des gens que l'on aime, qu'on se rend compte à quel point on tient à eux.

- Tu as raison mais c'est une bien triste réalité. Approuve-t-elle en regardant les hautes parois rocheuses qui surplombent nos crânes.

Je me vois déjà demain avec ma mère et mes frères. La famille au grand complet autour d'un bon repas. Je nous vois converser et rire aux éclats comme au temps des mercredi après-midi passés avec notre mère.

Éric débarque subitement face à ma table. Il pose son regard sur moi et visiblement, il cherche quelqu'un d'autre.

- Laur' et Ben ! Dans le ring ! Crie-t-il en me faisant un signe de tête.

C'est ce que je redoutais le plus... Que ça tombe sur Ben. Cet être infâme, ignoble et inhumain. Il me fait horreur et c'est ce dégoût qui va me faire remporter la victoire. Je me lève si vite que je me cogne dans la table et la soulève sans le vouloir. La tasse de café d'Haley se renverse et dégouline sur le sol bétonné. Je m'arrête instantanément un peu paniquée et énervée par ma maladresse.

- Vas-y, je vais nettoyer ! Pète-lui la gueule ! M'ordonne Haley, sourcils froncés et poings serrés ce qui ne manque pas de me faire rire.

Je courre vers la salle d'entraînement et monte sur la zone surélevée qui délimite le périmètre de combat. Je me mets en position et essaie de me concentrer sur mon unique objectif, mettre chaos ce connard. J'ai intérêt à bien placer mes coups et à être rapide car bourru comme il est, je risque de ne pas tenir longtemps. Il commence à tourner autour de moi, et lance son poing en direction de ma tête, mais je l'évite de justesse et remet mes bras devant mes organes vitaux et mon visage. Je lui donne un coup de pied au niveau de sa pommette droite, il s'énerve. Ben m'attaque rapidement le visage. Il m'attrape les épaules en les tenant fermement. Je n'ai pas pu éviter son crâne qui vient s'écraser contre mon front. Il me pousse violemment à terre et m'afflige de nombreux coups de pieds dans l'abdomen. Je gémis de douleur et me recroqueville sur moi-même.

- Alors papa n'est plus là pour protéger sa petite fille ?

Quand j'ai entendu ces mots, j'ai eu comme un déclic. Il faut éviter de parler de mon père, c'est la règle. Je croise le regard d'Éric qui semble implorer ma victoire tant sa déception est grande. Ça me motive encore plus à rassembler toutes mes forces pour vaincre. Je me hisse sur mes deux jambes avec une fureur qui ferait pâlir un mort. Je me positionne directement derrière lui et adresse un coup de pied bien placé au niveau de la colonne vertébrale. Il hurle et se transit de douleur. Ben se remet face à moi, et fait en sorte de mettre toute sa force dans le coup qui vient. J'avais prévu qu'il allait faire ça et joue avec en lui faisant perdre équilibre. Il s'affale au sol, ce qui me laisse le profit de pouvoir lui administrer quelques coups de pieds dans le ventre ainsi que mon poing bien soigneusement placé au niveau de sa gorge. Son sang qui coule le long de sa mâchoire est étalé au sol. Son visage montre sa colère mais je ne fléchis pas. Je le laisse se relever à moitié pour lui donner un franc coup de talon dans la figure. Il m'attrape la jambe et me fait tomber par terre. Mon genou a cogné fort, ça me fait trembler. Je m'affole un peu car il me bloque la respiration en s'appuyant de tout son poids sur mon torse. J'ai du mal à respirer mais je me débats et réussi à me libérer de son emprise je ne sais comment. Si je n'avais pas réagi aussi vite, j'aurais manqué d'air et perdu par la suite. Je bondis en avant pour me redresser et l'achève d'un puissant coup de poing au visage. Il ne bouge plus du tout, je cesse de frapper et me tourne vers mon instructeur qui me regarde avec un large sourire.

- Tu peux sortir. À ce soir.

J'acquiesce et sort de ce lieu à moitié en titubant. J'ai l'adrénaline qui redescend, je le sens car j'ai la nausée et ma tête me paraît très lourde. J'ai beau détester Ben, j'ai honte de l'avoir autant défiguré. J'ai l'impression d'être mon père. J'ai du sang sur mes mains, ça m'horrifie. Éric attrape mes bras et les place le long de mon corps.

- Ce n'est que du sang. Tu ne l'as pas tué. Arrête d'avoir peur de ta propre force.

- Je sais mais je n'aime pas ce sentiment de puissance.

- Moi je l'aime, et personne ne vient se frotter à moi. Il faut arriver à apprécier faire mal car c'est pour la bonne cause. Ici, tu t'es battue pour toi, pour ne pas partir chez les sans-factions. Plus tard, tu te battras et tu tueras pour défendre les factions.

- Je ne suis pas encore prête pour tuer. Déclaré-je inquiète.

- On ne l'est jamais vraiment. À ce soir, n'oublie pas de bien t'hydrater et de te reposer un peu.

- Euh... D'accord.

J'ai eu du mal à réaliser que ce n'était pas si grave que ça car Ben m'aurait frappé à mort. Éric a réussi en quelque sorte à me calmer. Il est étrange avec moi depuis notre altercation de l'autre jour... Puis hier dans son bureau, c'était pire que bizarre. Là, j'ai cru fondre quand il m'a saisi les bras...

Je vais au dortoir pour enlever le sang de mes mains et pour me changer. Le miroir reflète mon visage bleuté et ensanglanté. Je ne suis pas très belle, mais j'ai un petit air d'aventurière et je m'apprécie un peu plus comme ça. Je vais pouvoir m'amuser ce soir, ça va être cool. Je suis impatiente de voir le classement même si je ne m'inquiète pas trop car j'ai gagné quatre-vingts pourcents de mes combats et je réussis à peu près toutes les tâches demandées. Puis Éric n'avait pas l'air négatif tout à l'heure. Il ne serait pas venu me voir après le combat s'il ne m'avait pas sélectionné. Il n'y a aucun intérêt à venir conseiller un futur sans-faction.