Chapitre 1 : Un choix 3/4


     Je regrette déjà ce léger affront qui va me coûter cher. Je me raidis puis tente de faire face à la peur qui grandit en moi. Je commence à trembler quand il brandit sa ceinture. Il m'attrape le bras et commence à me frapper avec une force inouïe. Je retiens mes cris de douleur car cela attise sa colère, je veux que ça se finisse rapidement. Du sang coule le long de mon bras droit, la douleur est vive, puis les coups sont de plus en plus fort. Je n'en peux plus et mes hurlements commencent à se faire entendre. La boucle de sa ceinture me brûle, il a dû la faire chauffer pour me marquer à vie. C'était donc ça cette lueur de démence dans ses yeux... Il s'arrête l'air satisfait en admirant son œuvre. Il m'a rué de coup dans le dos, si bien que je suis mouchetée de brûlures sanguinolentes qu'il me montre fièrement à l'aide de miroirs, en soulevant mon corps par les épaules. Ma mère entre dans ma chambre et se jette sur son mari, mais il la pousse et la fait tomber sur mon lit. Je ne sais pas vraiment ce qu'il me prend mais je me mets debout et lui donne un violent coup de poing. Je m'empare de sa ceinture et lui flanque un coup au visage... Le sang coule le long de son nez et à ma grande surprise, il se contente de sortir de la pièce sans rien me faire, sans rien me dire. Je m'effondre, les jambes sciées par l'effroi de cette violence qui vient de tomber sur ma personne. Mes mains sont recouvertes de mon sang, elles grelottent. Je regarde ma mère affolée par ce qu'il vient de se produire.

- Je ne sais pas ce qu'il m'a pris maman... Bredouillé-je en sanglotant.

- Ne t'en veux pas, il le mérite. Je vais chercher des anti-inflammatoires, du désinfectant et des pansements.

Ma mère revient et panse mes blessures tout en sanglotant. Ça semble la secouer de voir toutes ces blessures qui laisseront de bien belles cicatrices.

- Il t'a labouré le dos... Il va te falloir des soins pendant plusieurs jours Laur'. Je devrais t'emmener aux urgences vu ton état.

- Hors de question. S'il y a bien un moment dans l'année où on ne doit pas jeter de pavé dans la mare, c'est bien maintenant. Je vais effectuer mon choix demain. Quelle que soit la faction que je choisis, cette affaire m'exécutera si elle fait la une des journaux. Sans parler des répercussions qui s'abattront sur toi et le bébé. Jeanine fera tout pour t'enfoncer plus bas que terre. Je la connais trop bien pour savoir qu'elle ne fera dans la dentelle avec toi. Quand l'image de son gouvernement est attaquée, elle peut faire preuve d'une inhumanité terrifiante. On ne dira rien maman... On a trop à perdre.

Elle vient face à moi pour s'occuper de mon bras sans broncher. Elle sait que mes paroles sont baignées de vérités aussi tranchantes puissent-elles être pour ses tympans.

J'ai les mains sur son ventre et je sens le bébé donner des coups, ce qui me fait pleurer... Je ne sais même pas pourquoi car, ce n'est pas le mien et je ne le connais pas encore. Ce petit bout de vie qui se bat pour survivre m'émeut, sûrement à cause de mes nerfs qui ne tiennent plus à cause de ce climat familial dantesque. Ma mère décide de dormir avec moi pour éviter la violence de mon père. Elle passe ses doigts sur mon visage, le regard embué de larmes qu'elle retient avec rigueur. Je la sens choquée, affaiblie... Je ne sais pas si je vais être capable de partir. Je ne me sens pas apte à laisser celle qui m'a donné la vie dans cet état de grande vulnérabilité. Mon cœur se serre quand j'imagine mon sang coulé sur les charbons Audacieux demain. C'est une image torturante pour mon cerveau qui s'emplit des émotions que pourrait ressentir ma mère après mon départ.

