Chapitre 18 : La Clôture 2/4
Je courre jusqu'au dépôt d'armes dédié à la surveillance de la Clôture. Éric m'y attend sur le pas de la porte visiblement un peu énervé.
- Excuse-moi. C'est la dernière fois que ça se produit.
- J'espère bien. Dois-je te rappeler que tu es leader ? L'assiduité n'est pas une option.
- Je n'ai pas besoin de ton discours moralisateur. On commence où tu comptes encore me réprimander ?
Je l'ai surpris et j'ai aussi actionner le niveau supérieur en termes d'agacement. Je le vois car il serre les poings et fronce encore plus les sourcils.
- On part quand pour aller se faire chier aux abords de la Clôture ? Demain ? Non parce que si tu comptes me regarder tout au long de la journée avec cette noirceur dans le regard, je préfère encore partir gérer la salle de surveillance.
- Mais ma parole. Tu es une vraie tête à claques quand tu t'y mets toi. Tu as du bol que je t'aime car Max ne t'offrirait pas les mêmes faveurs. Puis tu pars défaitiste. Oui, on va se faire chier si tu l'as décidé. Tu ferais mieux de changer d'état d'esprit car être Audacieux, c'est gérer une grande partie de trucs casse couille. Prend les événements comme ils viennent au lieu de les anticiper à tort et à travers. Si tu es déjà blasée au bout d'un mois, ça va être quoi dans un an ?
- Tu me gonfles. Dis-je, très irritée à l'entente de ses paroles. Alors à part regarder l'horizon, qu'allons-nous faire de si palpitant ?
- Tu vas conduire. Tu vas apprendre à manœuvrer l'un de nos véhicules tout terrain.
Je ne m'attendais pas à ce qu'il vient de me déclarer. Je pense qu'il va aussi être épaté de son côté car il n'a pas en sa connaissance que je sais déjà conduire.
Mon père partageait qu'une seule et unique passion avec nous, le plaisir de piloter une voiture. Il nous emmenait certains dimanches avec lui. Ce sont les seules fois où j'ai pu le voir jovial. Cet homme dénué de toute forme d'empathie avait quelque chose qui le faisait vibrer. Il aurait pu le garder pour lui vu comment il nous détestait mais il a choisi de partager ce passe-temps avec ses enfants. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi d'ailleurs. Il nous haïssait tellement. L'écho de nos voix réveillait son courroux même si on s'efforçait à chuchoter le plus bas possible. Mais il acceptait volontiers d'entendre nos éclats de rire lorsqu'il faisait des dérapages. Il était très calme et pédagogue lorsqu'il nous a posté à la place du conducteur dès nos douze ans. Il était un père ces après-midi-là. Je ne connais pas cet homme avec qui j'ai grandis. Je ne le comprends pas. Peut-être ne méritons-nous pas son amour ? Peut-être que nous ne sommes que des échecs à ses yeux. Je crois que je n'accepterai jamais de déchiffrer qui il est. Ce serait avoir la possibilité de lui excuser l'impardonnable enfance qu'il nous fait vivre. La violence inouïe qui déferlait sur nous nuits et jours, ce n'est pas explicable. Du moins, je le refuse. Il est un monstre, il le restera.
Le dernier wagon partant au loin dans un bruit aigue me ramène à la réalité. On va devoir attendre le prochain train. Éric n'a pas émis un seul mot depuis que nous sommes partis du dépôt d'armes. Il est muré dans un silence que je n'ai pas envie de briser. Je me sens vexée par les phrases qu'il a prononcé. Je n'ai pas le désir d'avoir une quelconque discussion avec lui.
J'ai une semaine entière dédiée à la surveillance de la Clôture. Je ne suis pas très enthousiaste à l'idée de grimper tout en haut de celle-ci pour la protéger. J'ai une peur bleue des hauteurs. Le vertige s'empare vite de ma raison... Puis si l'ambiance est aussi tendue avec le leader, ça n'augure rien de bon. Il soupire fortement à plusieurs reprises en inspectant les aiguilles de sa montre. Les trente minutes d'attente sont un calvaire à vivre. Éric n'a de cesse de râler et commence à faire les cent pas. Je ne saisis pas la cause de sa nervosité.
- Fallait que je te dise à propos de Nathalie Prior. Tu t'es laissé déconcentrer quand tu l'as rencontré il y a quinze jours. Tu es beaucoup trop sensible aux choses qui t'entourent, à ce que l'on te dit. Quand tu es au travail, tu dois clôturer cette part empathique que tu utilises excessivement. Tu t'es dispersée alors que ton rôle était de surveiller, de prévenir, de protéger. Reste concentrée dans l'avenir.
- Ça ne s'est produit qu'une fois. Fais-je remarquer.
