Chapitre 17 : Leader en patrouille 1/4

     La lumière du jour vient me réveiller. Éric m'a bercé une bonne partie de la nuit pour que j'arrête de pleurer. Il est épuisé.

Je me redresse tout en m'étirant. J'ai l'impression que l'on m'a arraché le cœur, je ne ressens que de la tristesse et un vide effroyable. Je ne peux pas garder ça pour moi... C'est beaucoup trop lourd à porter puis mes frères ont le droit autant que moi de savoir la vérité. Je sors du lit même s'il n'est que six heures. J'ai besoin de voir Quatre avant de lancer une bombe au sein de la fratrie. J'enfile ma veste et commence à partir.

- Tu surmonteras cette épreuve comme tu en surmonteras des tas dans ta vie. Tu es forte Laur'. Souffle Éric derrière moi.

- Je ne sais pas si je vais trouver la force pour me relever...

- Tu es une Audacieuse. Tu te relèveras, tu dois rebondir. Tire du positif de cet événement dramatique. Je t'aime.

- Je t'aime aussi... Soupiré-je face à cette difficulté qui me semble insurmontable.

Je lui souris et sors de l'appartement. Je traverse plusieurs couloirs et arrive devant chez Quatre. Je toque et entre instantanément chez lui. Il est redressé dans son lit, les yeux pleins de sommeil.

- Excuse-moi... Dis-je en baissant le regard sur le sol.

- Non, ce n'est rien. Il fallait que je te parle de toute manière. Je serai même aller te chercher chez Éric dès ce matin si tu n'étais pas venue me voir.

- Pourquoi ? Il se passe quoi ? L'interrogé-je inondée d'angoisses qui me transpercent les méninges.

- C'est plutôt à moi de te poser cette question... Je ne t'ai jamais vu dans un état semblable à celui que j'ai vu hier et que je revois aujourd'hui. Ce que je suis sûr, c'est qu'Éric n'a rien à voir avec ta douleur. M'annonce Quatre en me laissant une place à ses côtés pour que je vienne m'asseoir.

- Hier Jeanine m'a accordé vingt minutes avec ma mère.

- Jeanine qui accorde quelque chose, il y a forcément une contrepartie... Et ça s'est bien déroulé tes retrouvailles avec Marie ? C'est de la laisser avec ton père qui te rend malade ?

Mes larmes viennent humidifier goutte à goutte mon pantalon. Le flot salin est tellement important que mes pupilles n'arrivent même plus à rendre plus net ce qui m'entoure. Quatre prend mes mains et me regarde d'un air inquiet. Il ne dit rien. Je lui explique donc tout ce qui s'est produit en détail la veille dans l'habitation où j'ai grandi. Je lui raconte cette culpabilité qui me broie les os, ce choc ressenti qui me donne la sensation qu'on a extrait mon palpitant à main nu en me brisant la cage thoracique pour le déraciner.

Je n'utilise que des termes violents, les vrais mots pour décrire l'horreur. Viol conjugal, maltraitance, abus, sévices, humiliation... Ma mère a été saccagée, torturée, malmenée pendant près de vingt-quatre ans. Presque une génération entière de malheur parsemé de bribes de bonheur que sa descendance et son métier lui ont procuré. Quatre est choqué par les mots que j'utilise mais c'est la vérité et telle est la façon dont elle doit être dite. Ça ne sert à rien de se voiler la face, ce serait de la pure lâcheté. Je suis Audacieuse et même si l'indéniable me torture, il est inébranlable. Ma mère a été victime de violences conjugales, de viols conjugaux et ses enfants ont eu affaire aux coups fracassants des poings de leur père. C'est ainsi.

Mais la roue finit toujours par tourner et mon père le paiera de nous avoir fait autant de mal. Ma tristesse a disparu et c'est maintenant la colère qui a pris possession de moi en une fraction de secondes.

Je décris ce que je ressens à Quatre et je le sens perplexe. Peut-être se demande-t-il si sa mère a vécu le même supplice ? Je ne sais pas.

- Tes frères le savent ? Me questionne-t-il gêné par le courroux qui s'est emparé de mes pensées.