- Tu sais le personnage de tes histoires, Cléo. Dis-je pour briser ce silence pire qu'angoissant.

- Oui ?

- Elle ferait quoi si elle était à ma place ?

- Elle partirait chez les Audacieux pour rejoindre ses frères et elle se construirait une nouvelle vie.

- Ce n'est pas Cléo qui parle mais bien toi maman...

- Ne restes pas chez les Érudits. Tu n'as pas ta place ici, et tu le sais mieux que quiconque. Réfléchis bien mais s'il te plaît, ne reste pas pour moi chérie.

- Je ne sais pas... Je ne sais pas maman... Je t'aime tellement...

- Je t'aime bien plus encore. Tu ne peux pas imaginer à quel point mon amour pour toi est titanesque. Tu es et tu resteras mon bébé. Me dit-elle les lèvres collées à mon front.

J'écoute son cœur battre et réfléchis longuement à mon choix de demain. J'essaie de faire abstraction de la douleur, mais j'ai l'impression qu'elle s'amplifie pour me rappeler que je ne serais pas heureuse ici et que mon père me terrifiera toujours autant. Cependant, je ne peux pas abandonner ma mère... Elle était dans un très mauvais état dès que l'un de mes frères partait et je ne veux pas me sentir coupable de son mal être. Puis ce bébé qui vient se lover dès que je touche le ventre de ma mère ne m'aide pas à prendre une décision. Le dilemme est complexe, il me torture. Malgré ma réflexion constante, je m'endors sur le rythme du tic-tac de l'horloge accrochée à mon mur.

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Les caresses de ma mère me tirent doucement de mon sommeil.

- C'est le grand jour ma chérie. Va te préparer.

Je me lève et m'occupe de mes blessures plus ou moins profondes. Je soigne mon apparence tout en masquant les cernes qui se dessinent sous mes yeux. Je mange un morceau et pars avec mes parents à la Ruche. Mon père a une blessure au visage dû à mon coup de ceinture d'hier soir, et je ne peux m'empêcher de baisser les yeux à la vue de ceci. Je m'en veux de l'avoir blessé alors qu'il m'a fait dix fois pire. Je me sens si mal de voir que cette plaie est de moi.

Nous sommes dans l'ascenseur, ma mère me serre fort la main et mon père a un regard glacial. Le ventre de ma mère s'est bien arrondit ces dernières semaines. Les médecins ont dit il y a quelques mois que ce serait un gros bébé. Maman a du mal à bouger, elle souffre de jambes lourdes et passe sa vie à aller aux toilettes à cause de la tête du bébé qui appuie constamment sur sa vessie. Je ne connaîtrai sûrement jamais cet enfant que j'aime pourtant énormément. J'ai adoré vivre cette grossesse aux côtés de ma mère. C'est magique de voir la vie grandir dans ce temple d'amour qu'est cette femme.

Nous arrivons à l'amphithéâtre tout en haut de la Ruche où je dis au revoir à mes parents avant d'aller m'installer au plus bas des gradins. Ma mère a les larmes aux yeux, elle me prend dans ses bras et me chuchote un « je t'aime ». Je m'efforce à ne pas faiblir. J'ai peur et je voudrais bien rester toute ma vie avec ma mère mais en aucun cas avec mon énergumène de père. D'ailleurs, lui, en bel hypocrite, me prend dans ses bras et m'adresse un bref « bon courage ». Je crois que c'est la première fois qu'il fait ça et je n'ai pu m'empêcher de me contracter comme jamais puis de rester muette face à lui. Je suis étonnée par ce geste qui mettait juste en scène une famille unie face au public.

Je pars m'asseoir entre deux garçons Érudits qui vont faire également leur choix aujourd'hui. J'entrevois Paul qui m'envoie un sourire tendre. L'amphithéâtre est immense, c'est impressionnant, je me sens minuscule. Toutes les factions sont dispatchées bien distinctement en cinq parties. Quand nous sommes face aux spectateurs, les Altruistes sont les plus à gauche puis viennent les Fraternels, les Érudits, les Sincères puis les Audacieux.

