Chapitre 17 : Leader en patrouille 3/4
Le réfectoire est plein à craquer donc nous prenons des sandwichs que nous mangeons sur un petit mur où le soleil donne à cette heure-ci. Le temps est plus clément qu'hier, il fait plus chaud et c'est vraiment agréable.
Je m'assois sur le muret à deux mètres de ma patrouille. J'observe ces Érudits qui me dégoûtent au plus haut point. Je n'ai pas envie d'être ici avec ces abrutis vaniteux, hypocrites et d'une méchanceté sans frontière. Ces gens qui ont condamné ma mère à vivre avec un monstre. J'ai envie d'anéantir tout le monde aujourd'hui. Même mes coéquipiers m'insupportent et leurs blagues me tapent sur les nerfs. Deux d'entre eux se chamaillent et chahutent en se faisant des croches pattes.
- Cessez vos enfantillages. Vous n'êtes pas dans une cour de récréation. Vous êtes certes en pause mais vous avez l'obligation de rester vigilant. Si l'un d'entre vous s'étale comme une merde au sol et abîme par la même occasion son arme. Je me ferai un plaisir de lui foutre la crosse de mon fusil dans la mâchoire histoire que la leçon laisse une certaine trace. Lâché-je exaspérée. On peut s'éclater, nous sommes des Audacieux après tout mais cessez d'être stupide. Continué-je dressée sur mes deux jambes, les bras imbriqués l'un dans l'autre contre mon buste.
J'ai clairement jeté un froid. Je n'avais déjà pas envie d'être dans ce secteur de la ville. Désormais, je n'ai même plus envie d'être avec ces individus qui font partie de ma faction. Je me sens irritée, je me sens à fleur de peau et prête à en découdre avec tout le monde. J'ai l'impression que la terre entière est contre moi. Chaque regard qui me croise reçoivent les tirs de mes yeux connectés à la rage bestiale de mon cerveau.
Ma mère et ses révélations, Éric qui m'abandonne aujourd'hui sans explications, Jacob qui m'ordonne de tenir le coup comme si c'était possible et ces putains d'Audacieux patrouillant avec moi qui n'ont aucune qualification. Tout me gonfle, tout m'est infernal à vivre. C'est trop, c'est même beaucoup trop. Je sens la tempête arriver, ça ne va pas être beau à voir. J'ai envie de m'isoler pendant quelques heures afin de retrouver le calme intérieur. Mais ce n'est pas faisable. Je suis leader, j'ai des responsabilités et même si je n'étais pas dirigeante, j'aurais l'obligation d'occuper mon poste quoi qu'il se passe dans ma vie. J'enverrai bien tout valser...
Arrivés sur la grande place devant la Ruche, nous nous séparons en ne se perdant pas de vu au cas où un problème surviendrait. Enfin un peu de tranquillité. Je pense que j'ai tellement été détestable qu'ils ont adoré l'idée de se disperser.
Une Altruiste devant moi fait tomber une montre de sa poche. Je la ramasse furtivement puis la cherche en scrutant les environs. Je l'entrevois derrière un groupe de Fraternels déambulant sans réel but. Je l'interpelle pour la faire cesser de marcher. Je me fige un bref instant que je reconnais Natalie Prior et ses deux enfants à sa droite.
- Vous... Vous avez fait tomber votre montre. Affirmé-je en lui tendant l'objet dépourvu d'une partie du bracelet.
- Ho merci Laure. Il faut vraiment que je la fasse réparer. Déclare-t-elle avant de laisser flotter un silence de quelques secondes dans le tumulte bruyant de la place où nous nous trouvons. Comment vas-tu ? Ta mère se porte-t-elle bien ? Me questionne Natalie avec un brin de tristesse et d'inquiétude dans la voix ainsi que dans ses yeux.
Elle sait.
- Euh... Disons qu'elle va mieux. Mes parents divorcent. L'informé-je d'une façon des plus détachée malgré mon intérêt face au fait qu'elle connaisse ma mère.
- Ah, je suis soulagée de l'apprendre. Souffle-t-elle comme si un poids, posé sur ses épaules, venait de se retirer.
- D'où vous la connaissez ? Comment savez-vous pour Richard ? Demandé-je, cédant à la curiosité qui tourbillonne dans ma tête.
