- On va manger ? Ou on reste planté là à se demander si ce n'est pas de la folie d'avoir choisi cette faction ? Me demande Alex.

- Je vais opter pour la première option. Rié-je en voyant la tête qu'il tire face aux tables grouillantes d'Audacieux en effervescence.

La première impression que m'a laissé Alex lors de notre rencontre commence à s'estomper au fur et à mesure de la journée. Il m'a paru très irritable et très con jusqu'à ce que je comprenne qu'il utilisait beaucoup l'humour pour évacuer son stress.

Il fait à peu près la même taille que moi. Il est brun aux yeux d'un bleu très clair qui font tout son charme. Il est loin d'être laid même si son apparence porte à croire qu'il n'a que seize ans alors qu'il en a bel et bien vingt. Son visage d'enfant est encore très présent, pas sûr qu'il soit toujours d'actualité après la première année chez les Audacieux.

Le noir nous va bien à tout les deux, ça nous donne le côté aventurier et dangereux qu'émane des soldats que l'on voyait patrouiller dans les rues.

On se dirige vers la cafétéria qui est déjà bien remplie vu l'heure qu'il est. On prend un plateau et on le garnit de nombreux mets qui sont très appétissants. J'ai pris un steak frites car je pense que nous aurons besoin de protéines pour les prochains jours. Puis, j'ai envie de me faire plaisir en me laissant tenter par un peu de mal bouffe. Au sein des Érudits, c'est beaucoup trop stricte les régimes alimentaires équilibrés.

On cherche une place et nous décidons de nous asseoir à côté de Quatre. D'ailleurs, j'ai cru qu'il allait nous tuer quand il nous a vu aller vers lui. On commence à manger tranquillement ce qu'il y a dans nos assiettes et j'observe en même temps le nouvel environnement où je vais devoir vivre. C'est un peu sombre comme si les Audacieux vivaient cachés et reclus du monde extérieur. Je pense que c'est surtout pour la fraîcheur du lieu que nous sommes ici. La roche est froide et durant l'été, l'air doit être largement plus respirable que celui de dehors.

Des acclamations viennent nous réveiller de nos rêvasseries post dînatoire. Max, Eric puis deux de mes frères, Jacob et Ethan, sont en hauteur face à nous. Il se tiennent aux rambardes en fer puis instaurent le calme. Cela m'impressionne de les voir si changés. Ils ont pris en masse musculaire et les traits de leur visage se sont endurcis. Ils sont adultes désormais, c'est frappant.

- Bienvenue aux nouvelles recrues. Cette année marque le début de la mise en place du classement éliminatoire. Je souhaite qu'on puisse remplir les deux postes vacants de leader. Que l'initiation débute et qu'elle soit généreuse en terme de qualité des soldats qu'elle nous fournira ! Acclamez-les comme il se doit ! S'exclame Max avant de tourner les talons.

Des applaudissements se font entendre. Tous les Audacieux se lèvent et viennent nous chercher pour nous ovationner en nous portant à bout de bras. Je suis en train de me faire porter par une marée d'êtres humain, tous joyeux que des novices aient choisis leur faction. Je vogue de bras en bras puis finis ma navigation face à Alex. Ce n'est clairement pas la même ambiance chez les Érudits qui sont très occupés à lire avec une musique classique en bruit de fond...

On se rassoit et on continue notre repas dans le brouhaha de la foule très agitée. J'observe les Audacieux et ils m'impressionnent toujours autant. J'ai du mal à réaliser que je fais partie de cette faction... Leur musculature est magnifique et même les femmes sont bien sculptées, ce qui me fait un peu peur car je ne sais pas si je serais à la hauteur des espérances de ces combattants.

Max vient vers notre table pour parler à Quatre.

- Ta place en tant que leader est toujours libre, ne l'oublie pas. Signale Max en s'avachissant face à son interlocuteur qui semble en avoir que faire de cette proposition.

- Ça ne m'intéresse pas.

- Tu ne changes donc pas d'avis. Dommage.

- Très bon sens de la déduction. Souligne ironiquement notre instructeur.

- Bon, bah bonne soirée.

