Chapitre 10 : Dernière simulation 1/4

     Je me réveille aux alentours de cinq heures et demie du matin. Je me redresse et observe si Éric dort profondément. Sa respiration est bruyante, il a l'air d'avoir le sommeil lourd. Je me décide à sortir du lit puis marche sur la pointe des pieds jusqu'à la salle de bain. Je glisse mes jambes dans un pantalon, et enfile mon tee-shirt ainsi que ma veste en quelques secondes. Je ne prends pas le temps de soigner ma plaie, je n'ai pas le temps ni l'envie. En plus, ça va être un carnage si je dois changer la totalité du bandage. Je risque de mettre de sang partout puis de réveiller Éric en tentant d'étouffer mes geignements de douleur. Je touche quand même mon abdomen pour évaluer le degré de souffrance que me provoque ma blessure et je ne sais même pas si c'est pire ou mieux qu'hier tellement la douleur est lancinante. Je sens la chaleur se diffuser à travers le tissu qui panse ma plaie, il va falloir que j'aille voir un médecin avant que ça ne s'aggrave.

Ces dernières semaines ont été éprouvantes tant les simulations sont énergivores et terrifiantes à vivre. Ça commence à être long cette initiation... Aujourd'hui, j'esquisse seulement un début d'habitude face à toutes ces horreurs devant lesquelles je dois me montrer audacieuse et réfléchit. Le vide, les endroits clos, les eaux profondes, l'impuissance face aux coups de mon père puis le fait que ma mère approuve ces châtiments corporels font mon paysage de peur. Il est très peu garni, ce qui n'étonne pas Quatre qui m'affirme que cela fait partie des facultés des divergents. Ça devrait me propulser en tête du classement. Une fois n'est pas coutume, la divergence va me servir.

Je regarde Éric dormir en prenant toutes les précautions possibles pour ne pas émettre un seul son qui pourrait l'éveiller. Il a retiré ses piercings, ils baignent dans un pot d'alcool à brûler sur le bord de lavabo. Il paraît si inoffensif, on en oublierait qu'il peut être d'une antipathie à en faire pâlir un Altruiste. Ses cheveux ne sont plus soigneusement coiffés, son visage n'est plus tiré par toutes les expressions négatives qu'Éric s'efforce à montrer. Il est beau. L'envie d'être dans ses bras et de passer ma main dans sa chevelure me frappe l'esprit. Je prends peur de ce désir de rapprochement. Je recule d'un pas comme si la menace était imminente et physique. Je ne peux pas me retrouver à la merci de cet homme, il abuserait trop de moi et je jouerai avec la mort à cause de ma divergence. Je me résigne en détournant mon regard de lui. Je l'examine encore un court instant avant de tourner délicatement la clé dans la serrure et de sortir tout en refermant la porte avec prudence. Un soupire s'échappe bruyamment de ma bouche. C'est bon, je suis en dehors de cet appartement !

- Ça va ? Tu n'as visiblement pas réveillé le dragon.

- Pff, qu'est-ce que c'est stressant de vivre avec lui. C'est une bombe à retardement, tu ne sais jamais quand il va te péter à la gueule.

- Éric quoi... Rien de bien étonnant venant de sa part. Il faudra que tu trouves une bonne excuse pour qu'il ne t'engueule pas...

- Je lui dirai la vérité, ça renforcera peut-être sa confiance en moi.

- Tu le connais mal... Il me déteste et s'il apprend qu'on était en ensemble, il va péter un câble. M'approuve Quatre qui marche à côté de moi d'un pas tranquille.

- Oui mais si je lui mens, qu'il part fouiner et qu'il trouve que je lui ai mentis, je serai encore plus mal qu'en lui disant la vérité.

- C'est vrai que vu de cette manière-là, tu as raison. Cependant, il peut aussi ne pas traquer tes faits et gestes étant donné qu'il ne pense qu'à lui. C'est toi qui vois, tu risques de t'attirer ses élans de colères pour rien. Cherche-t-il à me démontrer pour retenir mes élans d'honnêteté suicidaires.

