Chapitre 12 : Audacieuse ou Sans-Faction 2/4

     Quand j'expire, je suis chez mes parents, dans leur appartement non loin du centre-ville Érudit. Ma mère est à côté de la fenêtre dans la cuisine, son regard est vide. Mon père arrive quelques secondes après ma venue et son regard m'inspire toujours autant d'effroi. Il tient fermement sa ceinture dans sa main droite. Je sais pertinemment ce qui va se passer dans les minutes qui vont suivre. La femme qui m'a donné la vie me fixe en ne bougeant pas du tout. Elle va être témoin de ce que mon père va me faire et elle va approuver. Mes parents sont côtes à côtes et répètent plusieurs fois la même phrase.

- Tu le mérites. Toute cette violence est légitime. Prononcent les deux êtres méprisants avant que mon père se jette sur moi.

Il commence à me frapper de toutes ses forces aux bras. La douleur se disperse partout m'empêchant de me défendre. Je suis incapable de le repousser, mon corps est trop lourd. Je suis incapable de le repousser, ni de me lever rapidement. Je suis impuissante, mes muscles ne me répondent pas. Pourtant, je ne manque pas de volonté. Je me recroqueville sur moi-même et essaie de passer outre ce qui se passe autour de moi. Je tente d'effacer les sensations que je ressens mais ne parviens pas à me calmer. Il faut que je me détende car quoi que je fasse, je ne pourrais pas échapper à ses coups. Combat ou surmonte ta peur... Mais comment la battre ici ? Pas par la force car je ne l'ai pas dans cette peur. Il faut que je sois ingénieuse, il faut que je réfléchisse. Qu'est-ce qui pourrait distraire mon père ? Mais bien sûr ! Ma mère... S'il y a bien une personne sur qui il aime frapper, c'est bien elle.

- Papa ! Arrête ! Hurlé-je en levant mes mains ensanglantées pour le stopper.

- Tu le mérites ! Crie-t-il avec rage.

- Maman te trompe, je l'ai vu ce matin avec un autre homme. M'exclamé-je entre deux volées.

Il s'arrête et, les yeux débordants de colère, se retourne. Frapper son orgueil d'Érudit, c'était une brillante idée. Je profite que son attention soit détournée pour m'échapper en me jetant sur la porte comme je le faisais habituellement dans les simulations d'entraînement.

Je me réveille subitement auprès d'Éric, dans le dôme où tout le monde passe son paysage des peurs.

- Crois-moi, la façon dont tu as combattu ta dernière peur forcera les Audacieux à t'admirer. Me murmure-t-il en retirant les électrodes.

- Laur'. Tu n'avais plus de forces lors de ta dernière peur ? M'interroge Max perplexe en élevant la voix pour que toute l'assemblée prenne notes.

- J'étais totalement impuissante. Je ne pouvais pas le repousser ni partir en courant. Il a fallu que je ruse. Dis-je bien distinctement en séchant les larmes qui ont coulé malgré moi.

Il acquiesce puis part en direction de Janine. Je descends de mon siège tandis que tout le monde applaudit dans la salle comme ça a été le cas pour chacun des novices. En bas de l'estrade, Jacob me prend dans ses bras avec force.

- Je t'aime, je n'aurai jamais dû te laisser seule avec ce fou. Tu as été époustouflante petite sœur.

- Ne regrette jamais ton choix... C'est pour toi que tu as choisi les Audacieux et pas pour moi. C'est la meilleure décision que tu aies pu prendre dans ta vie.

- Je sais mais tu es ma sœur et j'avais le devoir de te protéger.

- Où est Ethan ? Demandé-je inquiète de ne pas voir mon autre frère, leader.

- Il n'a pas supporté voir notre père. Ça le martyrise de t'avoir abandonné...

- Jacob. On doit faire passer les autres. Vous parlerez ce soir. Ordonne Max en donnant une tape sur l'épaule de mon frère.

- À ce soir. Déclaré-je avant de rejoindre les autres novices afin de regarder le dernier passage.

Encore bouleversée par la simulation, je ne me mets même pas à côté de mes amis. Je regarde à peine le paysage des peurs que Grace, une native, est en train de passer. J'entends juste Ben qui peste contre ma performance. Je tente de me retenir pour ne pas lui rentrer dedans.

- Qu'est-ce qu'il y a Ben ? Tu es jaloux ? C'est vrai qu'être une sous-merde en plus d'un lâche n'est pas très glorieux pour toi. Lâché-je de but en blanc.

- On parle de toi et de ton super papa ? Ah non, c'est vrai que tu te chies dessus dès que tu as à lui faire face. Ne te leurre pas, tu n'es en rien une Audacieuse car tu l'aurais combattu si c'était le cas.

