- Je n'ai jamais osé te demander ce que signifiait ton tatouage. Pourquoi un loup ?

- Pour le côté solitaire et sombre qui se manifeste parfois chez moi. Pour le fait que ma meute, les Audacieux, me soit indispensable. C'est aussi un clin d'œil pour ma mère. Expliqué-je timidement à la vue de son corps se rapprochant de moi.

- Cet animal te représente bien. Sauvage mais d'une loyauté sans faille pour les siens. Souffle-t-il en posant ses lèvres sur mon omoplate où l'encre sous ma peau forme mon tatouage.

Sa respiration dans ma nuque me fait frissonner. Un de ses bras enlace mon ventre et me serre contre son corps. Il me donne un baiser sur mes cheveux puis lâche prise afin de me laisser aller me vêtir.

J'enfile une simple robe avec des baskets entièrement noires. Je noircis mes yeux puis ajoute un peu de violet à mes paupières histoire de changer un peu mes habitudes.

Une idée m'est venue à l'esprit, je dois l'exposer à Éric.

- Je veux me faire tatouer pour ma mère. Décrété-je en le rejoignant sur le balcon.

- Tu veux te faire tatouer quoi ?

- Une patte de loup sur les côtes juste au-dessus de mon cœur. C'est l'endroit le plus douloureux, le plus symbolique pour la mère protectrice qu'elle a été pour nous. Elle a tout donné pour sa descendance et elle est toujours restée à nos côtés sans faiblir, sans montrer aucun signe de douleur. Elle a la force de cet animal et je veux que l'empreinte qu'elle a laissé sur moi soit visible. Je ne veux plus que cela soit transparent. Je veux me souvenir de sa force inépuisable à chaque fois que je verrais cette marque indélébile.

- C'est une preuve d'amour qu'elle serait sûrement heureuse de voir. Tu as de la chance d'avoir une mère qui t'aime autant. Fonce au salon de Tori.

Je souris tandis qu'une larme glisse le long de mon visage pour être essuyer par le dos de l'index de l'homme aux bras tatoués. Il me presse contre son torse un bref instant puis m'insuffle la détermination pour sauter le pas. J'enfile rapidement un croc top puis un jean slim pour pouvoir exposer cette nouveauté à tout le monde puis aussi pour une question de praticité. La robe étant handicapante pour tatouer cet endroit du corps.

Je décampe rapidement de chez moi et me rend en quelques minutes au salon. J'ai passé une longue heure à serrer les dents sur le siège. Le résultat est bluffant, on dirait une vraie patte de loup qui a du relief grâce aux ombres. Je remercie le tatoueur puis disparaît pour arborer fièrement ce nouveau tattoo. Je me pavane brièvement devant mes frères attablés avec Max et Éric. Je leur indique tout bas la signification de cette empreinte puis pose une main compatissante sur l'épaule de Jacob. Ils semblent touchés par mon geste même s'ils ont une certaine retenue étant donné que nous sommes en public.

J'indique à Éric que je passe la soirée avec toute la clique de l'initiation. Il me prononce simplement « Reçu » puis retourne à son assiette. Ça ne semble pas le déranger.

J'ai déjà repéré où était la table de mes Audacieux préférés. Je m'assois à côté d'Haley, la poussant au passage pour lui signaler mon arrivée. Elle me regarde méchamment avant de se rendre compte que ce n'est que sa chieuse d'amie qui vient l'embêter une fois de plus. Elle s'empresse de me faire un câlin puis passe un bras sur mes épaules.

- Ça fait trop longtemps qu'on ne s'est pas vu Laur' ! Faut fêter ça ! Homme, ramène des bières. S'écrie-t-elle en direction d'Aaron qui la regarde stupéfait.

- Cela ne fait que six jours qu'on ne s'est pas tous réunis. Ça va ! Pas besoin d'arroser ça. Rié-je face à la réaction de mon collègue leader.

Tout le monde est présent, même Jenna, notre nouvelle recrue accrochée au bras d'Alex. Je lui fais mon plus grand sourire ainsi qu'un clin d'œil qu'il me renvoie aussitôt. Zeke a ramené plusieurs verres de bière afin de faire un peu la fête pour nos retrouvailles.

- Tu ramènes une bouteille pour fêter le fait que tu as été très con de cogner des Sincères ? Demandé-je dans un ton ironique.

- Va te faire foutre Laur'. Il ne vaut mieux pas qu'on en parle. M'expose-t-il en me mitraillant du regard.

- Tu peux simplement avouer que tu as merdé au lieu de m'agresser. Puis tu aurais pu tenter de me prévenir que l'autre abruti voulait t'en coller une vue que tu avais un visuel sur lui. C'est moi qui me suis pris le coup pour info. Heureusement qu'il n'avait pas un couteau...

