Chapitre 19 : Une fusion 1/4

     Aujourd'hui, c'est la journée de la réunion des factions. Il est sept heures et je suis encore couchée contre le torse d'Éric. J'entends son cœur battre et j'essaie de fixer mes pensées sur celui-ci pour songer à autre chose qu'à cette matinée stressante. Je vais devoir faire mes preuves devant chacun des leaders de notre ville, en particulier Max. Il va de soi que je vais avoir à démontrer mon aplomb lorsque je donnerai mon avis. Je me répète au moins dix fois le dicton de notre faction ainsi que le Manifeste Audacieux. J'ai l'obligation de représenter nos membres, je ne dois pas sortir de conneries. Il est primordial que mes propos soient en adéquation avec nos principes. Je crains de dire des choses inadéquates aux oreilles d'un Audacieux.

- Tu te fais du mouron ? Me questionne une voix grave.

- Hum... Comment l'as-tu deviné ?

- Tu fais un truc à chaque fois que tu angoisses. Tu bouges frénétiquement ta jambe, c'est ce qui m'a réveillé. Tu ne t'en es jamais rendue compte ?

- Je n'y avais jamais prêté attention, en effet.

Je me décide à me lever tout en prenant soin de lui donner un baiser avec impétuosité. Il me retient le bras puis me tire afin de m'embrasser en retour fougueusement. Je me décroche de son corps non sans mal. Je serais bien resté au creux de ses bras toute la journée.

J'entre dans la salle de bain et laisse la porte entre ouverte. J'ai moins de mal à afficher ma nudité à Éric. Je me sens en sécurité avec lui. Je n'ai plus ce besoin de me cacher car je sais qu'il ne prendra pas mon impudeur pour une porte ouverte. On a été clair sur nos attentes communes et s'est mis d'accord sur le fait que le rapprochement charnel se fera quand on aura un moment propice. Je prends rapidement ma douche et m'habille de façon à représenter parfaitement une leader Audacieuse. Ma tenue fait solennelle mais pas dans l'excès.

Éric, en boxer et un café à la main, me regarde en souriant. Il passe sa main sur ma nuque, pose ses lèvres sur mon front et me laisse partir.

Je me presse dans la cafétéria pour manger. Je suis seule à la table des leaders. J'avale mon petit déjeuner hâtivement pour rejoindre Max à son bureau.

J'ai appris que Jacob venait d'emménager avec Tyna. Cela s'est fait en un coup de vent. Ils ont l'air très complices ainsi que très amoureux l'un de l'autre. Ethan et Ryan habitent maintenant que tous les deux. Ça doit leur faire bizarre que notre frère aîné ne soit plus là. Moi ça me paraîtrait étrange, comme si je revivais le jour où il a fait son Choix. L'appartement paraissait vide sans lui même si on était encore cinq à l'habiter. Mais c'est la vie... Il faut bien qu'il vive et qu'il s'épanouisse comme il le souhaite. Il est heureux, c'est tout ce que je pouvais espérer pour lui.

Je repense aux comportements exemplaires de mes grands frères lorsqu'ils ont su ma relation entretenue avec Éric. Ils ont tous accepté sans porter de jugements calomnieux. Je pensais que Jacob l'aurait mal pris mais c'est tout le contraire. Il a accueilli la nouvelle avec un brin d'inquiétude qui s'est promptement métamorphosé en émotion à la limite de verser une larme. C'est ce qui fait tout le paradoxe avec la réaction violente qu'a eu Alex qui, quand le ragot est venu à sa connaissance, a été outré et n'a pas montré une quelconque joie. La surprise a été de mise chez chacun de mes amis mais aucun n'a réagis avec autant de négativité qu'Alex. J'avais peur que mon entourage amical change de comportement vis à vis d'Éric mais leur attitude envers moi n'a pas été modifié et tant mieux car ça m'aurait fait vraiment mal. Cela montre que ce sont de vrais amis car ils ne me lâchent pas quoiqu'il se passe. Il n'y a qu'avec Alex que ça coince sérieusement. J'évite à tout prix le sujet en me disant que ça ne fait qu'à peine une semaine qu'il est au courant et qu'il a besoin d'un temps pour digérer. Je n'ai pas envie de le perdre... Mais entendre sans cesse mon petit-ami être dénigré en restant correcte, ça commence à être pesant.

- Laur' ! On y va. Suis-moi. M'interpelle Max en filant devant mes yeux.