- Une fois de trop Laur'. Ajoute-t-il durement les yeux se détournant de moi pour se focaliser sur le train qui arrive à toute vitesse.
Je ne sais pas ce qu'il lui prend. Il est détestable aujourd'hui. C'est bien la première fois que j'ai envie d'être partout sauf avec lui.
Je me hisse dans un wagon puis me poste à l'une de ses portes en prenant soin de tourner le dos à l'homme que je suis sensée aimer.
La brise fait délicatement flotter mes cheveux blonds par moment. Je gonfle mes poumons et expire lentement afin d'essayer de retrouver une quiétude qui me ressourcera. C'était sans compter l'ordre de descendre qu'Éric me lance au ras de mon oreille. J'ai juste eu le temps de sentir son corps effleurer le miens pour assimiler sa sommation. Je prends mon élan et saute pour m'arrêter quelques mètres plus loin.
Nous sommes tout proche de la Clôture où nous percevons les nombreuses serres des Fraternels. Il y a une sorte de hangar entouré de grillages, de barbelés puis de caméras. Des fils électrifiés sont tendus sûrement pour éviter que des petits animaux pénètrent dans les lieux. Plusieurs voitures toutes identiques sont soigneusement alignées. Elles sont énormes et ont sans nul doute une protection par balle. La carrosserie est gris clair. Leurs six roues gigantesques sont à la même échelle que les suspensions... Ce sont des machines de guerres en fait et je vais devoir en conduire une. Ça va clairement être très différent de la voiture que j'ai conduite avec mon père. Je pense qu'il va me falloir un peu de temps pour que j'apprivoise le gabarit de ce monstre de métal. Le pare-buffle à l'avant devrait pouvoir embrocher au moins trois petites voitures vu les mensurations de celui-ci.
J'ouvre la portière côté conducteur qui pèse un âne mort du fait de son blindage. Je m'installe sur le siège et contemple la multitude de boutons qui m'encerclent. Je sors les clés qu'Éric m'avait donné avant de partir.
- C'est bien tu as trouvé ce qui fera démarrer la voiture. Remarque-t-il en s'efforçant à me sourire.
- Je ne te permet pas de te foutre de moi ! Puis tu appelles ça une voiture ?! Je dirai plutôt un titan ! M'exclamé-je afin de détendre l'atmosphère.
- Précisément, c'est un MRAP caïman de 14 tonnes. Il est blindé, tout terrain, dispose d'un radar et d'une radio reliée au bureau de Max en cas de gros problèmes. C'est un véhicule de transport humain. ... Bon, tu démarres ?
- Oui mais il ne faut pas inscrire un code sur ce boîtier là pour allumer toutes les fonctions du cockpit ?
- Oui détecteur de problèmes ! Ce qui est cool avec toi c'est que si j'oublie de te dire un truc, tu vas m'y faire penser. Donc, c'est une protection au cas où quelqu'un dérobe les clés et arrive à entrer dans le hangar. Le code est 170695 et c'est partout le même code pour toutes les bagnoles de notre faction. Si tu essaies sur un boîtier d'Érudit, je ne te garantis pas que ça fonctionne... Me fait-il savoir, les doigts sur le clavier numérique pour inscrire les chiffres.
- On est beaucoup à avoir le code ?
- Les leaders et d'autres personnes qui en ont besoin pour travailler. Une petite poignée d'Audacieux quoi.
- D'accord. Je conduis quand alors ?
- Tout de suite. Donne-moi le volant, je te sors le monstre pour te le mettre en position pour ton premier démarrage. Quand je l'aurai sorti tu pourras fermer les grilles du hangar puis les verrouiller ?
J'acquiesce sans énoncer le fait que j'en sais déjà un paquet sur les pratiques de conduite. Je veux voir sa tête quand il aura la surprise de me voir passer les vitesses à la perfection.
Je recule de quelques pas pour le laisser passer. Le moteur fait un bruit de malade, c'est tellement agréable. J'ai le poil qui se dresse, je vais pouvoir tenir le volant de ce monstre. Le vrombissement ressemble à celui d'un camion. Je rabats les grilles qui servent de portail et tape le code pour clôturer l'entrepôt. Éric part de la place conducteur pour se mettre du côté passager. Je m'assois sur le siège et l'avance afin de pouvoir toucher les pédales. C'est la première fois que je monte dans un engin d'une telle envergure. Le pare-brise est petit à cause de la vitre pare-balle, ce qui réduit considérablement la visibilité. Éric me montre et m'explique le fonctionnement de la voiture avec chacun de ses organes. Il me donne la consigne d'avancer sur dix mètres.
Je m'exécute avec une facilité déconcertante pour le leader au regard étonné. Je freine pour m'arrêter puis lui affiche une mine des plus satisfaite.