- Cela n'a pas d'importance. Me répond-elle en demandant à son fils et à sa fille de partir devant.
- Il n'y a peut-être pas grand intérêt pour vous que j'ai en ma possession ce genre d'informations, mais cela compte pour moi. Je pensais qu'elle ne s'était confiée à personne. Dites-moi le peu de choses que vous savez.
- Je n'ai rien à t'apporter qui te sera utile. Tu as tellement grandi Laure. J'espère que tu réussis ton début de carrière de leader chez les Audacieux. Tu étais tellement bout en train petite que ça ne m'étonne pas que tu finisses dans cette faction. Tu devrais voir Andrew, mon mari, lors des réunions.
- Nous nous sommes déjà fréquentées ? Pourquoi ce que vous savez ne me serait pas nécessaire ? Je ne comprends pas. Si vous saviez pour ma mère, pourquoi ne pas l'avoir aidé vu que vous êtes Altruiste ? Vous ne pouvez pas me refuser...
- Je dois y aller. Au revoir. Me coupe-t-elle en me laissant en plan.
Je la regarde s'éloigner. Je me sens un peu perdue sur ce coup-là. Elle connaît ma mère et elle sait pour mon père... Elles ont dû réussir à communiquer même en étant dans des factions opposées. Mais bon, ça reste bizarre surtout la façon dont elle m'a dit que j'avais grandis... Elle m'a fait passer mon test pourtant et elle était plutôt indifférente face à moi. Puis là, c'est comme si j'étais une personne familière pour elle. En plus, elle fuit mes questions et m'abandonne avec dix mille interrogations sans entrevoir une seule réponse. Je vais tenter de ne pas essayer de comprendre, ça m'évitera une prise tête pour rien. Je commençais à changer de ton lorsqu'elle m'a coupé. Je culpabilise de m'être emportée, peut-être est-ce ma faute si elle n'a rien voulu me divulguer.
L'oreillette sonne, c'est le groupe Sud qui nous demande des renforts à cause de Sans-factions qui foutent le bordel. Ils sont trop pour qu'ils s'en occupent à six donc toutes les patrouilles Érudites sont mobilisées pour repousser les intrus. On court à toute allure pour pouvoir gérer le problème avant qu'il ne devienne incontrôlable. Je dispatche les soldats par groupe de deux car il y a au moins une quinzaine de forcenés armés de couteaux et de petites mitraillettes sûrement volées dans un entrepôt mis à sac il y a quelques jours. Nous commençons à nous avancer pour leur faire face. L'un me fonce dessus et essaye de me poignarder avec un petit canif. Je lui fais perdre équilibre et lui donne de nombreux coups de pieds dans l'abdomen. Il hurle de douleur. Je prends mon arme, lui colle une balle dans la cuisse puis me cache sur le côté d'un gratte-ciel. Plusieurs personnes de mon équipe se stoppent devant moi et m'observent d'une façon étrange après avoir entendu des coups de feu venant du camp adverse.
- Vous les tuez sans réfléchir. Pas de pitié pour ces fils de pute. Crié-je le dos collé à la façade de l'édifice.
Le sans-faction qui a volé à la bibliothèque est présent. Lorsqu'il me voit, il donne l'ordre à ses semblables de partir puis de cesser les tirs. Il s'approche de moi pour récupérer l'homme que je viens de blesser. Il fuit mon regard et baisse la tête.
- Si vous voulez la guerre, vous l'aurez. Mais vous n'avez clairement pas choisi le bon adversaire. Je vous crèverai tous un par un s'il le faut. Dis-je en visant le voleur de ce matin.
J'ordonne le cessez le feu, le laissant seul survivant avec son camarade à la jambe ensanglantée.
- On rentre, il est l'heure. Sommé-je les Audacieux sous mes ordres. On va courir jusqu'à l'enceinte pour vider notre tête de toute cette violence vécue aujourd'hui.
Ils me regardent tous d'un air épuisé. Je ne m'attarde pas longtemps sur leurs visages dépités puis part en trottinant pour qu'ils m'emboîtent le pas.
- Le premier qui arrive aura le droit de me poser une question. UNE seule. Indiqué-je pour leur donner une petite motivation aussi minime soit-elle.