J'ai les mains moites mais j'essaie de ne pas me laisser gagner par le stress. Marcus Eaton, l'un des deux leaders Altruiste nous fait un petit discours sur les factions et les fondateurs. Il dit que notre devoir est de servir notre faction ce qui fait que notre choix est essentiel pour le reste de notre vie.

Les gens commencent à défiler et l'attente est de plus en plus insupportable. Marcus nous appelle un par un. Je n'aime pas cet homme, non pas parce que c'est un Altruiste mais plutôt parce qu'il ne m'inspire pas confiance. Son visage a l'air dur comme s'il portait une double facette. Il me fait penser à mon père, sûrement parce qu'ils ont la même carrure.

- Laure Scott. Appelle le leader Altruiste en regardant en ma direction.

C'est bon, j'ai l'impression que mon cœur va sortir de ma cage thoracique tellement il bat horriblement fort. Tout le monde sait qui je suis, le silence s'est donc brisé dans un bourdonnement de murmures. Les gens spéculent, ils aiment faire ça quand des personnalités sont sur le point de prendre une décision qui fera basculer leur vie. Richard Scott n'est pas n'importe qui donc le futur choix de son enfant fait beaucoup parler. Que faire même si c'est très clair dans ma tête ? Je ne veux décevoir personne. Pourtant, je vais bien désenchanter quelqu'un dans tous les cas... Mes frères convoitent sûrement ma venue. S'ils ne me voient pas, ils seront frustrés. Il faut que je pense à moi, il faut que je sois égoïste au moins une fois dans ma vie et c'est à cet événement là qu'il le faut absolument.

Je me dirige vers l'estrade centrale en me retournant brièvement afin de donner un dernier regard à ma mère. Je me munis du couteau puis m'entaille la paume de la main. Je ne sens même pas la douleur tellement l'inquiétude a pris possession de moi. Ma main se déplace lentement au-dessus des coupes. Érudite ou Audacieuse ? Ma mère ou mes frères ? La prison de mon père ou la liberté des Audacieux ? Ma main s'arrête au-dessus de la coupe des Érudits une micro seconde mais je la dirige d'un geste rapide et précis vers les charbons qui crépitent. Mon sang coule et fait échapper de la vapeur sur les brûlants morceaux de bois noircis. Ma vie vient de basculer. Je suis Audacieuse.

Les hurlements des Audacieux envahissent l'amphithéâtre. J'ai tout juste le temps d'apercevoir le visage joyeux et triste à la fois de ma mère et le regard plein de haine de mon père avant de prendre place aux côtés de ma nouvelle faction. J'ai fait le bon choix, ma mère a toujours su se débrouiller et elle voulait que je rejoigne mes frères. Puis « la faction avant les liens du sang » même si ce dicton est pour moi quelque chose d'inhumain... L'homme fera toujours passer sa famille avant tout autre chose, c'est bien connu... J'ai l'étrange sentiment que ma vie commence là, maintenant.

Les Audacieux m'acclament et me saluent d'une poignée de main ou avec une tape sur l'épaule. Je m'assois auprès d'un des leaders. Il est châtain clair avec des reflets blonds et me paraît très athlétique. Ses bras font le double des miens puis sont tatoués. Je n'ose le regarder avec plus d'insistance, de peur que ce soit déplacé. Il me dit vaguement quelque chose.

Je retourne à la réalité grâce à Marcus qui annonce la fin de la cérémonie des choix. Je sens les Audacieux se lever d'une traite sans que je n'aie le temps de capter ce qu'il se passe. Dans quel merdier je me suis mise encore ? ... Dans ma vie. Aussi tumultueuse qu'elle puisse être avec les Audacieux, je pense que je vais adorer ce nouveau départ.

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