Chapitre 6.1 : Confiance

C'est dans un épais brouillard que Vanessa passa les heures qui suivirent ce triste événement.

Après avoir vidé sa bile et versé toutes les larmes de son corps, elle sentit de puissants bras l'aider à se relever. Tandis qu'elle écoutait d'une oreille distraite les voix qui commentaient ce qu'elle-même qualifiait de boucherie, un regard vers la salle lui donna de nouveau un haut-le-cœur.

Des flaques de sang étaient disséminées un peu partout, tâchant le sol, les tables, les murs. Jamais bien loin, se trouvait le corps à qui elles appartenaient. Des cadavres aux bustes séparés de leur tête trônaient pêle-mêle et d'autres étaient parsemés de coupures gigantesques. Il devait y avoir deux dizaines de corps, dont les quelques survivants gémissaient péniblement en attendant les secours, ou la mort. La jeune fille n'avait jamais vu ce genre de scène, mis à part à la télé. C'était trop surréaliste pour être réel.

Certaines personnes qui s'étaient évanouies ou qui avaient passé leur temps à vomir leurs tripes, reprenaient conscience. Vanessa se demanda s'ils avaient assisté à sa confrontation avec le blondinet mais honnêtement, elle n'en avait cure. Tout ce qu'elle voulait était qu'on la sorte de là.

Elle se sentait toujours soutenue par des bras qui lui semblaient flotter dans les airs, sans corps. Lentement, elle fut déposée sous un arbre d'un des nombreux espaces verts qui se trouvaient à proximité. Elle se retrouva seule après quelques : « tout va bien ? » ; « tu es blessée ? » ; « ça va aller », auxquels elle répondit machinalement en hochant la tête. La commissure de ses lèvres se releva en entendant : « ce n'est pas son sang ».

Cela changeait-il quelque chose ?

Comment pouvait-elle aller bien ?

Comment ça pourrait aller après ça ?

Elle essaya de se relever mais ses jambes ne répondirent pas. Elle avait l'impression de peser une tonne. La tête lui tournait. Elle se sentait poisseuse de sueur alors que son corps tremblait de toutes parts. Son nez la piquait. L'odeur du sang avait envahi ses narines. Elle savait qu'elle en avait sur le visage et sur ses habits. Le spectacle qu'elle offrait ne devait pas être réjouissant.

Autour d'elle, c'était la panique. Certains se traînaient telles des enveloppes sans âme, espérant sans doute que tout cela ne soit qu'un mauvais rêve. D'autres s'étaient regroupés dans un coin, pleurant et se réconfortant mutuellement. D'autres par contre, les retardataires, voulaient savoir ce qu'il s'était passé jusque dans les moindres détails.

Pendant ce temps, la police et les infirmiers du campus avaient envahi les lieux. Les premiers sécurisaient le secteur en empêchant les badauds de s'approcher. Les deuxièmes, quant à eux, évacuaient les survivants, prodiguaient les premiers soins et déploraient les morts.

Dans sa semi-inconscience, Vanessa reconnut le doyen, un monsieur qui avoisinait la soixantaine. Sa silhouette était encore droite malgré l'âge et sa chevelure pleine et grisonnante était la victime de ses mains qui ne savaient sans doute plus où se mettre. Elle remarqua même les profondes rides qui lui barraient le front. Elles étaient différentes de ses rides de rire habituelles, remplacées par d'autres, d'inquiétude et de chagrin.

Il eut une discussion animée avec les gardes et les infirmiers sur place et desserra de manière abrupte sa cravate habituellement parfaite. Son costume trois pièces marron, que les étudiants connaissaient comme étant son préféré, était aujourd'hui un peu négligé. Elle imagina ce qu'il devait être en train de leur dire. « Jamais de toute l'histoire de la faculté, un pareil événement ne s'était produit ! », par exemple. « Comment on va expliquer ça ? », peut-être.

Des sirènes retentirent au loin. La police, la vraie, et l'ambulance aussi, ne devraient plus tarder à arriver. Cette fois, elle ne voulait plus rester là. Elle ne voulait pas qu'on s'occupe d'elle. Elle ne voulait pas que la police l'interroge. Elle ne voulait pas mentir. Elle ne voulait pas cacher ce qu'elle avait vu, ce qu'elle avait fait et même ce qu'elle n'avait pas pu faire. Elle voulait... qu'on la laisse tranquille.

***

Bzz Bzz ! Bzz Bzz ! Bzz Bzz !

Son téléphone vibrait pour la énième fois depuis qu'elle s'était littéralement trainée jusque chez elle. Shiro, qui donnait toujours l'impression de guetter son retour, ne sut enlever le masque d'indifférence dont elle s'était coiffée pour ne pas craquer au beau milieu d'un carrefour. Même ses miaulements presque compatissants et inquiets n'y changèrent rien.

En sous-vêtement sur son lit, elle laissa libre cours à sa peine. Quand son cœur lui laissait un peu de répit, de nombreuses questions envahissaient son esprit, la rapprochant encore plus du point de non-retour.

