Chapitre 15 : Salle de contrôle 3/4
- Tu sembles être totalement ébranlée par ce qu'il vient de se produire. Je peux faire quelque chose ? M'interroge Éric qui ne résiste pas à son besoin de contact avec moi et place une main sur mes lombaires.
- Il y a des sujets qu'il ne vaut mieux pas tenter d'aborder pour m'attaquer. Il a clairement touché une corde sensible et je ne sais pas si ma réaction va attiser sa colère ou l'étouffer nette. S'il se sert de cette faiblesse, comment vais-je paraître crédible face aux Audacieux ?
- Ben n'exerce aucune influence au sein de notre faction. Il n'est qu'un grain de sable insignifiant que tu pourras aisément balayer de ton chemin. Sois confiante, ne te montre pas déstabilisée lorsque tu es provoquée. Même si tu rétorques violemment, ça reste une preuve de ta force. Tu ne dois en aucun cas être dans l'inaction. Chaque parole et chaque acte entraînent des conséquences, et c'est à toi de faire régner l'ordre s'il y a des débordements. Compris ?
- Oui, je dois toujours être sur le front et ne pas reculer malgré l'affront. Cela paraît « normal » mais je suis encore trop habituée à réfréner mes envies de violence...
Il me souffle un « tu t'y feras » en déposant un baiser sur mon front avant de rompre le lien tactile avec moi et d'entrer dans la cafétéria.
- Dis-moi, Jacob est très légèrement possessif avec toi non ? Demande Éric sur un ton ironique.
- Protecteur, possessif et étouffant... Pourquoi tu soulignes ça là ?
- Durant ton initiation, il n'a pas arrêté de venir me voir pour me demander de prendre soin de toi et d'essayer de trafiquer les résultats. J'ai été obligé de l'envoyer chier car tu avais largement les capacités pour réussir mais il te croyait faible... Tu avais raison quand tu croyais que ton frère cherchait à te préserver. Je n'ai jamais suivi ce qu'il me demandait si tu te poses la question. Je te dis ça maintenant car je voulais te faire part de mon inquiétude vis à vis de sa réaction quand il saura pour nous. Je m'entends très bien avec lui mais j'ai une certaine réserve...
- Ça ne m'étonne pas du tout de lui... Il sait déjà en partie que nous sommes ensemble et n'a pas émis d'opposition hier lorsque tu es parti de table. Il faut essayer de se mettre à sa place, il a passé toute son enfance à me protéger et il n'accepte pas le fait que je grandisse. Il est incapable de croire que j'ai pu défendre ma mère et moi-même des coups de mon père durant une année entière. Je t'avoue avoir un peu peur aussi de son comportement quand il saura vraiment...
- Je suis très proche de lui. On a énormément discuté pendant des soirées entières autour d'un bon whisky. Je le considère comme étant mon meilleur ami. On se disait tout. Puis tu es arrivée et je lui ai tout dissimulé... J'espère qu'il ne va pas perdre confiance en moi.
- Seul l'avenir nous donnera des réponses. Restons discrets le temps qu'il digère l'éventualité qu'on soit en couple. Proposé-je à Éric en garnissant mon plateau.
Ryan est attablé avec mes autres frères, Aaron et Max. Je ne vois jamais mon frère benjamin et m'empresse donc de le serrer dans mes bras puis de m'installer à sa droite. Nous n'avons qu'un an de différence mais avons toujours eu un fossé entre nous deux. Pourtant, j'ai énormément d'affection pour lui puis cela s'est renforcé quand nous n'étions plus que tous les deux chez mes parents. Il est très fort pour me faire sortir de mes gonds puis, il a la faculté d'être toujours à l'opposé de ce que je pense. Il s'évertue toujours à me prendre de haut. L'ambiance peut donc être électrique mais nous cultivons malgré ça beaucoup d'amour. Il a beau m'énerver au plus haut point, je me sens quand même très liée à lui et lui pardonne sans vraiment me questionner. J'ai des relations plus simples avec Ethan et Jacob mais bien distinctes. Après tout, ils sont tous les trois très différents et c'est ce qui fait d'eux des êtres uniques. Je les aime tous à leurs manières d'être.
- Ça va petite chieuse ? Me questionne Ryan en passant sa main sur le haut de mon crâne pour me décoiffer.
- Ça allait bien avant que tu fasses en sorte que je ne ressemble à rien.
- Si ça peut te rassurer, ça ne change pas grand-chose de d'habitude. M'indique-t-il.
Je lui administre un coup de coude dans les côtes ce qui le fait grimacer de douleur.
- Ce n'est pas une sœur qu'on a c'est un frère. Affirme Jacob en secouant la tête.