- Si j'avais pu t'éviter ce coup, je l'aurais fait. À croire que devenir leader, ça vous lobotomise et vous rend totalement imbue de vous-même. Rétorque Zeke fou de rage.

Qu'est-ce qu'il peut être susceptible celui-là. Au lieu de se remettre en question, il préfère rester sûr de lui qu'il a fait le « bon » geste... C'est vrai que dépouiller deux branles couilles de Sincères est très intelligent. Leur mettre un pain je ne dis pas mais les massacrer, je trouve ça puérile irresponsable et un poil extrême.

- Dois-je te rappeler qu'il y a de ça quelques semaines, tu étais en train de te faire cogner par ton cher papa. N'oublie pas d'où tu viens. Tu n'étais rien ici avant de débarquer. Balaye devant ta porte avant de faire la leçon à tout le monde. Me sort-il de but en blanc en laissant tout le monde muet.

Quatre se lève d'une traite les poings serrés mais Aaron l'invite à se rasseoir, en vain.

- Il y a quelques semaines, elle n'était rien pour les Audacieux mais aujourd'hui, elle est ton leader. Ce n'est pas parce que c'est ton « amie » que tu dois croire que de tels propos sont normaux d'être dit de cette sorte. Leader ou pas, tu es totalement irrespectueux. Commence à argumenter Aaron très agacé par l'attaque de Zeke.

- Laisse Aaron. J'aurais juste aimé éclaircir une chose. Tu dis que je dois balayer devant ma porte. Pourquoi au juste ? L'interrogé-je non pas agacée mais piquée de curiosité.

- Des rumeurs traînent sur toi et Éric. Je comprends mieux pourquoi tu as fini première de l'initiation. Puis ton entrevue avec Jeanine hier n'est pas passée inaperçue au sein des Audacieux qui faisaient partie de ta patrouille. Tu es une ex Érudite, je n'ai aucune confiance en toi. Déblatère-t-il d'une manière des plus dédaigneuse, ce qui me fait horreur.

- Casse-toi Zeke. Ton égo a été touché et tu dis de trop grosses conneries pour que j'accepte ta présence à cette table. Ordonne Quatre, toujours levé et prêt à en découdre.

- C'est bon, laisse-le. L'ex Érudite fiche le camp. Si vous êtes tous autant hypocrites que lui, je n'ai aucune envie d'être avec vous. Dis-je blessée et furieuse.

Je me lève et fuis leur table sans sourciller. Je vais me réfugier seule les pieds pendant au-dessus du Gouffre. J'ai besoin d'être seule après ce que je viens d'entendre. Être native Érudit me vaut ces jugements, cette méfiance... Qu'est-ce que ça peut être désolant. Dois-je me couper de tout le monde et rester proche seulement de mes frères et d'Éric pour ne pas avoir ces « amis » qui ont des soupçons ? Je trouve que c'est dommage de se fermer aux autres. J'aime vraiment Haley, Aaron et Alex. Mais que pensent-ils de moi ? L'Érudite collabo, c'est l'étiquette qu'on m'a collé. S'il y a bien une faction que je déteste, c'est bien celle où j'ai grandi.

- Il ne pensait pas ce qu'il disait tu sais ? Il était sous le contrôle de la colère. Défend la voix de Quatre dans mon dos.

- Fous-moi la paix. Pars loin de moi. Je veux être seule. Dis-je sèchement.

- Laur'...

- Désencombre mon espace vital Quatre. Sinon je vais aussi émettre des infamies stupides sous l'effet de la rage. Pars. Exigé-je sans lui jeter le moindre coup d'œil.

Je l'entends soupirer bruyamment et tourner les talons. Ses pas s'éloignent de plus en plus jusqu'à se stopper pour me laisser parvenir à l'oreille plusieurs voix. Du monde approche... Je me lève pour aller ailleurs mais je tombe sur Aaron, Haley et Alex les bras chargés de burgers, de barquettes de frites et de muffins par dizaine. Je les regarde en ayant les yeux qui se remplissent de larmes. Haley ouvre ses bras pour m'étreindre durant quelques secondes.

- On t'a ramené plein de bouffe. Pour lutter contre la faim ! M'annonce-t-elle toute fière du repas qu'elle m'a apporté.

- On va vous laisser entre filles. On voulait juste te rassurer pour que tu ne te tortures pas l'esprit avec ce qu'a raconté Zeke. Nous avons vécu l'initiation avec toi. Nous sommes persuadés que tu es digne d'avoir cette première place. Pour ce qui est de Jeanine, Quatre nous en a touché deux mots sans aller dans le détail. Ne te fais pas de mouron. M'apaise Aaron. On sait qui tu es, on aime la personne que tu es. Même si tu peux être assez explosive quelques fois, tu restes quelqu'un de profondément bienveillant. Je suis ravi d'être leader à tes côtés Laur'. Me précise-t-il pour conclure avec Alex à ses côtés qui me sourit en hochant la tête.

