Chapitre 3 : S'acharner 1/4

     - Laur' ? souffle une voix grave qui m'extirpe d'un sommeil profond.

- Hum... Répondé-je dans un grognement semblable à celui d'un animal.

- Réveille-toi car Éric va gueuler s'il te voit encore sous ta couette. M'ordonne Alex en secouant mon épaule à l'aide de sa main droite.

- Oui, faut que j'aille prendre une douche avant... Laisse-moi le temps d'émerger... Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas dormis ainsi.

- Cool mais je ne suis pas certain qu'Éric accepte une excuse pareille. Je t'attends donc dépêche-toi.

- Oui chef. Dis-je avec une pointe de rancune due à mon sommeil interrompu par mon coéquipier.

J'ai vraiment bien dormi même si mon corps endoloris par toutes ces ecchymoses me faisait mal dès que l'une de ses parcelles bougeaient. Je règle l'eau de la douche pour qu'elle soit glaciale afin de soulager mes maux et de me réveiller de cette nuit bien reposante. J'ai côtoyé la douleur pendant toute mon enfance, mais je ne vivais pas ça quotidiennement. Puis les coups de mon père étaient presque uniquement dirigés vers mon dos. Le sang coulait le long de ma colonne vertébrale et venait tâcher le sol de sa fluide couleur rouge étouffée de noir... Frapper l'épine dorsale était ce qu'il préférait dans les nombreux traitements corporels qu'il nous infligeait. Et au fil du temps, j'ai analysé ceci comme étant de la lâcheté. Car en agissant de cette manière-là, il évitait le contact visuel qui est l'aurait peut-être dissuadé. Tuer quelqu'un droit dans les yeux quand on voit de la souffrance en lui est un acte inhumain et pourtant, je sens que Richard a cette humanité si bien cachée en lui. Il a pu me le prouver à de multiples reprises. Ce n'était que pendant un bref instant bien sûr mais c'est ce qui m'a appris à percevoir ses faiblesses afin de pouvoir le déstabiliser et donc de me protéger de lui. Plus je construisais d'armes à son encontre, plus je m'éloignais de sa violence massive qui me broyait de l'intérieur et de l'extérieur. J'ai des cicatrices partout, la vie ou plutôt la ceinture m'a marqué pour toujours comme quand l'on taille la roche pour lui donner la forme désirée. Ici, mon père voulait forger une femme vouée à être soumise à l'homme et en particulier à lui. Il a échoué fort heureusement et pour mon plus grand bien... Mais je garde tout de mêmes les empreintes qu'il a laissé, elles sont incrustées en moi et m'en détacher sera un combat rude à mener. C'est comme un vestige de mon passé que je balade sur mon dos tel le ciel que porte Atlas à bout de bras.

L'eau gelée qui sort de la pomme de douche me rappelle que je dois me dépêcher mais je ne peux m'interdire d'avoir un court moment avec moi-même. Je savonne mon corps, véhicule mes mains pleine de mousse sur mon abdomen, mes cuisses ainsi que sous mes pieds. Pour finir, je presse du bout de mes doigts ma nuque pour avoir cette sensation agréable lorsque l'on est tendu. Je me rince rapidement et stoppe l'écoulement de l'eau pour ensuite attraper la serviette placée sur le lavabo. Me sécher me prend à peine quelques secondes et mon habillage se fait promptement dans le calme morbide des salles de bains collectives. Je rejoins Alex après avoir noué un élastique à mes cheveux pour en faire une queue de cheval.

- Ça va Laur' ? S'inquiète Alex.

- Oui, pourquoi cet air soucieux ?

- Juste parce que tu as le sommeil très agité et que c'est signe que quelque chose te tracasse je suppose. M'explique mon ami.

- Avant, je faisais des terreurs nocturnes. Mais ça s'est calmé même si mon sommeil est toujours aussi chaotique. Tu n'as pas à t'inquiéter, ce n'est rien de bien grave.

- Je vois, en fait tu es encore en plein combat même pendant ton sommeil ! Tu ne t'arrêtes jamais toi ! S'exclame Alex pour dédramatiser l'atmosphère qu'il a créé.

- C'est en quelque sorte ça ! Souriais-je en laissant échapper un léger rire.

Heureusement qu'il est là lui parce que vu comment je viens de cogiter sous la douche, il faut bien qu'on puisse me divertir. Puis je pense qu'il doit le sentir quand je rumine quelque chose. Ce qui est bien c'est qu'il ne cherche pas à tout savoir et qu'il ne me fait pas remarquer mon côté mystérieux comme un Sincère aguerris le ferait sans aucun scrupule. Il me remonte le moral sans le vouloir et c'est ça que je préfère chez lui. Il est entier et est toujours là pour rigoler avec tout le monde. Je ne pourrai presque plus me passer de lui ! Ces dernières semaines chez les Audacieux ont été difficiles autant physiquement que mentalement. Je me demande sans cesse si j'ai bien fait de choisir cette faction et je remets sérieusement en cause ce choix depuis que j'ai vécu mes quatre défaites. Je n'ai gagné que six combats sur dix depuis mon arrivée dans l'initiation Audacieuse et cela est décevant quand on voit le niveau des autres. Alex me place dans les premiers en haut du classement final mais je ne me vois guère avoir le niveau de ceux qui sont en tête. Je n'ai aucune formation de soldat et tout ce que je sais faire pour être dangereuse, c'est élaborer un virus mortel avec des éprouvettes. Ma grimace devant la garniture de mon plateau éveille la curiosité d'Alex.