Je me redresse et abandonne à la hâte mon plateau. Je vérifie d'un coup d'œil l'heure car j'ai peur d'avoir trop été dans la lune puis de ne pas avoir fait attention aux aiguilles de l'horloge. Je suis étonnée de voir que je ne suis pas en retard. Il doit y avoir un contretemps qui fasse que l'on parte plus tôt.

Je commence à le suivre en trottinant derrière le bruit de ses talons avant de naviguer dans les couloirs à ses côtés. Il se rend d'abord à son bureau et me tend des clés. J'ai l'impression de vivre la même chose qu'il y a une semaine avec Éric. Je vais encore être tenue de conduire un véhicule. J'ai une pointe d'impatience qui grandit en moi. Je sais que les engins des Audacieux sont réputés pour avoir des chevaux sous le capot. Ça promet !

Max me fait prendre plusieurs couloirs que je ne connais pas du tout. Nous allons dans une sorte de sous-sol où une voiture est garée. Elle semble des plus normales, je me sens déçue. Je monte du côté conducteur et je mets le contact en attendant que Max ouvre la porte face à moi. Il s'installe sur le siège passager puis ferme sa portière.

- Ils ont avancé d'une demi-heure la réunion ces connards. Va falloir que tu carbures. Il m'est venu aux oreilles que tu savais plutôt bien manier un volant. Amuse-toi, elle a quatre-cents chevaux.

- Pourtant elle ne paie pas de mine ! Quatre-cents ? Je vais m'envoler avec ça ! Je croyais que la ville exerçait des restrictions sur les véhicules pour éviter de potentielles surconsommation.

- On est des Audacieux. Les lois, on peut les respecter ou pas à notre guise. Déclare-t-il le regard plein d'arrogance. Plus sérieusement Laur', s'il y a un abruti d'Altruiste du nom de Prior ou d'Eaton qui vient me casser les burnes par rapport à nos véhicules trop gourmands, je me ferai une joie de les envoyer chier. Ils sont bien contents quand nous sommes à l'heure à leur réunion ou lorsqu'ils sont dans le besoin. M'explique-t-il l'air méprisant avant de reprendre avec plus de calme. Pour ce qui est du trajet, le tunnel fait cent cinquante mètres pour finir sur de la route normale. Tu ralentiras quand nous serons dans le centre-ville. Je vais mettre du bon son qui va te donner encore plus envie de faire ronfler les cylindres.

Je démarre le moteur qui régale mon audition par le son grave qu'il émet. Max lance une playlist et tourne la molette du son sur l'écran tactile du tableau de bord. Je débraye et démarre sur les chapeaux de roue en faisant couiner les pneus. Nous sommes scotchés à nos sièges par la vitesse fulgurante du bolide. Je ne m'attendais pas à autant de puissance, c'est de la folie. La musique n'aide en rien à me faire décélérer puisque les basses cognent sur mes tympans dans un rythme des plus appréciables.

- Tourne à gauche à la prochaine intersection. D'après Éric tu roules comme une malade. Je sais qu'il t'a appris à déraper la semaine dernière avec une petite voiture appartenant aux Fraternels. Je suis curieux de voir comment tu te débrouilles. Montre-moi que tu peux manipuler cette merveille avec une hardiesse sans faille. C'est une propulsion, tu vas pouvoir t'amuser contrairement à nos gros coucous à six roues.

- Reçu. Fais gaffe, tu vas peut-être avoir peur. Plaisanté-je face à sa requête.

- Moi ? Peur ? Je fais partie des gens totalement cinglés qui se shootent à l'adrénaline. J'ai envie de frimer aujourd'hui.

Je le regarde une seconde en levant un sourcil. Il veut vraiment que je fasse des dérapages ? Moi qui le trouvais chiant, je suis en adoration face à ce Max qui se débride enfin un peu.

J'écrase donc l'accélérateur, tourne le volant puis freine pour accélérer fort de nouveau. Le train arrière part, la gomme des pneus restent noircir le bitume dans un crissement agréable. Max bouge la tête sur le tempo de la musique, il semble apprécier mon pilotage.

Je conduis encore quelques minutes en dérapant à chaque virage puis reprend une conduite douce et souple lorsque nous entrons dans le secteur des Érudits. La vitesse déforme les panneaux de signalisation et le goudron paraît lisse, dénué d'imperfections. Je trouve ça fascinant comment la vitesse joue sur la forme des objets.

Le doyen des leaders Audacieux me guide à une sorte de garage où plusieurs voitures, toutes avec un symbole différent, sont garées. Les mains des Altruistes, la balance des Sincères, l'œil du savoir des Érudits, l'arbre des Fraternels et la flamme des Audacieux. Je n'aie jamais vu autant de bagnoles de ma vie.