- J'ai utilisé ma tête à défaut d'employer la force. Mais expliquer ça à un mec aussi diminué que toi ne sert à rien. Je retiens que tu as préféré essayer de m'éliminer au lieu de chercher à me battre loyalement. Qui plus est, vous étiez trois contre une personne et tu as quand même manqué ton coup. Pitoyable que tu es. Pauvre type. Dis-je avant de me lever pour retrouver mes camarades.

Éric me regard avec un air interrogateur auquel je réponds seulement par un signe de tête. J'ai le droit de dialoguer avec Ben... Surtout pour le provoquer et mettre un coup à sa fierté colossale d'Érudit.

Je sors de la pièce et m'immisce dans le petit groupe que forme Alex, Haley et Aaron. Tous me regardent avec un air dont je me passerai bien de voir.

- Je vais être cash avec vous. Je n'ai pas besoin de votre compassion, il en est même hors de question. Ce n'est pas parce que j'ai eu une enfance de merde que je dois avoir un traitement différent de votre part. Mon père m'a battu moi et mes frères, nous n'en sommes pas morts. On en est même sortis renforcés par ce calvaire.

- On parlait justement de toi avant que tu arrives. Sache que tu forces le respect, par ce que tu as vécu mais surtout par la manière dont tu as su braver ta peur dans ton paysage. On ne changera pas nos comportements si c'est ça qui t'inquiète. Tu es Laur', celle qui est joviale et qui est une bonne amie.

- Alex a raison. Puis nous ne te voyons pas comme un chien battu, on n'a pas de pitié pour toi mais plutôt de l'admiration. On ne changera pas nos attitudes à cause de ce que ton père t'a fait vivre. Au contraire ! Ajoute Haley avant de me serrer contre elle.

- Très bien, ça me rassure. Je n'ai vraiment pas envie de vous inspirer de la pitié. Rajouté-je soulagée de l'image que je renvoie. Bon je dois vous laisser, je vais voir Quatre.

- Ah oui ? Quatre ? Parce que vous êtes proches maintenant ? Me questionne Haley, suspicieuse.

- Non, c'est ni plus ni moins qu'un ami.

Je ne cherche pas à rester plus longtemps afin d'éviter les interrogations dérangeantes. Il n'y a rien entre Quatre et moi et il n'y aura jamais rien. C'est inimaginable. Non, non ! La vision que mon cerveau m'envoie n'est pas agréable, il est pour moi inconcevable de me rapprocher de Quatre. Comme si c'était contre nature.

Je le cherche d'ailleurs partout, je n'arrive pas à le trouver... Je m'arrête pour réfléchir à un endroit où je ne me suis pas rendue. Il ne serait quand même pas au Gouffre ? Je m'y rends rapidement étant à deux pas de là-bas puis aperçoit enfin Quatre avec deux Audacieux en pleine conversation. C'est Zeke avec sa copine. Il m'a directement vu et donné un coup de coude dans le bras de Quatre pour signaler ma présence. Il lève les yeux sur moi puis efface son sourire assez rapidement. Je ne me sens vraiment pas bien... Je n'aime pas ravaler ma fierté. Ça demande une sacrée remise en question pour que je prenne l'initiative de m'excuser.

Je m'approche d'eux.

- Je peux te parler ?

- Oui, vas-y.

- Seuls s'il te plaît...

Il se lève et me fait signe de le suivre.

- On va aller chez moi.

Je crains qu'il ne veuille pas me pardonner. J'ai peur de le perdre aussi bêtement. Je tiens trop à lui et j'espère ne pas avoir sacrifié notre amitié avec les paroles blessantes que j'ai eu hier. Mais je ne pense pas qu'il me ferait venir chez lui s'il était réellement en colère.

Son appartement est très sobre, pas de décorations, pas d'éléments personnels. Un vrai Altruiste dans l'âme...

- Tu voulais me dire quoi ?

- Euh... Je tenais à te présenter mes excuses pour hier. Ma réaction a été excessive et puérile.

- Non c'est ma faute, je veux trop te protéger. On est tous les deux fautifs Laur'... Je ne voulais pas te blesser.

- Je t'ai blessé aussi Quatre... J'ai juste cru que tu me rabaissais. Je n'aime pas quand tu te comportes comme Jacob, je trouve ça humiliant.

- Je sais mais c'est plus fort que moi. Je suis désolé que tu aies compris que je te trouvais faible. Je ne pense pas du tout ça de toi...

- Ce n'est pas grave, je me suis enflammée et je n'aurai pas dû. Ton acte ne partait pas d'une mauvaise intention.

