POINT DE VUE LAUR'

     - Tout le monde debout ! Habillez-vous, rendez-vous dans quinze minutes sur les quais de chemin de fer. Hurle Éric en tapant des mains.

Le vacarme m'extirpe violemment de mon sommeil et les vacillements que provoque Éric à mon lit me fait bondir de mon matelas. Je ne sais pas comment il fait pour se supporter lui-même, à croire qu'il prend son pied à nous faire la misère dès le réveil. J'ai beaucoup de mal avec son comportement d'instructeur démoniaque qui saute sur la première occasion pour nous rabaisser plus bas que terre.

- Bouge-toi, on part bientôt. J'en ai marre que tu te traînes. Me sort-il sans aucune explication apparente.

J'ai l'impression de faire face à mon père quand il me réveillait le samedi matin. Il rôdait autour de ma chambre en faisant du bruit à partir de huit heures et entrait en furie passées les dix heures. Je savais que ma journée allait mal se dérouler quand elle commençait ainsi, car j'allais être la visée de sa colère pendant les prochaines vingt-quatre heures. Ce qui est loin d'être agréable... Je frissonne en me remémorant tout ce qu'il m'a fait et me ressaisis quand le raclement de gorge d'Alex vient à mes oreilles. Il est consumé par la fatigue et son regard est encore gorgé de sommeil.

- Tu as l'air soucieuse. Me souligne Al'.

- Je tente juste de me contenir pour ne pas coller ma main sur la figure de notre instructeur tyrannique.

- Tu es son bouc émissaire... Laisse faire et passe outre. Me conseille-t-il entre deux bâillements.

- Ce n'est pas si simple. Contesté-je

Éric nous observe et je déteste ça. Résultat je pars me cacher dans la salle de bain puis ferme bien la porte. Je n'aime pas qu'on me voit dénudée et encore moins quand c'est un homme surtout quand il fait partie des gens que je ne peux pas supporter. J'enfile un gilet en matière thermique que nous a distribué notre instructeur de marbre et lace mes chaussures. Tout le monde est prêt donc nous nous dirigeons vers les voies de chemins de fer. Ce qui est étrange, c'est que les couloirs sont totalement vides. Il n'y a pas un chat et je sens une fraîcheur arriver de dehors qui me rappelle celle de la nuit. Un air assez froid et humide qui agite mes cheveux au gré du vent. Le ciel noir nous indique bien que nous allons faire une sortie nocturne.

- Mais il fait nuit... Dit une fille au cou tatoué d'un serpent.

- Bonne déduction ! S'exclame Éric d'un ton moqueur. Nous allons faire une petite escapade pour vous mettre à l'épreuve sur un terrain accidenté. Vous allez voir, c'est une bonne expérience qui a le don de vous donner de bonnes doses d'adrénaline.

Ça sent l'opération suicide sa petite sortie, comme pour notre entrée dans l'enceinte Audacieuse. Un bourdonnement de chuchotements volètent autour de moi dans une atmosphère assez décontractée. J'ai l'impression d'être la seule à appréhender cette virée nocturne... On attend qu'un train arrive et j'ai l'impression que ça n'en finira pas. Mes jambes tremblent d'angoisse à force de patienter debout. Personne n'ose s'appuyer contre l'un des poteaux du quai et encore moins de s'asseoir sur le sol cimenté de peur d'avoir affaire à la fureur dévastatrice d'Éric. Au loin, on distingue les phares de notre moyen de locomotion. Nous nous préparons tous à monter dans un wagon et je vois la névrose de ne pas réussir à se hisser dans le train déformer le visage des autres novices. Je commence une course folle pour monter parmi les premiers et me hisse dans un wagon juste derrière Éric. Sans le vouloir je perds équilibre et le bouscule un peu. Je baisse les yeux et m'excuse rapidement dans un ton paniqué. J'aimerai bien éviter de me faire engueuler aujourd'hui, je veux être invisible à ses yeux pour au moins une journée. À ma grande surprise, il ne relève pas mon étourdissement et se contente de me faire un signe de tête. J'ai eu le droit à une mini crise cardiaque. J'ai cru que j'allais encore devoir subir ses réflexions intempestives. Il croise les bras, instaure le silence et commence à nous donner les instructions.

- Munissez-vous d'une arme. Les munitions sont de petites seringues avec un neuroleptique qui vous fera croire que vous êtes touchés par une balle pendant deux minutes. Vous ressentirez la douleur d'une balle sans avoir ses effets physiques comme le sang par exemple. Il y aura deux équipes et l'une devra cacher ce drapeau luminescent tandis que l'autre aura comme but de le trouver. Comme vous pouvez le constater, vous êtes mélangés entre natifs et transferts. On considère que vos capacités physiques et intellectuelles doivent être compilées pour voir si vous êtes aptes à atteindre un but dans l'harmonie. Je t'en prie Quatre, commence ton équipe.

- D'accord. Alex, tu viens avec moi.

- Laur'. Dit Éric avec un regard nonchalant.

- Je prends Katie.

- Et moi Natacha.

Les équipes sont enfin constituées et la rivalité entre nos deux instructeurs s'est légèrement ressentie lors de la réalisation des groupes. Quatre a pris Alex, Katie, Rachel, Mike, Ben, Grace, Nick, Jenna, Érend, Meï, Kira et Riad. Éric lui a pris le reste c'est à dire Natacha, Roy, Caren, Aaron, James, Haley, Chris, Jake, Zarya, Atsuko et moi.