- Non, je vais aller les voir là mais je voulais te voir avant. J'avais besoin de te dire tout ça.

- Tu veux que je t'accompagne ?

- Non... Je dois leur dire seule. C'est une histoire de famille. Cela doit rester entre nous, dans notre cercle restreint.

- Je comprends. Vas-y tout de suite car Jacob est du genre à partir tôt pour aller à la salle d'entraînement.

J'acquiesce par un hochement de la tête en me postant sur le seuil de la porte. Je sors et prend l'ascenseur pour aller chez mes frères. Devant leur entrée je faiblis. J'ai soudain une peur terrible qui m'envahit. Je vais les détruire et encore, c'est un euphémisme. Je vais leur faire du mal mais je ne peux pas porter ce fardeau seule. Ça n'appartient pas uniquement à ma personne ces révélations sur NOTRE mère.

Je frappe deux fois sur la porte et attend qu'on vienne m'ouvrir. Ryan est torse nu, les yeux à moitié fermés.

- Qu'est-ce qu'il y a petite sœur ?

- Je peux entrer ? Demandé-je la voix tremblotante d'angoisses.

- Ah euh oui. Vas-y, je t'en prie.

- Jacob et Ethan sont là ?

Ryan acquiesce en me laissant passer devant lui. Jacob affiche une mine apeurée en m'apercevant dans leur logement à cette heure-ci avec un teint blafard à l'image de ce que j'ai à leur dévoiler. Il m'embrasse le front et me serre contre lui.

- Laur' ? Ne me dis pas que tu viens nous annoncer un décès.

- Ce n'est pas le cas. Divulgué-je, la crainte me dévorant les cordes vocales. Asseyez-vous tous les trois. Ordonné-je tout bas d'une façon des plus sèche possible.

Leur inquiétude dans leurs yeux est devenue encore plus terrifiante. Je me sens accablée par le poids de ce que je vais leur apprendre. Je les regarde, ceux qui ont grandi avec moi, ceux pour qui je donnerai ma vie sans hésiter et je m'effondre. Mon visage se prend une vague gigantesque de pleurs.

- Je ne peux pas. Baragouiné-je les mains clouées sur mon ventre.

Un corps se colle à moi pour m'enlacer, celui de mon frère le plus âgé. Il reprend sa place de pilier pour que je puisse m'appuyer sur lui, sur sa stature invincible de grand frère protecteur. Je calme mes sanglots et débute mon récit.

Tout est saccadé mais clair. La bombe est prête à exploser pour déchiqueter l'âme des trois hommes à mes côtés.

- Maman sait tout de ce que Papa nous faisait vivre. Elle est elle aussi une de ses victimes. Il la violait, la battait, l'humiliait et j'en passe. Jeanine n'en a eu que faire des supplications de notre mère. Elle lui a refusé de l'aider et l'a condamné à rester avec cet homme sans pouvoir porter plainte. Nous sommes tous issus de viols répétés. Notre mère était cognée et nous ne le savions même pas. Sûrement trop occupés à nous sauver nous-même de ce monstre... On aurait pu protéger notre mère, on aurait peut-être pu la secourir et l'arracher à ce tyran.

Jacob cogne violemment un mur à plusieurs reprises. Il essai de cacher ses pleurs mais j'entends son souffle entrecoupé. Ethan retient ses larmes et se penche comme si je venais de lui asséner un violent coup. Ryan, lui, ne cache pas sa douleur et pleure contre moi.

Mon frère aîné continue d'abattre ses poings sur le mur jusqu'à s'exploser les phalanges qui sont dépouillées et imbibe les parpaings de sang.

- Je suis désolée mais je ne pouvais pas garder ça pour moi... Déclaré-je en faisant barrage pour le stopper net dans sa propre destruction.

- Je t'en aurais voulu si tu ne nous l'avais pas dit Laur'. Tu as bien fait de nous tenir informer. M'atteste Ryan en passant rigoureusement ses mains sur son visage mouillé.