Il s'approche de moi puis me passe une main dans le dos. Je me crispe et met fin à ce contact en reculant brusquement.

- Désolé, je ne souhaitais pas te faire peur. Tu sais que ce sont les Altruistes comme moi qui réagissent ainsi ?

- Je sais, excuse-moi mais la situation m'a semblé étrange. Je ne veux pas d'ambiguïté entre toi et moi. On est seulement ami, rien de plus.

- Oui, mes intentions ont toujours été claires. Je ne suis qu'une amitié et je ne souhaite aucunement établir autre chose avec toi. De plus, tu as déjà Éric.

- En parlant d'Éric. On a discuté hier... Il ne veut rien commencer avec moi tant que je ne suis pas Audacieuse et leader. Les gens vont l'accuser de corruption si on s'affiche. Je te laisse imaginer le scandale que ça ferait si notre relation était révélée au grand jour. Max n'a pas cessé de lui rabâcher de ne rien tenter avec moi. Ça lui met la pression... Je crains de céder à la tentation avant de devenir leader en l'ayant à ma portée si souvent. J'ai cru qu'il allait m'embrasser ce matin...

- Je ne veux même pas envisager le désordre que pourrait faire votre amour l'un pour l'autre au sein de notre faction si ça s'apprenait là. L'initiation est tellement rude, les Audacieux sauteraient vite à la conclusion que ton accès a été facilité par Éric. Pourtant, bons nombres ont vu ton paysage des peurs et ce serait se voiler la face de se dire que tu n'as pas l'étoffe d'un Audacieux. Je viens d'avoir une idée pour simplifier ta vie. Tu es maître de refuser ma proposition hein.

- Je t'écoute. Dis-je de façon dubitative.

- Ça te dirai de venir habiter chez moi ?

- ... Et Éric ?

- Et alors ? Viens au moins habiter un mois, afin de profiter de ta vie d'Audacieuse à fond puis d'éviter de passer le pas avec Éric avant ta potentielle nomination pour être leader. Ça va t'aider à lutter puis il est possible que prendre de la distance te donne une part d'éclaircissement dans ce que tu vis avec lui.

- Oui. Séparé un temps pour mieux se retrouver. Je vois.

- Quoi qu'il en soit, vivre avec moi un petit bout de temps retiendra tes ardeurs par rapport à lui puis évitera qu'une discorde éclate ici. Et si vous vous aimez vraiment, vous ressentirez très vite un manque. Ce qui prouvera donc que vos sentiments l'un envers l'autre sont vrais... Ça va vous mettre à l'épreuve et tu sauras si ce que vous avez est solide ou bancal.

- Tu as raison mais il faut que je lui en parle avant de prendre une décision.

- Pourquoi veux-tu son approbation ? Me questionne Quatre ne comprenant pas mes actes.

- Peut-être parce que je l'aime et que je ne souhaite pas briser ce qu'il y a entre lui et moi. Tu ne peux pas comprendre Quatre... Enfin bref je vais voir avec lui. Ça me tente bien cette cohabitation temporaire avec toi, je vais pouvoir faire la fête sans que je dérange Éric qui ne sort jamais. Je vais aussi avoir une réponse claire sur mes sentiments envers lui. Ça risque seulement d'être à double tranchant cette affaire.

- Pas forcément. Je ne t'oblige à rien et ça ne t'empêchera pas de le voir quotidiennement.

- Oui, je sais bien. Il faut que je le trouve, je te tiens au courant dès que je peux.

- À plus tard Laur'.

Je sors de l'appartement, fonce directement chez Éric pour lui annoncer mon désir d'habiter chez Quatre. J'aime bien vivre avec Éric et ce n'est pas contre lui que j'ai envie d'accepter la proposition de Quatre. J'ai besoin de changer d'air et de voir si moins côtoyer Éric va me rendre folle. Je veux observer aussi comment lui va le vivre. Je ne sais pas si je fais le bon choix car c'est clairement une décision sur un coup de tête. Ce qui me dérange, c'est de « tester » l'attachement qu'Éric a pour moi. Je suis tentée par la liberté que va m'offrir cette colocation avec Quatre, je vais pouvoir vivre une vie d'Audacieuse sans réelles limites. Je vais enfin avoir la possibilité de traîner avec mes frères, de faire la fête, de sortir du secteur sans être accompagnée. Et surtout, je vais être débarrassée du poids de l'initiation qui pèse sur mes épaules. En fait, mettre à l'épreuve le leader Audacieux est seulement qu'un des vecteurs qui fait que j'accepte de vivre ailleurs. Mais les contacts avec lui vont se faire plus rare, c'est tout ce qui m'angoisse dans cette expérience.

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