- Tu apprends vite ou ... ?
- On va dire que j'ai la capacité d'apprendre rapidement oui. On va où ? Le coupé-je dans le but de lui faire une démonstration plus probante.
Il m'indique sur la carte du tableau de bord un point aux abords de la Clôture. Je lui souris et rigole intérieurement en imaginant le démarrage en trombe que je m'apprête à faire. Il va falloir lui prouver que je suis loin d'être une surdouée et que j'ai quelques heures de conduite à mon actif.
J'écrase la pédale de l'accélérateur en cramponnant le volant. Le véhicule part au quart de tour en faisant patiner les pneus sur la terre. Je jette un coup d'œil à mes rétroviseurs pour apprécier le nuage compact de poussière que je viens de produire. Éric ne s'y attendait pas, il a sursauté et s'est fermement accroché à la poignée de sa portière. Je ralentis de quelques kilomètre heure puis lui lance un regard amusé.
- Comment est-ce possible que tu saches conduire ?
- Richard Scott n'avait pas que le hobby de cogner ses gosses. Il aimait énormément être derrière un volant et nous a donc transmis sa passion. Seul chose qu'il ait partagé avec amour en notre compagnie. Surprenant n'est-ce pas ?
- Je ne te le fais pas dire ! S'exclame-t-il encore abasourdie par ce coup d'envoi impétueux.
- Aurais-tu eu peur ? Toi, Éric, le leader qui semble être dénué de toutes phobies.
- Je te défends de te foutre de moi. Tu aurais tout autant flippé si tu avais été à ma place. Allez saloperie, accélère un peu. Tu te traînes le cul là. Elle a des chevaux sous le capot, utilise-les. M'ordonne-t-il en secouant la tête, un rictus profilé sur son visage.
Je tourne à gauche pour suivre la continuité de la Clôture et enfonce la pédale avec mon pied. Le moteur s'emballe dans un rugissement aux tonalités graves pour propulser la machine. Dans cet élan, mon corps est cloué au siège. Je savoure ce moment de liberté aux manettes de cette impressionnante auto.
Le paysage défile avec rapidité, je n'ai pas le temps de l'admirer. Pourtant, les vastes étendus de verdure m'attirent en temps normal. Mais le joujou aux innombrables fonctions que je manie m'obsède en retenant toute mon attention. Je zieute partout et m'émerveille face à chaque fonctionnalité. Le radar est relié à deux drones qui volent autour de notre position. Ils cartographient en prenant des images comme un satellite le ferait. Ils analysent s'il y a quelque chose qui cloche puis envoient des alertes audios en cas d'incident à notre portée. L'intelligence artificiel qui encode notre environnement est sans cesse améliorer par les Érudits, créateur de ce dispositif ingénieux.
Il y a un pré où ruminent une trentaine de vaches à ma droite. Un peu plus loin je distingue une centrale électrique qui dispose de plusieurs transformateurs qui sont reliés à des lignes hautes tension. C'est une zone exploitée par une grosse poignée de techniciens et d'ingénieurs aidés par des robots. Je tourne une molette pour passer le moteur en alimentation électrique afin d'entendre le grésillement du courant passant dans les épais fils tendus au-dessus de nos têtes. La fenêtre ouverte fait passer le vent qui embrasse les traits de mon visage puis fait virevolter quelques mèches bouclées de ma chevelure.
Le sentier devient de moins en moins praticable. J'ai beau avoir six roues motrices, je sens que l'adhérence n'est pas sûre. Je suis obligée de ralentir au vu du dérapage que je viens de faire en essayant d'éviter un énorme trou dans la chaussée. J'ai cru que la voiture allait être hors de contrôle vu comment le train arrière est partis. Éric a eu peur, il s'est vite attrapé au tableau de bord et a contacté Max pour faire des réparations. La terre explosée et éparpillée aux extrémités de l'excavation me font penser à une bombe au vu de la crevasse que ça fait. Cela nous a pas mal secoué, j'ai eu une de ses frousses ! Je me voyais déjà sur le côté ou bloqué dans ce creux.
Je sens Éric tracassé par le fait que ce soit potentiellement une bombe qui ait créé cette faille dans la terre. Ça ne vient pas de nous. Serait-ce les Sans-factions qui ont volé du matériel explosif et qui l'ont testé ici ? C'est inquiétant si c'est le cas... La crainte se fait entendre dans la voix du leader qui répond avec un calme olympien aux questions de notre supérieur.
Je circule désormais plus lentement car les butes sur le chemin se multiplient et elles deviennent de plus en plus sévères. Je traverse encore trois champs pour ensuite m'arrêter à un point de surveillance de la Clôture.
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