Le fait qu'Éric ait appelé mon nom en premier m'a surprise. Il a clairement un gros problème avec ma personne. Je ne sais pas s'il y a une pseudo attirance entre nous deux mais ce n'est pas réciproque. Il a certes quelque chose d'intriguant dans son irascibilité et dans ses sautes d'humeurs en ma présence. Or, il reste un gros con qui aime persécuter ceux qui l'entourent. Je ne sais pas à quoi il joue.

On saute du train, nous devons élaborer une tactique pour trouver le drapeau de l'équipe adverse. Mais avant ça, nous devons attendre qu'ils l'aient cachés, nous guettons donc le cellulaire d'Éric qui doit nous alerter de la mise en place du drapeau. Aaron prend la parole et essaie de fixer son plan en nous indiquant qu'il faut repérer le drapeau et aller le prendre en s'y rendant rapidement d'un seul coup. Il pense qu'une opération coup de poing devrait les effrayer et les faire reculer. Mais je ne suis pas d'accord, il veut y aller en masse alors qu'on risque justement de tous se faire tuer si on y va de cette sorte. Heureusement que ce n'est qu'un exercice, car il entraînerait chacun de ses hommes vers une mort assurée en temps réel.

- C'est bien beau ce que tu proposes mais si on arrive en masse, ils vont tirer dans le tas et on va tous tomber. Rétorqué-je d'une voix incertaine.

- Dans ce cas-là, tu proposes quoi d'autre ?

Sa réponse m'étonne, d'autant plus qu'il m'a demandé cela sans aucun dédain. Je pensais les Audacieux machistes mais il me semble que je fais face à une exception. Je sens monter une vague de chaleur au niveau de mes joues devant les regards figés sur moi.

- On t'écoute. Dis-nous comment tu opérerais. Insiste-t-il l'air sérieux.

- Il faudrait qu'on se sépare en trois divisions et qu'on attaque avec deux subdivisions de chaque côté. Le dernier groupe profitera de la diversion des deux autres troupes pour aller prendre le drapeau. Occupés, ils ne penseront pas que des personnes arriveront à l'arrière de leur défense. On va les surprendre et c'est ce qui nous fera gagner cette manche.

- Ça me semble être un bon plan. Très stratégique et très bien pensé. Qui est contre ? Demande Aaron en s'adressant à tout le monde.

A ma plus grande surprise, personne ne rétorque. Je suis étonnée que Natacha ne me contredise pas comme elle aime le faire habituellement. Cependant, Haley trouve un problème.

- Comment va-t-on repérer où ils ont caché le drapeau ?

- Faudrait se mettre en hauteur en fait. Dis-je en réfléchissant.

C'est bien, je donne les réponses aux questions mais il y a un gros problème... J'ai le vertige...

- Je vais monter tout en haut de la tour là-bas. J'aurai une bonne vision pour savoir où se trouve le drapeau. Atteste Chris.

Il vient de me sauver la vie. C'est bien de mener le combat mais ma peur reprend un peu trop vite le dessus, et je ne me sens pas prête pour l'affronter aujourd'hui. On patiente le temps que Chris monte et descende la petite centaine de marches de la tour.

- Il faut constituer les trois équipes. Natacha, Roy, Jake et Chris vous irez attaquez sur le côté gauche d'où est situé le drapeau. James, Haley, Zarya, Atsuko et Caren vous irez à droite du drapeau. Quant à Laur', Éric et moi, on ira le prendre derrière leur dos. Ça vous va ? Ou quelqu'un n'est pas d'accord ? Organise Aaron en nous désignant du bout de son index.

- Eric ira avec James, Haley, Zarya et Atsuko. On prend Caren avec nous. Répliqué-je d'un ton neutre pour éviter le regard charbonneux du leader aux piercings.

- C'est parfait, on va les éclater ! S'exclame James.

Aaron a l'air d'adorer mon plan, c'est pour ça qu'il m'a prise dans le groupe furtif. Choisir Caren dans notre trio est une bonne idée, comme ça, elle pourra prendre le drapeau puis monter dans le classement car son avenir chez les Audacieux ne s'annonce pas très glorieux. Je ne m'en suis même pas rendu compte mais j'ai donné une directive à Éric, il n'a pas dû aimer et je pense qu'il devrait me le faire payer pas tard. Chris est déjà redescendu, il a carburé ! Il y a au moins une bonne centaine de marches pour atteindre le haut, il a fait vite et tant mieux comme ça on aura une longueur d'avance.

- Le drapeau est au niveau d'un kiosque non loin de la grande roue. C'est tout droit par là. Nous indique notre coéquipier en faisant un geste avec son bras droit.

- D'accord, allez-y et progressivement pas trop rapidement, sinon on va perdre trop de personnes et ça ne va pas le faire du tout. Ça ira assez vite dans l'ensemble mais essayez de faire durer l'affrontement pour nous laisser le temps de prendre possession des lieux et d'analyser comment s'emparer du drapeau. Expliqué-je méticuleusement.

- Aaron, Caren et moi on va faire le tour pour les surprendre à l'inverse d'où vous attaquez. Chris et James, je vous laisse gérer vos groupes. Ordonne Aaron en commençant à marcher vers la grande roue.

Ils acquiescent d'un signe de tête et s'éloignent brandissant leurs armes chargées. Chaque groupe part de son côté dans un pas léger pour ne pas alarmer trop rapidement nos adversaires.