Je préfère me taire mais je suis éberluée par le refus catégorique de Quatre. Si j'étais lui, j'accepterai directement cette offre. Je ne vois pas pourquoi il décline surtout sans donner d'explications. C'est un poste prestigieux et je suis sûr qu'il a les capacités car Max ne viendrai pas le lui demander devant nous si ce n'était pas le cas. Il a tort de rejeter ce posrte. C'est mon rêve inaccessible de devenir leader Audacieuse auprès de mes deux frères aînés. Mais quand je me regarde, avec ma petite carrure et mes muscles trop frêles voire inexistants, je me dis que si je réussis à ne pas me faire virer d'ici, ce sera déjà un très bon point.

Alex a dévoré son assiette à une vitesse phénoménale.

- Vous ne mangez pas chez les Sincères ? Plaisanté-je.

- Si si, c'est juste qu'ici c'est mon menu préféré et qu'il est servi tous les jours. Je veux en profiter avant que je finisse Sans-faction.

- Sois optimiste Alex sinon je vais déprimer...

- Tu veux que je sois optimiste en te mentant ? Je ne suis pas du genre à me leurrer... Bref. Je suis curieux. Pourquoi as-tu changé de faction ?

- J'ai horreur de l'arrogance et de la vanité des Érudits. Puis passer ma vie dans des livres, ça ne me branche pas trop. J'ai toujours eu la bougeotte et c'est mal vu dans ma faction. J'ai besoin d'être libre de mes mouvements sans parler science à tout bout de champ. Je peux te retourner la question ?

- Oui, sans problèmes. Ce n'est pas un secret. J'avais envie de bouger, d'être libre comme toi quoi. Puis j'en avais un peu ras le bol de toute cette vérité à l'état brute qui polluait clairement mon esprit. D'ailleurs, je voulais savoir... Désolé si la question est un peu déplacée mais tu es bien la fille de Richard Scott ?

- Oui mais je n'ai pas envie qu'on me colle l'étiquette de l'enfant d'un leader. Il est loin d'être une fierté pour moi et je n'ai guère envie de m'étaler sur le sujet. Dis-je avec sécheresse en grimaçant à cause des entailles dont mon dos est criblé.

- Cessez de parler de vos anciennes factions, vous êtes maintenant des Audacieux. Sincère ou Érudit, cette période est révolue pour vous deux. Nous ordonne Quatre dans un ton menaçant en ayant un coude posé à droite de son plateau vide.

- Techniquement, nous ne sommes pas vraiment des Audacieux car nous n'avons pas fini l'initiation... En fait, on ne l'a même pas commencé. Répliqué-je sans réfléchir aux conséquences de mes dires.

- Apprend à te taire face à tes supérieurs Laur'. Les miss je sais tout, on ne les aime pas ici. Finit-il avant de partir.

Alex est plié de rire. La nonchalance de Quatre va sûrement quelques fois m'irriter... Après tout, on a le droit de parler de ce que l'on veut surtout que ce que nous disions était pour notre faction choisie et non à son encontre.

J'essaie de faire baisser la colère bouillonnante en observant autour de moi. J'aimerais apercevoir une tête familière. Jacob, Ethan ou Ryan. L'un de mes trois frères quoi.

La cafétéria se vide peu à peu. J'ai mangé toute mon assiette mais j'ai donné le reste à mon camarade. Je n'avais pas très faim ce soir. Je me suis forcée un minimum afin d'avoir quand même des forces pour le premier entraînement de demain.

Tout à coup, je sens quelqu'un envelopper mes épaules de façon très brusque. Je sursaute et agrippe les mains qui me tiennent pour les retirer.

- Ho calme-toi petite sœur. C'est Ethan et je n'ai pas prévu de te faire du mal. Me dit une voix que je connais très bien et qui vient m'apaiser automatiquement.

Il se détache de moi puis recule de deux pas afin de m'admirer, les larmes aux yeux qu'il tente en vain de dissimuler. Je ne m'attendais pas à le voir, donc je ne lui dit pas grand chose. Je suis trop heureuse pour dire quoi que ce soit. Il a grandis, il a gagné en beauté et indéniablement en muscles. C'est impressionnant ce changement physique. Il a l'air beaucoup plus puissant, beaucoup plus mâture. Il est devenu un homme. Ses bras sont très musclés et je ne vous parle même pas de ses épaules qui font de lui quelqu'un de très carré. Cependant, il n'a pas l'air d'avoir tant changé que ça niveau conneries... Son regard a toujours la malice qu'il affichait autrefois quand nous étions Érudit.

