Chapitre 16 : Révélations destructrices 4/4
- Ça se passe bien avec elle ? Tu arrives à trouver un peu de temps pour toi ? Questionné-je ma mère en me rapprochant d'elle pour caresser les minuscules petites mains agrippées au collier d'allaitement.
- Elle est une énorme dormeuse. Je suis parfois obligée de la réveiller pour téter sinon elle ne prendrait pas assez de poids aux yeux des médecins. Ils sont obsédés par la courbe de poids... J'avais oublié à quel point cela pouvait être stressant. Mais j'arrive à avoir du temps rien que pour moi. N'aie pas de craintes ! Avoir un seul bébé, ce sont des vacances ! Vous étiez quatre enfants rapprochés donc je te laisse imaginer comment c'était lorsque vous étiez touts petits. Il y avait des jours où je soufflais seulement trente minutes tellement vous étiez en demande.
Béatrice est toute petite, et émet des bruits au summum de la mignonnerie dès qu'elle déglutit. Elle s'empare de mon index puis le serre avec force. C'est un reflex archaïque me semble-t-il.
Je colle mon front à celui de ma mère puis caresse sa main posée sur Béatrice. Je sens le grain de sa peau sous mes doigts et respire profondément. Je me nourris de celle qui m'a donné tant d'amour. Leurs respirations sont comme un concert des plus délectable à entendre. Marie Scott est sans nul doute la personne pour qui j'ai le plus d'affection et d'amour. On a toujours été très tactiles toutes les deux. Même au sein de la fratrie, on avait ce besoin de contact. On collait souvent notre nez l'un contre l'autre quand j'étais toute petite. Je riais aux éclats et elle s'amusait à me chatouiller. Quand elle était là, elle instaurait une atmosphère sécurisante comme si on était dans une bulle de lumière qui nous protégeait.
Il me vient l'idée de lui demander ce qui m'a toujours taraudé l'esprit. Aborder le sujet me brûle les lèvres... J'ai peur. Peur de savoir, peur de faire du mal, de me faire du mal. Il le faut pourtant, j'ai le droit de savoir et mes frères aussi.
- Maman. Il faut que je te demande quelque chose. J'ai besoin de savoir. Ça me torture d'être dans le flou total.
- C'est à propos de ton père j'imagine. Déclare-t-elle en perdant son sourire et en affichant malgré elle du désarroi.
- Tu savais qu'il nous frappait ? Posé-je de façon fracassante dans un ton pourtant serein.
- Il fallait bien que l'un de vous quatre me pose la question un jour ou l'autre. Me dit-elle après avoir soufflé un grand coup. Je m'y préparais mais je pense qu'on ne peut jamais être vraiment prêt à donner ce genre de réponses. Je le savais oui. Même un aveugle l'aurait vu...
Ses phrases ont l'effet d'un coup de poignard dans mon cœur. Éric prend Béatrice qui commence à s'agiter et à pleurer à cause de la tempête émotionnelle qui sévit dans la tête de celle qui nous a mise au monde. Il va s'isoler à l'autre bout de la pièce, sur le tapis d'éveil de la petite. Le son du hochet qu'il agite me semble étouffé par la révélation que ma mère vient d'émettre. Je sens la colère siéger dans mon esprit. Je sens que je vais imploser...
- Pourquoi tu n'as rien fais ? Lui dis-je avec un calme olympien. Il nous battait ! J'avais des bleus partout ! Comment as-tu pu vivre en sachant qu'il nous massacrait quand tu avais le dos tourné ?! Comment tu fais pour te regarder dans le miroir putain ?! M'enragé-je en une fraction de seconde.
- Laur'... Laisse-moi t'expliquer. Calme-toi. M'implore-t-elle en laissant s'évader une poignée de larmes.
- Non je ne me calmerai pas ! Il m'a détruite ! Il nous a tous détruit ! Et toi tu étais là à admirer le spectacle !
- Non ! Je t'interdis de dire ça ! Se lève-t-elle brusquement. Tu as beau être ma fille mais il y a des limites. Je refuse de t'entendre avoir de tels propos en mon égard. J'ai fait des choses pour vous que tu n'imagines même pas !
- Bah vas-y ! Dis-moi maman ! Qu'as-tu fait pour nous ?! Tu faisais du paraître, du putain de paraître car vous ne savais que faire ça, vous, les Érudits. Il nous dépouillait de coups, d'insultes... Il nous torturait l'esprit. Il a broyé en mille morceaux Jacob car c'est lui qui faisait barrage. Tu es un monstre ! Comme lui. Voire pire pour avoir été négligente et indifférente ! Hurlé-je, le visage déformé par la haine.