- Je verrai bien, ne t'en fais pas. Calmé-je Quatre afin d'avoir un bref instant de quiétude avant d'entrer en simulation.

Que je lui dise la vérité ou pas, il m'engueulera... Je préfère être honnête avec Éric, sinon il va encore plus m'en faire baver. Puis une petite voix à l'intérieur de moi me supplie de faire bonne figure auprès de cet homme pour pouvoir retrouver une once de tendresse de sa part. Je suis en train de devenir dingue alors que je ne suis probablement qu'une pelote de laine avec laquelle il joue jusqu'à ce qu'elle soit totalement dépouillée.

Quatre entre en premier dans la salle de simulation et m'invite à le suivre. Je le regarde tout mettre en place. Il est méticuleux dans sa façon de faire car il bouge la caméra de sorte qu'elle ne nous voit pas et il déconnecte le disque dur de l'ordinateur. Aucune trace de ce partage de paysage de peurs ne doit subsister. On pourrait en périr si quelqu'un tombait là-dessus, c'est à éviter à tout prix.

Deux seringues sont posées à côté des chaises. Un frisson me parcourt le dos quand je vois les aiguilles et les imaginent sous ma peau. Quatre me colle tout un tas d'électrodes pour que je puisse être à ses côtés dans sa simulation. Il s'injecte le sérum et me l'administre après lui. Je me réveille toujours auprès de lui mais à une hauteur terrifiante. Nous sommes au sommet d'une tour entourée d'eau. Aucune issue possible, rien du tout, le néant. Le vide me transit de peur, mes jambes tressaillent à m'en faire perdre équilibre. Je m'accroche maladroitement à Quatre qui n'a pas l'air plus rassuré que moi. Il s'agrippe à mes bras tout en tentant de rester en adéquation avec la gravité pour que l'on ne tombe pas.

- On doit faire quoi ? Tu la surmontes ou tu la combats ? Lui demandé-je la voix criante de peur.

- Je ... Je crois que je vais essayer de la surmonter. Le problème c'est que je ne sais pas comment le faire à deux. M'indique-t-il en s'efforçant à garder son calme.

Je suis autant terrifiée que lui. Ça n'arrange pas les choses du tout, on se retrouve dans une impasse. J'essaie de trouver une échappatoire à cette situation mais c'est aussi l'une de mes peurs donc ce n'est pas aussi simple que ça paraît l'être. L'objectif de cette expérience, c'est d'avoir un comportement normal dans cette simulation. Je ne dois pas agir comme un divergent. Je plonge donc mon regard dans celui de Quatre qui est noyé dans l'effroi et saisis ses mains qui me serrent fort les bras.

- Quatre, on a peur tous les deux mais on va s'en sortir. Créons-nous une bulle d'apaisement. Raconte-moi un souvenir heureux et ne décroche pas tes yeux des miens.

- Bonne idée. Alors... Un souvenir... Hum. Quand j'avais dix ans, mes voisins avaient recueillis un chiot blessé. Il était noir à poil long et il lui manquait une patte. Il était différent, plus maladroit que les autres chiens, mais je le trouvais plus intéressant du fait de ses trois membres. Il courait comme un dingue et trébuchait souvent au début. Il était plus attrayant que les autres animaux. Sa particularité, il s'en servait alors que nous, les humains, on aurait coûte que coûte voulu la faire disparaître. On en aurait donc fait un réel handicap au lieu d'essayer de trouver de la force en cette infirmité. C'est un peu ce qui se passe avec la divergence. On ne rentre pas dans les normes mais on pourrait choisir d'en faire une force si ce n'était pas synonyme d'exécution dans notre société.

- Mais c'est une force. C'est une force car elle m'a donné un ami comme toi. Être divergent nous rapproche. Ça nous rend plus fort car on ne vit pas seul dans notre coin avec la peur d'être découvert. Je me sens plus sereine depuis que je te sais comme moi Quatre.