- Bon j'adore comment tu manies cette caisse. Éric avait bien raison. Tu maîtrises bien ton véhicule. Prête pour défoncer la gueule à tout le monde ? On ne fait pas de quartiers Laur'. Je compte sur toi, je serais là pour t'épauler mais il est primordial de prouver tes facultés d'oratrice aujourd'hui.

- Je vais remplir tes objectifs avec certitude.

- Je te dis ça pour te rappeler qu'il faut se battre pour notre faction donc fais attention à ce que tu dis et surtout calcules bien tes paroles. Tout a un impact, aussi minime soit-il.

- Compris. Tu peux me faire confiance. On peut y aller.

Nous avançons vers un ascenseur mais celui-ci est différent des nôtres. Je ne prenais que très rarement les ascenseurs des Érudits car ils étaient trop oppressants et ça me stressait énormément. Je me raidis un peu et essaie de me calmer avant que la panique prenne place. J'ai l'impression d'étouffer tellement mon corps est alerte totale comme si ma vie était menacée. J'ai très chaud, des perles de sueurs se forment sur mon front et dévalent mes tempes lentement. Je serre les poings en me sermonnant l'esprit avec fermeté : « Cette peur n'est pas rationnelle. Retrouve ton calme ».

- Je suis satisfait de t'avoir en tant que leader rien que par ce que tu es en train de faire actuellement. Contrôler et affronter ses peurs, c'est très important en tant qu'Audacieux. Ça va aller durant la réunion avec ton père ? Je te demande ça car il va être essentiel que tu fasses preuve d'un self control très complexe quand tu vas te sentir en stress. Tu ne dois rien laisser paraître car là j'ai clairement vu que tu n'étais pas dans ton état normal. C'est bien d'affronter et de contrôler ses phobies mais il faut aussi savoir faire croire que nous sommes intouchables.

- Ça ira puis de toute façon je savais dans quoi je m'engageais quand j'ai accepté d'être leader. Je savais pertinemment que j'allais avoir affaire avec Richard. Je saurais créer une vitre opaque empêchant quiconque de déchiffrer mes émotions.

- Tant mieux car on va rester au moins une heure et demie avec ton bourreau de père...

Quelle joie d'apprendre que je vais passer plus d'une heure à partager le même oxygène que mon géniteur... Je ne peux qu'être heureuse.

Arrivés à la salle de réunion dans la Ruche, nous saluons tout le monde par une poignée de main. Ça m'a dégoûté de serrer la main de mon père mais bon « la faction avant les liens du sang » ce qui veut dire que même les conflits familiaux n'ont pas lieux d'être dans ce genre d'assemblée. Il y a Marcus Eaton et Andrew Prior en tant que porte-parole des Altruistes. Richard Scott et Jeanine Matthews sont la voix des Érudits. Johanna Reyes représente les Fraternels, Jack Kang les Sincères. Chacun des membres conviés à cette entrevue s'installent sur une chaise. La pièce est circulaire, lumineuse, aseptisée. Pas de couleurs, seulement du blanc, sûrement en symbole pour rappeler que nous sommes en terrain neutre et que nous devons servir l'intérêt de tous et pas que celle de notre faction. D'ailleurs, mon petit doigt me dit que la plupart des gens ici ont oublié que ce genre de congrès est fait pour que les factions cohabitent ensemble dans la paix. Il est certain que les leaders ici présents ont omis ceci et qu'ils vont se battre pour tirer du profit seulement à leur faction et non pas aux cinq.

Andrew Prior commence.

- Bonjour à tous. Nous voilà ici pour la réunion des factions du mois. Je remarque que nous avons une nouvelle recrue chez les Audacieux. Max, tu nous fais les présentations ?

- Nous avons deux nouveaux leaders dont Laur' Scott, ici présente. Née chez les Érudits, elle nous a épaté lors de son initiation en se surpassant avec une vivacité qu'on aime particulièrement chez les Audacieux. Elle est notre unique femme leader puis n'a que cinq peurs à son compteur. Un nouvel élément qui va sûrement beaucoup nous apporter avec son confrère d'initiation, Aaron Peeters.

- Enchanté Laur'. Bienvenue à ta première réunion des factions. Nous allons débuter comme d'habitude. Les Érudits commencent et prendront ensuite la parole les Sincères, les Fraternels, les Altruistes et les Audacieux. Jeanine et Richard, je vous en prie, faites nous vent de vos projets ou de vos problèmes.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top