Jacob s'empare de sa veste et saisit son arme posée sur la table de la cuisine. Il me jette un regard furtif rempli d'une rage que je ne connais pas chez lui. Je me rue sur la porte d'entrée pour l'arrêter.

- Je vais le tuer... Quitte à ce que je sois tué après. Maman sera libérée de lui et Béatrice pourra vivre une enfance normale. Bouge-toi de là Laur', je n'hésiterai pas à te dégager de mon chemin. Me menace-t-il en plaçant son arme dans le rangement fixé à sa ceinture.

- Non, ne fais pas ça. Ils divorcent, j'ai vu et lu les papiers qui attestent leur séparation. Je n'y croyais pas au début mais elle me l'a prouvé.

- Mais pourquoi n'a-t-elle pas tout fait pour porter plainte ? Pourquoi ?! S'énerve Ethan toujours accablé par la douleur dans sa posture.

- La peur... La peur de nous perdre... La peur de lui... Puis Jeanine l'empêchait de faire quoi que ce soit. Elle était surveillée H24 et était dans l'impossibilité d'appeler au secours. Et même si elle l'avait fait, Richard l'aurait manipulé pour qu'elle démente ses paroles. Elle était tellement fébrile, tellement prostrée qu'il aurait gagné à tous les coups. Ils l'ont condamné sans aucun scrupule.

Ethan lâche prise et se vide de ses larmes. Il se place à côté de moi et me serre contre lui. Jacob vient nous rejoindre et pleure avec nous. Je ressens le désordre émotionnel qui les torture. Je me sens un peu mieux qu'à mon arrivée comme si tout était moins lourd, comme si on s'était partagé la charge à porter. C'est hyper douloureux mais c'est beaucoup plus supportable. Cependant, j'ai encore ce creux dans la poitrine qui aspire toutes mes entrailles pour exploser incessamment sous peu je ne sais quand et comment. Je sens ce vide grandir malgré ce bref soulagement dû à l'annonce faites à ma fratrie. J'ai peur de péter un plomb, d'être violente, d'être faible en m'écroulant face à tous les Audacieux. Je vais devoir m'armer d'une carapace et fermer mon esprit. Je vais calquer les comportements d'Éric. Je suis dans l'obligation de performer vu que je suis encore évaluée pour qu'on me grade au sein des leaders.

Je me sépare peu à peu de mes frères pour partir rejoindre mes patrouilles. Je vais dans leur salle de bain pour me passer de l'eau sur le visage puis me maquiller avec un brin de mascara et d'eye-liner que j'avais placé dans mes poches. Je dissimule du mieux que je peux ma peau rougie par les larmes avec le fond de teint. Jacob toque légèrement avant de s'avancer dans l'encadrement de la porte.

- Je voulais te dire que je suis content pour toi et Éric. M'annonce-t-il tout bas en s'appuyant contre le lavabo.

- Je pensais que tu le prendrais mal... Avec ton côté surprotecteur, j'imaginais une catastrophe de ta part.

- Non, c'est quelqu'un de bien. Tu mérites amplement un homme comme lui. J'ai vu l'amour qu'il te portait hier quand il m'a avoué qu'il y avait quelque chose entre vous. Gardes-le, je ne pense pas qu'il en existe deux comme lui Laur'. Sèches tes larmes nous devons y aller. C'est la suite de ta deuxième mission aujourd'hui. Ferme tes sentiments et montre-toi intransigeante. Me conseille-t-il avant de me laisser passer devant lui pour m'accompagner à mon poste.

Je passe ma main dans le dos d'Ethan qui est encore abattu sur sa chaise. Ryan est parti sans dire au revoir, il a sûrement besoin d'être seul.

Le silence surplombe nos têtes tout le long du trajet jusqu'au dépôt d'armes. Mon frère aîné a la façade d'une porte de prison aux multiples verrous. J'aurais aimé un geste de tendresse ou un regard empathique avant qu'il ne m'abandonne sur le parvis du bâtiment. Je le retiens en saisissant sa main avec fermeté puis campe sur mes positions tout en le cramponnant. Il se retourne avec un regard rempli de surprise et de question.


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