Je gonfle mes poumons d'air et toque avant d'entrer. Éric est présent, j'avais peur qu'il ait une obligation autre part. Il est sur le balcon, il regarde au loin et semble tracasser. Je me rapproche de lui et passe une main dans son dos. On regarde tous les deux la Ruche. Aujourd'hui la brume dissimule le point culminant de cette tour, sanctuaire des Érudits. Éric ne bouge pas, il ne parle pas, il semble pensif.

- Tu as quoi ? Ton cœur bat super vite... Remarque-t-il.

- Je dois te dire quelque chose... Mais si tu n'es pas d'accord, ce n'est pas grave je lui dirai « non ».

- Dire non à quoi et à qui ?

- Quatre me propose de vivre avec lui pendant un mois. Juste le temps que je passe les tests pour être leader après je reviendrai ici.

Éric reste silencieux, et c'est insupportable pour moi. J'aimerais qu'il me dise ce qu'il en pense, j'aimerais qu'il partage avec moi ses craintes.

- Mais dis quelque chose bon sang. Ne me laisse pas comme une potiche à attendre que tu émettes un son. Tu m'angoisses.

- Mais que veux-tu que je dise ? Tu sais pertinemment ce que je pense de ça. Tu vas vivre avec un autre homme que moi. Tu crois que ça me fait plaisir ? Non, ça me fait mal. Je conçois bien que la vie que j'ai à t'offrir ne soit pas palpitante mais je ne me doutais pas que c'était à ce point-là... J'ai peur de te perdre. Tout ce que je retiens, c'est que tu préfères aller cohabiter avec Quatre et pas avec moi. S'il a un quelconque geste déplacé envers toi, je te promets que je l'éclate.

- Ne crois pas que je t'abandonne Éric... Tu sais très bien que je...

- Oui ? Tu quoi ? Vas-y, développe. Je t'écoute. Me coupe-t-il dans un ton interrogateur plus qu'exagéré, me laissant muette. Hum, c'est bien ce que je pensais. Tu peux me reprocher de ne pas être clair parfois dans mes intentions mais tu n'es pas mieux.

- Au moins, personne ne se doutera qu'il y a quelque chose entre toi et moi si je vis avec quelqu'un d'autre. On pourra continuer de se voir ici, rien ne nous en empêche. Tu vas tenir un mois ? En m'ayant sous le même toit ? Honnêtement ? Si je te disais je t'aime maintenant, ce serait la fin. C'est difficile de te laisser, crois-moi. Mais au moins, ça va tester si nos sentiments sont réels et je vais enfin découvrir la vie d'Audacieux, sans limites. C'est peut-être une décision de merde, je le sais mais au moins, j'aurais essayé et je nous aurais protégé. Je vais peut-être être malheureuse, je ne sais pas. Qui sait après tout ? Je veux juste voir quelle est ma voie chez les Audacieux. Je ne pars pas vivre avec Quatre pour me mettre en couple avec lui... Je pense qu'on a besoin d'être un peu séparé pour que nos sentiments se concrétisent. Tu vois ce que je veux dire ?

- Je vois oui... Écoute, fais comme bon te semble. Tu as déjà pris ta décision en fait. Je ne vois même pas pourquoi tu es venue me demander mon accord. Dans l'avenir, ne me fais pas plus souffrir que tu ne le fais déjà... Je ne vais pas t'attendre indéfiniment. Mais vas-y, vis ta vie d'Audacieuse libre de faire des excès en tout genre.

- Je ne voulais pas te faire du mal... Lui signalé-je en tentant d'agripper sa main fuyarde.

- Pourtant, c'est ce que tu fais. Ce n'est pas intentionnel, je le sais, je commence à te connaître Laur'. Si tu as besoin de bouger, de découvrir seule, qu'il en soit ainsi. Je conçois très bien ce que tu désires. Maintenant, à toi de gérer sinon oublie de revenir ici.

- Qu'est-ce qui te gêne ?

- Ce qui me gêne ? Mais tu es sérieuse ?! Je n'ai aucun pouvoir sur toi... Ça me rend dingue. Je suis obligé de risquer de te perdre car tu as fait ce choix seule. Ça paraît super égoïste mais si ça ne tenait qu'à moi je te garderais de force ici. Mais je ne veux pas te faire souffrir donc je te laisse faire ce qu'il te plaît. J'ai peur que tu m'oublies... Ta future vie baignée de liberté, tu ne vas pas vouloir la quitter.

- Justement, ce genre de vie, ça le fait qu'un temps. Et je viendrai te voir régulièrement... Je te le promets Éric.

- Je ne préférerai pas. La douleur de te voir partir à chaque fois, je vais pouvoir m'en passer. Pars maintenant, tu as mieux à faire et moi aussi. Sors d'ici s'il te plaît.