- Se faire violer et se prendre des volées nuit et jour pour vous éviter le plus possible ses accès de rage, c'est vrai que ça fait de moi un monstre. Je suis tombée dans son piège. Juste après le mariage, il a commencé à montrer son vrai visage de tyran. Je me suis faite dépouillée et Jeanine m'a craché à la figure quand je suis venue la supplier de m'aider. Elle nous a emprisonné avec cet homme... Elle surveillait chaque déplacement que je faisais pour éviter à tout prix que j'aille porter plainte. J'étais prisonnière de notre bourreau... Je ne peux pas me regarder dans un miroir, je ne peux plus... Je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour qu'il ne soit pas seul avec vous. Je me suis saignée pour vous protéger... Il m'a refusé la pilule pendant de longues années. Tu ne peux pas imaginer comment je pleurais quand je voyais un test de grossesse afficher un plus. J'avais envie de m'ouvrir le ventre pour préserver ce petit brin de vie et l'anéantir afin de lui éviter cette enfance de merde. On m'a condamné, on m'a détruite aussi Laur'... Vous êtes ma seule raison de vivre, vous, mes enfants. Vous m'avez sauvé sinon je me serais suicidé à coup sûr... J'ai tout fait pour vous protéger, pour essayer de contrebalancer ce père qui vous martyrisait. Je suis désolée... Bredouille-t-elle en croisant ses bras pour s'apporter du réconfort.
Je me sens furieusement ébranlée, j'ai la nausée et je sens mon équilibre flancher. Je m'assois à côté d'elle puis l'enlace en restant muette. Elle est achevée par ses aveux et sanglote bruyamment en me serrant contre elle.
- Pourquoi tu nous en as jamais parlé ? Maman... Pourquoi ? On aurait pu t'aider à porter plainte, on aurait pu t'éviter ces coups... Demandé-je, les joues trempées des larmes qui coulent à torrents.
- Je ne voulais pas que vous soyez malheureux de savoir votre mère esclave de votre père. Me coupe-t-elle. Laur'... Je veux que tu saches que je vous aime de tout mon être toi, tes frères et ta sœur.
- Il faut qu'on vous sorte de là. Déclare Éric dans un ton plus que déterminé.
- Non. Ça va mieux, il ne me frappe plus. Il... Il a demandé le divorce après la naissance de Béatrice. Johanna Reyes est venue m'épauler lors de mon accouchement et a vu mes ecchymoses. Elle n'a pas voulu me laisser sortir sans avoir une explication. J'ai donc avoué et elle a formulé des menaces envers le gouvernement Érudit. Jeanine qui couvre son bras droit pour qu'il puisse massacrer sa famille en toute impunité, ça aurait été catastrophique à la une des journaux. Je suis désormais pratiquement seule ici. Il vient pour m'aider une ou deux fois par semaine mais sans plus. Il n'a plus les clés, il approche ta sœur qu'en ma présence. J'ai toujours des menaces verbales mais il n'agit plus. Je me sens enfin revivre. J'avais l'impression d'être morte depuis tant d'années...
Elle me tend une multitude de papiers. Je les lis malgré mes pleurs qui me brouillent la vue. En effet, c'est un papier officiel comme quoi le contrat de mariage est rompu et que le divorce sera bientôt prononcé. Je reconnais le symbole des Sincères et la signature de Jack Kang au bas de la feuille.
Je sanglote et tremble... Je n'ai su voir que ma douleur et même pas celle de ma mère. Je m'en veux d'avoir été autant atroce avec elle quelquefois... Je m'en veux tellement, je ne suis qu'une égoïste d'Érudit. Elle me prend dans ses bras et me serre fort tout en me répétant qu'elle m'aime et qu'elle ne cessera jamais de m'aimer.
J'ai envie de vomir tellement les révélations qu'elle m'a faite me sont effroyables à digérer. Mes frères et moi ne sommes pas nés de leur amour mais de viols. La violence était déjà là lors de notre conception... Je n'ai pas de mots pour décrire comment mon être est déchiqueté. Je me sens assaillis par le choc, la tristesse et la fureur. Je ne m'attendais pas à ça, je ne l'avais envisagé qu'une fois en discutant avec mes frères mais cela nous paraissait inconcevable. Puis cette Jeanine qui a condamné ma mère en sachant ce qu'elle subissait. Quelle garce. J'ai la haine contre Jeanine. Comment une femme peut faire ça à une de ses semblables ? Ça me paraît dénué d'humanité.