- Je... Je ne sais pas quoi dire... Merci.

- Profitez. Je pense que vous avez des choses à vous dire. À plus tard. Nous salut Alex qui pivote son corps pour partir de notre champ de vision avec Aaron.

Haley donne un baiser à l'homme avec qui elle vit puis m'invite à nous asseoir.

Cet endroit est un peu une métaphore de mon état en ce moment. Je suis au fond du gouffre en train de me noyer... Haley laisse pendre ses jambes dans le vide. Toutes les deux, on a changé au cours de l'initiation autant physiquement que mentalement. Nous ne sommes plus les mêmes.

- Ça va avec Aaron ?

- Trop bien ! J'ai l'impression qu'il est parfait en tout point. Je me demande où est l'arnaque parfois ! Et toi ? Toujours pas le grand amour ?

- Pose ta vraie question Haley. Je vois bien que ça te brûle les lèvres... Fais-je remarquer.

- Avec Aaron on se pose plein de questions à propos de toi. Toi et Éric... Tu ne peux pas dire qu'il n'y a rien entre vous. Les regards que vous vous échangez depuis quelques semaines ont bien changés des regards du début de l'initiation... Tu sais, je m'en fiche que ça soit Éric ou un autre. Ce que je vois c'est qu'il te rend heureuse et c'est tout ce que je te souhaite. Je ne suis pas le genre de personne à vouloir contrôler ta vie. Je veux te voir vivre dans le bonheur surtout après l'enfance désastreuse que tu as vécu. Me tranquillise Haley pour mieux me soutirer des informations.

- Haley... Soufflé-je la peur me grignotant les tripes.

- Quoi ?! Vous êtes ensemble alors ?!

J'acquiesce d'un simple hochement de tête en roulant des yeux. Elle se hisse sur ses deux jambes et sautille sur place.

- Je le savais ! Je le savais ! S'écrie-t-elle la joie imprimée sur son visage.

- Ça ne te gêne vraiment pas que je sois avec Éric ?

- Bah non ! Je ne sais pas trop ce que tu lui trouves mais vous vous aimez non ?

- Euh oui... Sinon je ne serais pas avec lui.

- C'est trop mignon ! Un couple de leader Audacieux quoi ! Je t'ai raconté pour Aaron et moi, c'est ton tour désormais ! Je serais muette comme une tombe ! Jure-t-elle en trépignant d'impatience comme une enfant de quatre ans.

- Si tu insistes...

Me voilà engager à entrer dans le récit de cette histoire qui a débuté depuis déjà quelques temps. C'est à ce moment-là que je me rends compte qu'on se tournait autour depuis le jour où on s'est rencontré. Il m'insupportait et c'était réciproque... Si je ne m'étais pas faite agressée, on ne serait pas encore ensemble mais ce se serait probablement fait quand même plus tardivement certes. Il y a une alchimie entre lui et moi. Il m'attire malgré sa désinvolture et son air impassible. C'est plus fort que moi. Quand je le vois, j'ai cette sensation étrange... Comme si mon cœur devenait de la guimauve et que je n'avais que de l'admiration en son égard. C'est très niais comme sentiment. La force de ce qui nous unit nous consume, nous anime. C'est à la fois beau et terrifiant. Haley approuve cette ambiguïté très déstabilisante. On se comprends beaucoup toutes deux. On passe par les mêmes étapes et c'est très instructif de voir comment elle dépasse certaines difficultés. Pour les premiers moments intimes, elle m'a conseillé de laisser faire les choses, de ne pas se fixer un moment où il doit se passer l'acte. Il ne faut pas prévoir, il ne faut pas se mettre de pression. On doit se laisser porter puis l'occasion se présentera naturellement. Elle m'a apporté du réconfort et des réponses car je vivais tous ces événements dans mon coin, seule.

Le reste de la soirée se déroule sans problèmes et le fil de nos discussions est tellement agréable que l'on a omis de surveiller l'heure. Il est tard mais nous avons passé un moment de qualité entre amies. C'est tout ce que nous retenons de cet instant hors du temps.

Je la remercie chaleureusement pour sa gentillesse, pour son amitié car je ne sais pas ce que je ferais sans elle. Je tiens à mes amis, ils me sont précieux. J'ai peur d'oublier ça et de dépasser les bornes en sortant de mes gonds... Elle me laisse sur le pas de ma porte pour s'évaporer en direction de son logement. Je ne tarde pas à trouver le sommeil dans ce lit chauffé par le corps ensommeillé d'Éric. Je prête attention à mes gestes afin de ne pas le réveiller. Mes yeux se posent sur la silhouette de son visage qui se trace délicatement dans l'obscurité. Je savoure l'odeur de parfum et de transpiration qui émane de son corps. Que j'aime cet homme.