La compétition réveille les Audacieux. On commence à s'élancer comme des dingues en suivant les rails du train. Je détache mes cheveux pour les laisser respirer l'air frais de la fin de cette journée tumultueuse. Mes muscles me font mal mais je repousse mes limites. Où se trouve justement cette frontière ? Il n'y en a pas. Les Audacieux sont dans l'excès et le mot « limite » n'existe pas dans leur langue. Le dépassement de soi, aller toujours plus loin, c'est ce qui nous caractérise si bien.
Je remplis mes poumons d'air et expire tranquillement. Le seul bruit qui parvient à mes oreilles est le son des baskets qui frappent le sol. Lorsqu'on arrive au dépôt d'armes, on entend que des respirations haletantes. Une femme est arrivée première et elle vient se poster fièrement face à moi.
- Alors ? Je peux poser ma question.
Je me dis qu'elle ne manque pas de cran mais je respecte le deal que j'ai énoncé au début de la course. Je joue franc jeu avec eux et cela vaut mieux pour moi si je ne veux pas qu'ils me détestent. J'acquiesce d'un signe de tête en refaisant mes lacets.
- Tu es en couple avec Eric ? Me questionne-t-elle.
Sa question impose le silence. Les yeux sont rivés sur moi, la curiosité les bouffe à vue d'œil.
- Oui. Confirmé-je en affichant un simple sourire.
Des regards furtifs et une vague de chuchotements se manifestent autour de moi. Je les salue et les laisse à leur spéculation.
Je fonce en direction de mon appartement pour prendre une bonne douche bien chaude. Je me sens tendue par les évènements de la veille et j'ai eu du mal à contenir mes émotions aujourd'hui. La sensation de vide s'est amoindrie. Mais j'ai désormais de la colère qui est comme une bête en train de guetter la première occasion qui lui sera offerte pour surgir et dépouiller ce qui vient à son encontre.
Je rentre en faisant un vacarme sourd qui fait sursauter Éric. J'esquisse un sourire moqueur puis me glisse dans ses bras.
- Je viens de prendre une douche et toi toute suante, tu viens te coller à moi ? Brillante idée. Souligne-t-il une main sur mon épaule pour me repousser.
Je ris et lui donne un baiser sur le bout des lèvres pour ne pas salir sa personne toute propre. J'avoue le provoquer aussi un peu avec ce baiser d'une légèreté qui le surprend vu comment ses yeux étonnés me montrent qu'il semble rester sur sa faim.
Il s'approche de moi, passe sa main sous le col de ma veste puis y sort quelque chose.
- Je peux savoir ce que c'est ?
- Un micro, il fallait bien que je te suive d'une manière ou d'une autre aujourd'hui... Je dois pouvoir t'évaluer je te rappelle.
- Et me prévenir était une option ? Demandé-je énervée autant que gênée d'avoir été épiée.
- Tu n'aurais peut-être pas été aussi spontanée. C'était aussi un exercice pour t'observer seule sur le terrain. Si ça peut te rassurer, tu as été juste. Un peu trop à mon goût car le sans-faction méritait clairement de crever. Mais tu as fait ton choix qui n'est ni bon ni mauvais. Aller, va te doucher et ne prend pas la mouche. Finit-il en levant les yeux au ciel, visiblement irrité par mes sourcils froncés et ma posture sur la défense.
Je prends une douche. L'eau chaude ruisselle le long des courbes de mon corps. La cicatrice de ma blessure n'est pas très belle... Elle est grossière, large et très visible. Vu que j'ai mal effectué les soins, la plaie s'est élargie lorsque j'ai fait mon infection. Elle est rouge et forme une surépaisseur. On ne peut pas la louper. J'aimerais éviter d'en faire un complexe mais elle m'exècre tellement... Je détourne toujours le regard quand elle entre dans mon champ de vision face au miroir et elle me donne la nausée quand je m'y attarde. Je ne suis déjà pas un canon de beauté avec mon nez imparfait qui gâche mon visage mais alors avec la cicatrice, cela n'arrange rien. Heureusement que cette balafre est sur mon abdomen et pas sur une de mes pommettes ou sur mon front.
Je passe une serviette autour de ma poitrine et sors de la salle de bain pour aller prendre les vêtements que j'ai laissé sur le lit. Le regard d'Éric se pose sur mes jambes nues. Je le regarde et deviens rouge comme une pivoine.
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