- C'est bien la première fois que je te vois bouder ton petit-déjeuner.

- J'ai faim mais le menu ne me tente pas. Expliquais-je en touillant mon lait sans réelle conviction.

- Tu ne sais pas mentir ! Tu ferais une bien piètre Sincère ! S'extasie Al' en pouffant de rire.

- Parce qu'un Sincère, ça sait mentir ?!

- Certain oui mais c'est très rare... Tout n'est pas blanc chez nous tu sais. J'ai déjà vu mon père mentir à ma mère quand il avait fait une grosse connerie. Puis, vu qu'il ne ment jamais, ses excuses sont passées crème ! Et je dois t'avouer qu'être formé pendant seize ans à dire la vérité, après ça, on est imbattable aux mensonges bien montés.

- Je veux bien te croire. Ce qui est étrange, c'est que ça ne m'étonne même pas de la part de ta faction. C'est un vice gravé dans nos gênes donc difficile de ne pas y faire face même quand on essaye de le réduire à néant.

- Tu as tout dit ! Mais revenons au sujet initial miss. Qu'est-ce qui te tracasse au point de ne pas être la grosse bouffe que tu es habituellement.

- Mes défaites me mettent en colère... Je remets en question ce choix car je crains vraiment de tomber au plus bas. J'ai grandi dans une famille très connue et j'ai eu une vie faste. J'ai peur d'éprouver des remords plus tard...

- Mais tu fais partie des meilleurs... Arrête de te poser autant de questions et tente justement d'écraser les autres pour arriver en tête du classement. Si ça te turlupine à ce point-là, défonce-toi à la tâche. Comme ça tes regrets seront minimisés plus tard si tu échoues à obtenir la vie que tu désires.

- Je n'aime juste pas le fait d'attendre un résultat. C'est l'attente que je trouve insupportable et quand les défaites s'accumulent, ça n'arrange pas les choses.

- Rolala ! Si je devais parier sur ta réussite, je le ferais sans aucune hésitation. Alors bois ton fichu bol de lait et mange quelque chose pour réussir l'entraînement de lancer de couteaux. Ajoute Alex pour clore cette discussion.

Nouvelle mission : cesser de m'inquiéter de ce qui adviendra dans un futur plus ou moins proche et m'emparer de ce que je veux au lieu d'attendre que quelque chose me tombe dessus. Il faut que je me donne les moyens pour atteindre mon but afin d'aller au grade le plus prestigieux de la faction des Audacieux. Mais je ne vise pas non plus trop haut et me contenterai bien d'un poste bien en dessous de celui de leader.

J'attaque le croissant posé sur mon plateau, et lui ouvre le ventre pour y fourrer une pâte de chocolat, afin de le rendre un peu plus consistant et appétissant pour mon estomac. Je le trempe dans le lait et le déguste avec lenteur tout en observant mon environnement que je n'ai toujours pas réussi à apprivoiser.

Les couloirs sont toujours source d'anxiété quand il faut me rendre d'un point A à un point B que je ne connais pas. Mon sens de l'orientation est totalement déboussolé dans ce dédale de passages plongés dans une obscurité asphyxiée par la lumière terne des néons. Le chemin qui me donne une garantie sûre de ne pas être perdue est celui qui me mène à la cafétéria. C'est mon repère principal qui me permet de pouvoir savoir à peu près quelle direction prendre pour un quelconque déplacement. Une course d'orientation serait la bienvenue dans notre initiation pour qu'on puisse naviguer sans se perdre dans l'enceinte Audacieuse. Les plateaux débarrassés et notre table nettoyée, nous courrons vers la salle d'entraînement de peur d'être en retard et d'avoir à affronter la fureur d'Éric. Il est en effet présent mais n'a pas l'air affairé par notre arrivée tardive. Il fait les cent pas devant les silhouettes en bois qui servent de cibles pour les entraînements de lancer de couteaux. Ses mains sont jointes dans son dos et son regard est posé sur le béton que frappent ses semelles. Ses tatouages ne sont pas très visibles à cause de la faible densité de lumière qui émane des lampadaires fixés au plafond à l'ossature métallique. Le silence est assez pesant et son attitude alourdit l'atmosphère déjà bien oppressante. Quatre arrive par une porte située à l'arrière de la pièce et rejoint le leader aux yeux fusillant tout ce qui l'entoure.

- Désolé, un empêchement. Déclare Quatre en tentant de faire figure basse.

- Tâche d'être à l'heure la prochaine fois... Je n'aime pas attendre. Lui affirme sèchement Éric. Bon, munissez-vous de trois lames et placez-vous devant une cible. Prenez contact avec la pesanteur de l'objet ainsi que son ergonomie pour savoir comment optimiser votre attaque. Son énergie cinétique dépend de vous, donc utilisez votre tête et non votre force. Concentrez-vous avant de vous amuser à lancer comme des imbéciles.


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