- Laur' ? Ta matinée s'est bien passée à la salle de contrôle ? Me questionne Max sans même me regarder.
- Très bien même si je trouve ça très monotone comme poste. D'ailleurs, je tenais à signaler que j'ai mis Ben à terre sans ménagement car il m'a légèrement attaqué.
- Que veux-tu dire en disant « attaquer » ?
- Il a expressément trouver déplorable que mes frères et moi-même n'aient pas été assez « cognés » pour utiliser le terme qu'il a prononcé. J'aimerais qu'on me laisse le droit de lui choisir une sentence s'il se plaît à recommencer.
- Reçu. Dit-il froidement avant de se tourner vers Aaron. Et toi, ta matinée aux abords de la Clôture ?
- Tranquille pour aborder le rôle du leader Audacieux. Répond brièvement Aaron qui replonge son regard dans son assiette.
Max acquiesce et part sans dire un mot de plus. Il est d'une froideur cet homme, ça en ferait pâlir un Fraternel... Ses questions sont juste de l'indication et il s'en fiche de savoir si nous allons bien puis ne cherche pas à tisser un quelconque lien professionnel avec nous. Je n'aime pas du tout cet individu et je crains de devoir travailler avec ce genre de personne qui ne vit que pour bosser et avoir du résultat. Je n'arrive pas à voir de l'humanité chez lui. Je ne parviens pas à voir d'où vient sa motivation. C'est assez déstabilisant et laisse un fossé entre lui et les autres leaders. Je suis sûr que c'est fait exprès, que c'est une bulle qu'il s'est façonné pour que personne ne puisse l'atteindre mais ça fait de lui un être insensible et ça ne me donne pas du tout envie d'aller dans son sens. Pourtant, s'il y a bien une personne à qui je ne dois pas tenir tête, c'est bien lui.
Après avoir fini le repas, on retourne sur le lieu où je vais passer les quinze prochains jours. Je récupère l'oreillette et m'arme de courage pour gérer seule la salle de contrôle même si Éric garde un œil discret sur moi et est prêt à pouvoir m'assister en cas de pépin.
Je pars faire le tour de la salle avec mon café brûlant dans la main droite. Mon regard se perd au-dessus de l'épaule d'une femme qui surveille le secteur Fraternel. Je regarde un court instant les images qui défilent et je me fige lorsque je vois des Sans-Faction courir à vive allure les bras remplis de sacs. L'un d'eux est armé puis tire sur des Fraternels.
- C'est où ça ? Demandé-je stressée par la scène d'une violence inouïe.
- Aux abords de l'usine de boîte de conserves. M'indique la femme.
- Balance ça à ton supérieur. Je m'en charge. Fais vite. Ordonné-je en me précipitant à la grande table centrale.
Je reçois in extremis la notification et fait un appel à la patrouille sur place en indiquant le maximum d'informations. Le problème est que je reçois trois autres notifications en même temps qui relatent toutes d'une attaque de Sans-Faction dans le secteur Fraternel mais à d'autres endroits. Ils attaquent les entrepôts, ils sont à la recherche de vivres. J'appelle chacune des brigades, je commence à paniquer car je ne sais pas réellement bien utiliser la table. Puis comment c'est possible qu'ils soient armés ces putains de S-F ?! Éric se pointe à côté de moi et prend le contrôle avec mon soutien au vu de la situation catastrophique. Il contacte les troupes de soldats qui sont dans les autres secteurs puis appelle les Audacieux au repos pour palier à l'effectif occupé par les offensives S-F. Il décide de passer un coup de fil à Max et me laisse me charger de faire le lien avec les hommes sur place pendant ce temps-là grâce à mon accès aux caméras. Je sens une poussée d'adrénaline monter au moment où je vois nos hommes, des Audacieux, se faire tuer. Deux corps jonchent le sol, ils sont sans vie. Je viens de voir la scène et je ressens de l'effroi. Je ne sais pas comment les aider, ça me rend dingue de ne pas pouvoir faire quoi que ce soit. Je passe de caméras en caméras pour indiquer le chemin pris par les fuyards. J'ai un chef de patrouille à l'oreillette, je le guide du mieux que je peux avec le plus de détails possibles sans le perturber dans sa course. Des drones sont envoyés pour se synchroniser dans la poursuite des groupes en fuite. Ils vont nous aider à garder un visuel avec eux car nous ne disposons pas de mille et une caméras dans le secteur S-F.
Éric a les traits tirés, il semble concentré et anxieux à la fois. Je le vois revenir vers moi.
- Combien de morts ? Me questionne-t-il l'air impassible.
