Chapitre 19 : Une fusion 3/4

     Je prends l'ascenseur accompagné de Max et me positionne derrière le volant pour rentrer dans l'enceinte Audacieuse.

- Tu as de la gueule toi ! Tu t'es clairement vautré quand tu as omis le détail des Sans-Factions mais j'ai trouvé ton rattrapage remarquable. Cette réunion était bien différente de celle qu'on vit habituellement. C'est sensé être calme... Là, je n'ai jamais vu autant d'argumentation pour un problème sociétaire. Tu as plutôt bien défendu les Audacieux en ne baissant pas le niveau de l'initiation. Mais faire croire aux novices qu'ils deviendront S-F ne marchera qu'une année. Il faudra trouver un autre moyen pour les rendre combattif dans l'avenir.

- Je suis contente d'avoir été satisfaisante. Je me suis sentie dépassée à plusieurs reprises... C'était réellement stressant. Avoué-je en soufflant pour libérer toute l'anxiété qui a occupé mon esprit pendant près de trois heures. Et on trouvera bien un moyen de rendre notre initiation difficile afin de sélectionner de très bons éléments pour nos brigades.

- Je n'ai pas remarqué ton stress. Tu as bien géré et j'espère que tu reviendras pour les prochaines réunions de faction. Tu as un beau langage très convaincant qui ressemble beaucoup à celui qu'utilise les Érudits ! Je me demande bien pourquoi ! S'exclame-t-il ironiquement. Ho merde... J'ai oublié de voir Jeanine car je n'arrive pas à accéder à ton dossier. Il est verrouillé par un code... C'est vraiment étrange.

- Hum. Effectivement, c'est un peu bizarre... Attesté-je étonnée par ce souci qui me semble n'être qu'une erreur.

- D'ailleurs. Évite de contredire Jeanine et de lui mettre des bâtons dans les roues. C'est la dernière fois que tu lui tiens tête. C'est compris ?

- Euh oui. Reçu. Prononcé-je en prenant conscience de la corruption enracinée au sein même de ma faction.

Nous venons d'arriver à l'enceinte Audacieuse. Arrivée au bureau de Max, je lui rends les clés et pars pour aller manger à la cafète'.

J'embrasse Éric et mange avec lui. Mes frères ne sont pas là et c'est la première fois que je mange en tête à tête avec lui. Nous mangeons tout en parlant de la réunion et du projet de malade des Altruistes. Éric trouve que j'ai eu beaucoup de sang-froid lorsque Jack Kang m'a traité de « guignole ». Il est d'accord sur le fait que donner autant d'énergie à inclure des S-F est très bête. On va tabler sur un sérum de l'oubli pour sauver des gens qui ont volé et tué alors qu'une balle dans leur tête serait bien plus efficace... Mais bon, je dis ça alors que des personnes innocentes vivent dans ces rues délabrées. Comment les tuer ? Jamais je ne pourrais donner la mort à un vieillard ou à un enfant... C'est impensable. Même si ce projet me semble énergivore, il va nous enlever une sacrée épine du pied. Je ne peux pas cracher dessus surtout quand je pense aux tirs que j'ai évité il y a quelques semaines. Éric est très catégorique au sujet des Sans-Factions. Il dit que les massacrer et la seule et unique solution pour une société où les ressources sont précieuses. S'acharner à les garder en vie est du gaspillage pour lui. Je ne suis pas d'accord... Mais je ne lui dis pas. Je sens un fossé entre lui parfois surtout quand ça parle de politique.

On a tous les deux notre après-midi. On rentre, je me sens très fatiguée puis je suis encore sous l'effet du stress de la réunion. J'ai du mal à atterrir donc la tranquillité de mon foyer devrait réussir à m'apaiser.

Éric se met sur le balcon avec son café dans sa main droite. Il fait beau aujourd'hui. Les rayons du soleil nous réchauffent et le vent nous effleure le visage avec douceur. Je me colle au dos d'Éric et l'enlace tout en posant mon front entre ses omoplates. J'inspire et expire son odeur de savon qui embaume son corps. Il bouge, se détache de mes bras pour poser sa tasse et me serrer fort contre son torse. Il passe sa main dans mes cheveux et passe l'autre dans mon cou pour soulever ma tête afin de pouvoir m'embrasser. Ses lèvres touchent délicatement les miennes et j'oublie pendant un instant tous mes problèmes, tout ce qui me hante depuis ce matin. Il m'embrasse sur la tempe et me regarde dans les yeux.