- Je me sens mieux sécurisé aussi. Je suis content de t'avoir trouvé Laur' Scott. Ajoute-t-il en affichant un bref sourire avant de laisser la peur l'envahir de nouveau face au vide.

- Calme-toi, on y était presque. Ferme les yeux maintenant et écoute-moi. Lui ordonné-je en ne lâchant pas ses mains.

Je dois faire preuve d'un grand self-control car je suis aussi effrayée par le nombre de mètre qui sépare mes pieds de la terre ferme ou devrais-je dire de l'eau... Je fais le vide dans ma tête, observe les yeux clos de Quatre et tente de l'imiter pour visualiser l'image que je vais décrire.

- Imagine, nous sommes dans le Gouffre, assis sur un rocher. Le bruit de l'eau nous apaise malgré l'agitation des flots. Tout nous paraît calme, le temps semble s'arrêter. L'eau éclabousse tes chevilles. Ressens la roche sous tes pieds, son contact avec tes chaussures, l'impact qu'elle a sur toi grâce à la gravité. Cette pierre paraît douce, l'eau l'a poli. En fait nous sommes en quelques sorte la roche. L'eau est le temps. Le temps nous forge comme l'eau forme et déforme la pierre. Cependant nous sommes toujours identiques à l'intérieur, notre aspect change tout comme le roc sous l'effet du courant. Mais nous resterons ce que nous sommes au fil du temps même si nous nous métamorphosons.

Je rouvre les yeux. Quatre m'a lâché les mains mais il me presse contre lui fortement. Le vide s'est effacé et désormais je ne vois que ses yeux sombres. Tout a disparu autour de nous. Nous sommes enfermés tous les deux dans une boîte de métal glacé. L'étroitesse du lieu m'oblige à avoir mes jambes sur celle de mon instructeur. Mon dos est collé à son épaule droite. Je sens son souffle chaud dans ma nuque. Je tressaille et commence à ne plus avoir d'air. Je gaspille mon énergie à taper contre chacune des parois qui tapissent cette fichue prison. L'espace et l'oxygène nous manquent. Je sens que je perds le contrôle. Des larmes brouillent ma vue puis roulent le long de mes joues. Je commence à perdre contrôle, je n'arrive pas à m'arrêter de cogner partout. Je m'agite avec panique, je dois sans nul doute faire mal à Quatre.

- Laur, je suis là. Calme-toi, on va trouver une solution. Hurle-t-il en prenant mes épaules pour les immobiliser. On va se mettre dos contre dos et nous allons forcer avec nos jambes contre les murs. Un pied sur chaque paroi et on pousse longtemps et lentement pour économiser notre énergie. Ça devrait le faire pour qu'on s'en sorte.

Je n'ai pas beaucoup de souffle mais Quatre a réussi à me rassurer donc je rassemble toutes mes forces et pousse graduellement comme il l'a exigé. Après plusieurs minutes d'efforts, la boîte cède et s'ouvre brutalement. Nos corps viennent heurter le sol avec violence. Nous sommes libres de nos mouvements ou presque... Désormais dans une salle où une personne est assise, Quatre brandit une arme posée sur la table trônant à côté de lui.

- La peur de tuer ? Demandé-je la voix éteinte par l'angoisse.

- La peur d'avoir une certaine facilité pour tuer... Dit-il, le visage livide.

- Pourquoi ?

- Je crains d'être un monstre comme mon père. Lui, il avait une facilité déconcertante à me battre. Et j'ai peur d'avoir cette même faculté à faire du mal. M'imaginer mettre un terme à la vie d'une personne innocente m'est insupportable.

Quatre vise et tire hâtivement sur l'individu. J'ai tout juste eu le temps de détourner le regard. Je ne veux pas et ne peux pas voir ça. Qu'il puisse donner la mort, pour moi, c'est impensable. Quatre n'est pas un meurtrier, il n'a pas l'âme noire d'un tueur.

Aussitôt, nous changeons d'endroit. Désormais nous sommes...

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