Pourquoi ce garçon les avait-il attaqués ? N'était-ce vraiment que par pur instinct sanguinaire ? Comment avait-elle fait pour s'en sortir alors que la mystérieuse entité avait été aux abonnés absents ? Pourquoi s'était-il enfui aussi soudainement ? Juste parce qu'elle avait réussi à le blesser ? Etait-ce de la chance ?

À quoi tout cela rimait en réalité ?

Entre le psychologue et ce jeune homme, elle s'imagina une coalition dont le seul but était de la rendre folle. Fixant ses mains, elle se demanda pourquoi elle avait hérité de ces capacités, pourquoi elle en particulier. C'était bien beau de fantasmer sur des pouvoirs magiques tous les jours mais là, c'était une autre histoire. En plus, à quoi lui servirait un pouvoir qu'elle ne pouvait même pas invoquer quand elle en avait le plus besoin ?

Elle voulait redevenir une personne normale et avoir des soucis de personnes normales. Recommencer à se demander dans quel club elle entrerait à la fac. Se demander à quel jeu elle pourrait bien jouer le soir, ce qu'elle pourrait bien se préparer à manger, quel animé elle pourrait bien regarder ! Pas commencer à s'interroger sur de possibles fous furieux dotés de supers pouvoirs et prêts à tuer n'importe qui !

Elle renifla bruyamment et se pinça le nez. Elle avait envie de vomir.

Cette odeur... le sang. L'odeur de l'hémoglobine semblait avoir traversé son T-shirt et imprégné sa peau. Elle savait que c'était impossible, mais elle la sentait à chaque inspiration. Elle avait eu beau prendre une douche quasi-brûlante, elle la sentait toujours, une odeur forte, crue, métallique, qui lui rappelait en de multiples flashbacks incessants les événements de la journée.

Elle aimerait que tout ça ne soit qu'un mauvais rêve. Elle allait se coucher, fermer les yeux et laisser le temps filer, filer encore, en espérant oublier. Et comme pour l'aider à laver ses souvenirs, une pluie tonitruante se mit à tomber.

***

Allongée pendant dieu seul savait combien de temps sur son lit, Vanessa ne changea de position que lorsque ses membres se trouvaient trop ankylosés. Ses yeux étaient ouverts mais ne voyaient rien. Les rideaux fermés et les portes closes l'empêchaient de savoir si c'était le jour ou la nuit.

Quelle heure était-il ? Quel jour était-ce ?

Peu importait.

Une partie d'elle était morte en même temps que ces étudiants qui avaient juste eu la malchance de se rendre en cours ce matin-là. Elle ne connaissait aucun d'eux, ne se rappelait même pas de leur visage. A la place, des visions de leur dos balafré, de leur tête décapitée ou de leurs membres découpés s'imposaient à elle. C'était pire que Corpse party*...

Des coups frappés à sa porte la tirèrent de sa léthargie. Elle ne répondit pas, fermant même les yeux, espérant ainsi que son visiteur inopiné rebrousse chemin. L'immeuble pouvait bien prendre feu, elle souhaitait juste qu'on la laisse tranquille. Mais il insista, martelant sa porte de coups frénétiques.

— Van ! Ouvre, s'il te plaît. C'est moi, David.

Pas besoin qu'il se nomme pour qu'elle le reconnaisse. Elle s'était déjà imprégnée de sa voix aux intonations de baryton et l'aurait reconnue entre milles.

— Écoute, j'ai appris ce qui s'est passé au campus, et je comprends ce que tu dois ressentir. C'est juste... horrible...

Horrible. C'était bien le mot.

— Je sais que tu es là, allez, ouvre-moi.

Elle ne voulait pas. Il ne ferait que lui rappeler que tout avait changé, que plus rien ne serait comme avant. Or, c'était tout ce qu'elle ne voulait pas.

- Tu n'es pas obligée de m'ouvrir, ou même de me parler. Mais les choses sont trop étranges maintenant pour que tu affrontes ça toute seule. Si tu préfères, je vais juste rester là et attendre que tu te décides à ouvrir. J'ai tout mon temps, tu sais.

Vanessa enfonça sa tête dans l'oreiller pour s'empêcher de l'écouter. Pourquoi s'occupait-il d'elle ? Sans doute à cause de sa sœur. Ça ne pouvait être que ça. Il lui léchait les bottes en fait. La voix de David résonna de l'autre côté de la porte. Elle sentit qu'il s'était assis contre celle-ci.

— Ça a dû être dur. Je me demande moi-même comment j'aurais réagi à ta place...

La jeune fille se demanda s'il comptait vraiment rester là. Jusqu'à quand ? Etait-il devenu fou ? Elle sortit la tête de son oreiller en guettant la porte. La question était-elle vraiment de savoir pourquoi il faisait ça ? En son for intérieur, elle se demandait si un non détenteur pouvait vraiment comprendre tout ce qui était en train de se passer ou du moins, de manière aussi profonde que ceux qui possédaient des pouvoirs ?


A Suivre...

©Tous Droits Réservés

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Lexique :

Corpse Party : animé type gore où il y a beaucoup de meurtres sanglants.

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Ça va pas très fort pour Vanessa. 😢 Je vous invite à laisser un petit message d'encouragement à notre héroïne, elle en a vraiment besoin. 🤗

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