- Je t'aime Laur'. Tu ne peux imaginer à quel point tu comptes pour moi.

- Je t'aime aussi Ric'... Je ne sais pas ce que je ferai sans toi. Je ressens tout d'un coup le poids du rôle de leader sur mes épaules. Toutes ces attentes que les gens ont... J'espère être à la hauteur. Murmuré-je nerveuse à l'idée de décevoir.

- Tu décevras toujours. Tant que tu restes fidèle aux principes Audacieux, c'est tout ce qui compte. M'informe-t-il le regard concentré sur l'environnement qui nous entoure.

Il part s'allonger sur le lit en surélevant son buste grâce à plusieurs coussins. Je me couche sur le dos et pose ma tête sur son torse pour observer le plafond. Ma nuque se soulève à chaque fois qu'il inspire et redescend doucement quand il expire. Il a posé sa main droite juste en dessous de ma poitrine sur mes côtes.

- Ric' ? L'appelé-je un peu crispée par la question que je vais lui poser.

- C'est moi. Déclare-t-il pour me taquiner. Qu'y-a-t-il ?

- Je sais, tu ne vas pas vouloir m'en parler mais j'ai besoin d'essayer de savoir... Tu connais mes peurs, tu connais mon passé donc une bonne partie de ma vie mais moi je n'aie aucune idée de qui tu es vraiment. Je ne sais rien de ton enfance, de ta vie d'Érudit. Je veux savoir ne serait-ce que pour te comprendre et mieux te connaître.

- ... C'est bien parce que c'est toi ... Mon père est Dan Wagner, ma mère, Rachel Wagner. De simples techniciens de labo ne servant pas à grand-chose... Ça te dit quelque chose ?

- Bah oui ! C'était un collègue à mon père, il venait souvent prendre le café à la maison avec ta mère. Mais je ne t'ai jamais vu avec eux... Pourquoi ?

- Je devais bosser à fond pour être le meilleur. Je ne devais pas être dans les meilleurs mais être LE meilleur de tous. On me répétait sans arrêt que j'étais le plus fort et que personne ne pouvait me battre. Je n'ai jamais eu leur amour ou en tout cas ce n'était que du paraître. C'est facile de faire semblant pour faire croire que tout va bien. Le problème dans tout ça c'est que je n'échouais presque jamais mais que je ne réussissais pas à tisser des liens. Je ne sais pas créer une cohésion d'équipe comme tu as la faculté de le faire. J'ai vécu en ayant aucun rapport avec les autres et c'est handicapant car j'avais l'habitude d'être seul. Ici, il faut être un unique bloc et avoir un bon rapport avec les autres membres de la faction.

- Mais pourquoi tes parents t'obligeaient à travailler autant ? C'est horrible, je ne comprends pas.

- Ils ne me nourrissaient pas si je ne travaillais pas ou je me prenais des coups moins fort que les tiens mais ce n'était tout de même pas agréable... Ils voulaient briller à travers moi devant Jeanine pour pouvoir vivre comme des rois. Ils m'ont massacré et vendu à cette femme... Maintenant je suis son petit chien qui doit faire les choses les plus infâmes.

- Comment ça ? Demandé-je apeurée à l'idée qu'il m'avoue des méfaits très violents et sombres.

- Jeanine est très extrême dans sa façon de penser. Je le suis clairement aussi mais bien moins qu'elle. Et je sais penser par moi-même, j'ai mes opinions. Ne crois pas que ce que je suis n'est que l'objet d'une manipulation. À force de me répéter que j'étais invincible, ça m'ait monté à la tête et Quatre m'a remis à ma juste place. C'est Jacob, ton frère, qui m'a ouvert les yeux sur les sévices que j'ai subi. Il m'a remis sur le droit chemin même si je garde les liens invisibles qui me nouent à Jeanine Matthews et à ses plans destructeurs. J'ai dû faire des choses pour atteindre le grade où je suis. Je n'avais pas le choix.

- Des choses ? L'interrogé-je dans un soupir.