- Ethan ! Pas de contact avec la famille avant la fin de l'initiation. Exige Eric derrière mon frère.

- Bon je ne suis pas censé te parler, bon courage petite peste. Termine Ethan en me donnant une tape dans le dos ce qui ne manque pas de me transir de douleur.

Je reste un court instant immobile en serrant fort les poings. Je suis sûr que ça va vite cicatriser mais ces plaies sont clairement un obstacle pour ma réussite dans cette faction.

- Vous ne vous ressemblez pas beaucoup avec ton frère. Vous n'êtes que deux dans la fratrie ?

- Non, j'ai trois frères en tout. Jacob, Ethan et Ryan. Tous plus âgés que moi. Et toi, tu as des frères et sœurs ? Interrogé-je mon nouvel ami.

- Ah oui, j'avais oublié que vous étiez quatre ! Moi, je suis fils unique.

- Ho ça explique des choses ! Le taquiné-je en me levant pour débarrasser nos plateaux.

On se dirige vers le dortoir où tout le monde y dort déjà profondément. Je pars me changer dans la salle de bain puis jette un œil à mes pansements. Il y en a seulement deux qui sont imbibés de sang, le reste tient plutôt bien. Les brûlures sont douloureuses mais demanderont sûrement moins de soin qu'une plaie ouverte. J'ai un flash glaçant du souvenir de cette ceinture brûlante qui s'abat sur moi hier. Je la sens encore me donner un coup et laisser sa boucle en métal consumer ma chair. Je serre les dents puis dégage cette réminiscence de ma tête.

Je pars me glisser dans mon lit qui est situé juste à côté de celui d'Alex. Celui-ci me chuchote un « bonne nuit » avant de poser sa tête et de fermer les yeux. Le tissu est très froid et humide, ce qui me fait frissonner légèrement. Le bruit des respirations et des sanglots de certains viennent à mes oreilles. Cela me fait penser un peu à ma mère. Je retiens mes larmes et serre fort mon oreiller pour lutter contre ce sentiment de manque et de tristesse. J'essaie de trouver le sommeil avec beaucoup de mal à cause de cette sensation de brûlure qui ne s'arrête jamais et me rend dingue. Vers une heure du matin, je m'endors enfin à cause de l'épuisement.

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Je viens de me réveiller, il n'est que trois heures. Dans mon sommeil, je me suis positionnée sur le dos, ce qui m'a rapidement réveillé. J'ai mal, cela me rend folle... La nuit va être d'une extrême longueur. Je n'arrête pas de penser à ma mère, à son visage, à sa voix, à son rire. Je me rappelle qu'à chaque fois qu'un de mes frères faisait son choix, elle pleurait toutes les larmes de son corps. Ça durait au moins un mois. Elle ne mangeait plus beaucoup et ne parlait plus du tout. Je me sens égoïste, car abandonner sa mère avec un monstre est un acte vraiment lâche. J'ai fuis et les Audacieux ont horreur des gens qui s'échappent face aux difficultés. Je me sens à la fois nulle et brave d'être partis. J'ai certes pensé à moi mais au détriment de celle qui m'a donné naissance.

Je vois les heures défilées, et je décide de me lever. J'enfile ma veste et pars pour découvrir l'enceinte des Audacieux comme je le faisais parfois chez les Érudits. Les couloirs me paraissent sinistres à cet heure-ci puis chaque bruit inconnu me glace les entrailles après m'avoir fait sursauter. Je vais vers la Fosse où quelques Audacieux parlent, ils ont l'air totalement ivre.

Je me rapproche du Gouffre non sans peur mais j'ai envie de me forcer à soigner mon vertige. J'y laisse pendre mes jambes. L'écume de la rivière me touche, l'eau est froide mais ça m'apaise. Je pense à mes frères puis je me dis que je n'aie peut-être pas fais le mauvais choix, car ils ont fait le même. Et je pense qu'ils n'en sont pas malheureux, qu'ils ont fais ce qui était le mieux pour eux comme moi.

- Je peuxsavoir ce que tu fais ici ?