Je caresse les cheveux de ma mère qui ne pleure plus mais me garde collé à elle. Je sens que mes questions l'ont beaucoup secoué mais je pense que la vérité devait éclater. La vérité a mis du temps à parvenir à moi et je me doutais qu'elle allait être terrifiante, mais ce n'est désormais qu'un euphémisme tant l'atrocité de ces révélations me sont effroyables à avaler. Je respire le parfum qui embaume son corps qui me cramponne. Je la sens fragile sous l'effet de cette confession. C'est bien la première fois que je sens quelqu'un être démolie de cette sorte... Elle a vécu l'enfer avec ce fou furieux de Richard. Je ne peux qu'imaginer ce qu'elle a dû traverser seule en tant que femme, mère et épouse. Quelle épreuve dégueulasse il lui a été donné de vivre... J'espère que le début de sa vie commence pour elle, le vrai début. Elle a le droit au bonheur, elle doit avoir la force de savourer chaque instant avec son bébé. Elle mérite amplement d'être heureuse et je tâcherai de suivre de près ce qu'elle devient.
- Laur'... Nous devons rentrer. M'indique Éric derrière moi.
J'embrasse ma mère, me détache d'elle difficilement puis donne un baiser sur le crâne de Béatrice.
- Si vous avez besoin, contactez-moi Marie. N'hésitez pas, j'ai un certain pouvoir sur Jeanine même s'il est quelque peu restreint. Annonce Éric en plaçant une main sur le bras droit de ma mère.
Ma mère se lève et le prend dans ses bras. Ce qui semble le déstabiliser un court instant avant qu'il accepte l'étreinte qu'il lui rend à son tour.
- Merci Éric... Je n'oublierai pas ce que tu as fait pour nous. Prend soin de Laur'. Réclame-t-elle en prenant ma petite sœur dans ses bras.
Nous sortons calmement de l'appartement et marchons sous la pluie battante du mois de mars. Mes pleurs ont cessé et nous rentrons à pied jusqu'à l'enceinte des Audacieux. Je ne veux pas que quiconque me voit dans un état pareil. Nous sommes trempés de la tête aux pieds et je grelotte. L'envie de vomir s'accentue quand des images insoutenables viennent polluer mes pensées. Je m'arrête avec soudaineté puis me tient au mur d'un bâtiment. J'ai des hauts le cœur à plusieurs reprises avant de vomir. Je me sens ravagée et la nausée ne me quitte plus. Je ne parviens pas à faire cesser ces scènes que mon cerveau s'imagine... Des situations où je vois ma mère se faire battre ou violer et où je peux même entendre ses cris. Je sens mes jambes trembler... Pourquoi ces tableaux qui viennent de mon imagination m'assaillent ? Je me torture moi-même. Je me mets à sa place et je tire une fois de plus au cœur. J'aurais aimé savoir pour pouvoir lui venir en aide... Éric me tient sous l'épaule pensant que je ne peux plus tenir debout. Il ne parle pas, je ne sais pas ce qu'il pense de tout ça. Je n'ai pas la force de lui dire quoi que ce soit.
Le trajet est compliqué à parcourir... Nous ne prenons même pas le temps d'aller manger, nous rentrons directement dans notre logement. Je me change en laissant la porte ouverte au cas où il devait m'arriver quelque chose. J'avale un cachet complet de somnifère pour m'assommer et ne plus avoir à imaginer la terreur que ma mère a du surmonté durant toutes ces années dans le silence et la solitude.
- Je suis désolé... Si je pouvais faire quelque chose pour que tu n'aies plus mal, je le ferai sans hésitation. Souffle Éric en s'approchant de moi.
- Embrasse-moi alors... Et allons-nous coucher.
Il s'avance et me prend les hanches pour que mon corps touche le sien. Ses lèvres touchent les miennes et je me sens transporter autre part. La douleur est très légèrement moins forte. Je sens un poids en moins sur ma conscience ce qui m'aide à trouver la paix.
Son corps vient se coller contre moi. Je sanglote... Je finis par m'endormir sur le rythme de sa respiration et de ses caresses sur mes cheveux. Ma pauvre mère... J'aurais tout donné pour la protéger de ce monstre.
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