- L'année dernière, il y avait un leader que je soupçonnais de divergence et je l'ai dénoncé. Il s'est fait tué après mon signalement. C'est ça qui m'a encore plus lié à Jeanine. Elle me menace continuellement, elle a un pouvoir immense sur moi Laur'. Tu ne peux pas imaginer à quel point son influence est grande sur moi. Tu as pactisé avec elle l'autre jour quand elle t'a accordé un moment avec ta mère. Tu le paieras. Crois-moi. Et ce qu'elle te demandera sera bien inhumain... Puis plus tu vas essayer de lui échapper, plus elle va resserrer tes liens. Elle est sournoise. Elle a ta mère pour te manipuler.

- Tu parles d'Amar quand tu désignes cet ancien leader ? Et ne t'en fais pas. Je sais à peu près dans quel pétrin je me suis mise... Je suis entre ses griffes mais je trouverai bien un moyen pour l'y échapper.

- On n'échappe pas à Jeanine. Elle se sert de toi pour me plier. Elle est très habile... C'est Quatre qui te l'a dit pour Amar.

- Elle t'a fait d'autres demandes Jeanine ? Et non, c'est Zeke qui m'a informé des circonstances du décès d'Amar. Pourquoi ?

- Non, pas de quêtes de la part de Matthews. M'annonce-t-il sèchement comme si mes questions causaient de l'agacement chez lui et qu'il cherchait à me dissimuler la vérité. Quatre sait que c'est moi qui l'aie dénoncé et ça a accentué sa rage envers moi. On doit tuer les divergents même si c'est contre nature...

- Avec Quatre vous avez un caractère fort. Vous êtes différents de toute manière et c'est pour ça que vous ne vous entendez pas. Tu avais raison de livrer l'ancien leader même si ça servait ton intérêt et pas celui des factions.

- Quatre me dégoûte. J'ai été pire qu'atroce avec lui pendant l'initiation. Je ressens beaucoup de haine envers lui. C'est un miracle que j'accepte le voir te côtoyer. Il a une rancœur envers moi... Il serait capable de me tuer en me regardant droit dans les yeux je pense. Mais Jeanine m'a permis plus d'erreurs après l'accusation et l'élimination d'Amar. Je n'avais pas le choix et sa mort m'a beaucoup servi. C'est ainsi. Pas de places pour les faibles.

- C'est horrible ce que tu dis...

- On n'a pas le choix Laur'. Comme tu l'as dit, il faut faire des concessions dans la vie et j'ai choisis de supprimer mon humanité. Jacob a fait pareil et tu le fais de plus en plus sans t'en apercevoir.

- Jeanine m'a déjà menacé pour te contraindre de tuer ou d'exercer le mal ?

- Pas encore mais elle a sous-entendu prendre ses dispositions si je me montrai moins docile à l'avenir. Je crains de devenir un monstre. Souffle-t-il en pressant mon bras comme pour me signaler sa peur.

- Tu sais, ce n'est pas parce que tes parents ne t'ont jamais donné d'amour et que tu as toujours été seul que tu n'es pas sociable. Tu es capable d'aimer Éric et tes sentiments ne font pas de toi un monstre. Tu as Jacob, ton meilleur ami et tu m'as moi. N'oublie pas que ce n'est pas en étant invincible que tu brilleras aux yeux de tous. La plupart des Audacieux te détestent, tu n'es pas une fierté pour eux. Cela n'enlève en rien la bonté dont tu peux faire preuve. Tu es foncièrement bon Éric. Tu es juste contrains... Tu es humain et cette humanité pétille d'une manière des plus magnifiques quand je t'ai à côté de moi.

- Pourquoi tu n'es pas rentré plus tôt dans ma vie toi ? Lâche-t-il en me donnant un baiser qui me laisse entrevoir une larme dévaler sa joue.

- Je me pose la même question...

Il me serre fort contre lui, j'ai réussi à l'émouvoir.

- Ric'... Tu n'as rien de méchant, tu subis juste notre système bourré de corruption... On n'a pas trop le choix de se plier aux ordres que l'on nous donne... Il faut faire avec. Espérons que les projets des Altruiste nous permettent de se détacher de Jeanine et de sa tyrannie. On pourra vivre sans menottes, sans crainte. Lui dis-je pleine d'espoir.

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