Il ne m'accorde pas un regard ni même un geste de tendresse.

- Attends ! Pour la dernière peur de ton paysage, il semblait que tu n'avais plus de force pour te défendre. C'est vrai ou tu étais tétanisée par la peur ?

- J'ai déjà répondu à Max au sujet de ça. Je n'ai pas menti pour paraître plus forte face au Audacieux si c'est ta question.

- D'accord, c'est ce que je voulais savoir. On hésitait à t'attribuer quatre ou cinq peurs. Le fait d'être faible est donc ta cinquième phobie. Ta performance nous a été compliquée à évaluer. Le fait que tu aies Richard qui parlait derrière la porte du placard où tu étouffais, a semé la confusion chez les scientifiques. Ils voulaient t'attribuer six peurs mais tu ne semblais pas avoir peur de ton père mais seulement du fait d'être enfermée. Je me trompe ?

- Tu vises juste. Il ne m'inspire plus de l'effroi. J'ai horreur d'être dans des lieux clos, ça me rend anxieuse.

- Ok. Tu peux disposer.

La froideur dans sa voix me poignarde le thorax. Cinq peurs, c'est en dessous de la moyenne ça... Je croyais en avoir plus. En partant de son logement, je m'efforce de me dire que ce n'est pas un adieu mais j'ai l'impression d'avoir brisé quelque chose entre nous deux. Ça me frustre mais je suis mon instinct et c'est plus fort que moi. Désormais je veux m'amuser. Ça va carrément à l'encontre de mon cœur mais je veux goûter à ce qu'est la vie d'Audacieux. La vie dont parlait Zeke.

Je retourne dans la cafétéria et aperçois Quatre. Je vais le voir sans grand enthousiasme.

- Je suppose que ça ne s'est pas bien passé. Conclu-t-il en me tendant une bière.

- Quel excellent sens de l'observation...

- C'est ok alors ?

- Ok pourquoi ? Demande curieusement Shauna en s'accoudant à la table pour mettre sa tête sur ses mains et nous écouter pratiquement collée à moi.

- Laur' va venir habiter chez moi.

- Ah ouais. Mais c'est génial ! Quatre tu sais approcher une fille sans la vexer ? S'écrie Zeke en faisant un clin d'œil pas du tout discret à sa chérie.

- Ferme ta gueule Zeke. On parle de toi et de tes râteaux ?

- Non, ça ira Quatre...

Je reste manger avec eux, ils sont amusants et passent leur vie à raconter des conneries. Il y a Uriah, le petit frère de Zeke, et Marlene, la petite sœur de Shauna puis Lynn. Ils sont plus jeunes et passent leur initiation l'année prochaine. Je rameute Alex, Aaron et Haley avec nous. Ils sont assez déstabilisés d'être à la même table que leur instructeur. Alex semble sur le cul de voir Quatre blaguer et me taquiner. Il ne savait que j'avais tissé des liens d'amitiés avec notre entraîneur aux allures de porte de prison. On fait un de ces boucans dans la cafét', les regards sont plus insistants, je le sens. Mais bon, nous sommes des Audacieux et on s'en fiche un peu du bruit qu'on peut émettre. Shauna me propose de l'aider à aller chercher un tas de muffins au chocolat pour tout le monde.

- Pas trop stressée pour ce soir ? Me demande-t-elle en se servant.

- Si... Je suis en flippe total.

- Quatre m'a pourtant dit que tu étais exceptionnelle autant en combat qu'en simulation.

- Je n'ai pas gagné tous mes combats et je suis loin d'être la meilleure. Ce n'est pas ce que je cherchais pendant la phase physique et encore moins lors du paysage des peurs. Je vise quand même le rang de leader mais je sais que ce ne sera peut-être pas faisable si ma place dans le classement n'est pas bonne. Je verrai peut-être pour monter en grade afin d'accéder au poste qu'occupe mes frères... Je ne sais pas si c'est possible.

- Et bien... Que de projets pour toi ! Je pense que quand on veut, on peut. Si tu convoites cette place et que tu te déchires pour parvenir à tes fins, tu y arriveras même si ça doit te prendre des mois voire des années. Ici, il faut être méritant et déterminé pour s'en sortir. N'oublie jamais ça surtout si tu veux devenir leader.

- Je me donnerai les moyens quel que soit le temps que ça me prendra.

Je finis de remplir mon plateau de petits biscuits sans chocolat afin d'avoir divers goûts à savourer lors de l'attente des résultats. L'après-midi s'annonce longue... J'espère que le calvaire de l'attente sera moins difficile à vivre grâce à notre regroupement convivial sinon ça va être l'enfer.