- On a pour le moment deux morts et quatre blessés modérés. On a perdu un groupe de voleurs sur quatre mais la poursuite est difficile...
Je le vois réfléchir tout en tapotant sur l'écran. Il regarde le spectacle déplorable du jeu du chat et de la souris défiler devant ses yeux. Les Audacieux sur le terrain ne parviennent pas à rattraper les Sans-Factions. Les chemins sont accidentés et ils sont à découvert. Cela devient une mission suicide s'ils veulent les suivre jusqu'au bout. Ce serait courir tête baissée dans la gueule du loup.
- Ils vont tous mourir... Ils doivent battre en retraite Éric. Protéger la population, ce n'est pas sacrifier ses hommes avec stupidité. On se vengera, on aura leur peau. Il nous faut désormais réparer les dégâts et porter secours.
- Un Audacieux n'abandonne jamais. Me dit-il sèchement.
- Un Audacieux ne donnerait pas sa vie aussi bêtement. Rappelle-les sinon ils vont se faire attraper dans un lieu où ils seront minoritaires et surtout dans un endroit qu'ils ne connaissent pas. Je refuse de voir des soldats mourir juste pour des victuailles dérobées. Nous frapperons de façon réfléchis pour les mettre plus bas que terre. Nous n'abandonnons pas, nous remettons la bataille à demain pour être sûr de les exterminer.
Il est pensif et immobile quelques secondes. Je le sens perplexe et hésitant... Il regarde les écrans qui ne montrent que des ruelles dévastées où de pauvres Audacieux s'efforcent à pourchasser une proie inatteignable. Éric appuie sur chacune des brigades puis ordonne à tout le monde de faire demi-tour et de secourir les citoyens dans le besoin. Notre priorité est de protéger les gens et en se dispersant, nous laissons nos rues en proie à d'autres assauts qui risquent d'être bien plus meurtriers. Il promet que notre réponse à ses actes sera terrible et mortelle pour les Sans-Factions puis raccroche. Il semble animé par la haine en jetant son regard sur les images affichant les deux cadavres.
- Merci d'avoir été la voix de la raison. Je n'étais pas très lucide... C'est ce genre de situation qui est difficile à gérer dont je te parlais ce matin. J'aurais aimé que tu n'aies pas à affronter ce genre d'évènements surtout pour ton premier jour et ta première après-midi en autonomie...
- Est-ce régulier ce type d'incidents ?
- C'est rare normalement. Cela devient de plus en plus fréquent et il y a une ascension de la violence. C'est la première fois que des soldats meurent sous mes ordres.
- Ce n'est pas ta faute. La cause de leur décès, ce sont les Sans-Factions. Ils ont donné leur vie pour défendre les plus faibles. Ils ont accompli leur devoir. Si tu n'avais pas été là, ce serait Gus qui serait responsable de leur mort et il y aurait peut-être un nombre plus élevé de perte...
Éric se sent quand même dans l'échec. Il est secoué par cet épisode car il passe le reste de l'après-midi muré dans le silence. J'arrive à prendre le contrôle de légers problèmes dans les différents secteurs. Ça me paraît dérisoire après ce que j'ai eu affaire tout à l'heure. Je revois encore les corps criblés de balles à terre et le sang tâcher la terre du sentier. C'est loin d'être fini en termes d'émotions... À la fin de notre journée, nous recueillons les noms des défunts et allons annoncer la nouvelle aux familles. Je reste silencieuse derrière Éric lors de la première convocation. Les hurlements de la femme de l'Audacieux décédé me tordent les boyaux... Et prendre le relai pour la seconde personne arrivant au bureau me rend nerveuse. Je dois rester stoïque et me fermer à ces émotions négatives. Je ne peux pas éponger la douleur que ressentent ces êtres humains, je n'en suis pas capable et ça risque de me dévorer. Je reste très fermée lorsque je déclare la mort de la compagne d'un Audacieux d'une quarantaine d'années. Je clos mon cœur, je clos mon cerveau et me met en mode automatique.
Max nous demande de prendre du repos et de commencer plus tard demain matin. Il semble compatir et être très perturbé par ces attaques. Nous nous faisons livrer un repas à l'appartement d'Éric le soir car on a ressenti le besoin d'être seuls. Retrouver ses bras et le serrer contre moi me fait du bien même dans le silence pesant que nous impose les sentiments qui nous ont assaillis aujourd'hui. Nous parlons peu, nous savourons juste le fait de pouvoir s'enlacer et s'embrasser avec une tendresse que je ne soupçonnais pas exister en moi. Nous échangeons de petits regards qui s'accompagnent d'un sourire amouraché. J'espère que ces deux semaines vont être plus calmes que cette sordide première journée dans la peau de leader.
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