Chapitre 24.1 : Entraînement
Vanessa se réveilla avec un hurlement.
Le souffle court, elle alluma la lampe de chevet, redoutant de rester dans le noir. Elle enfila rapidement ses lunettes et observa la pièce. Autour d'elle, il n'y avait rien d'autre que les meubles, là où elle les avait laissés la veille. Elle n'était plus dans ce monde, elle le savait, mais son cerveau refusait de le comprendre. La main serrée contre son cœur qui battait à un rythme effréné, elle trembla en se souvenant des derniers mots de l'entité.
Détruire...
Tout...
De quoi voulait-elle parler ?
Plus ça allait, plus tout devenait flou.
Le cerveau complètement éveillé cette fois, elle constata sur son téléphone qu'il n'était que cinq heures du matin. Tout le monde devait encore dormir. Mais elle ne souhaitait pas se recoucher. Non seulement elle se sentait revenir comme au tout début de cette histoire, à faire des cauchemars toutes les nuits mais elle avait envie de boire de l'eau fraîche. Le chauffage avait été allumé et elle était dégoulinante de sueur. Le cauchemar y avait sans doute été pour beaucoup mais le résultat était là.
Elle sortit en catimini de la chambre et traversa le salon sur la pointe des pieds, sans allumer la lumière. Une fois en bas des escaliers, elle fouilla pendant cinq minutes au moins la maison avant de trouver ce qu'elle cherchait.
L'entrée de la cuisine était presque invisible, comme si l'architecte avait voulu la dissimuler au regard. Cela sembla assez ridicule à Vanessa. La cuisine était souvent la pièce dont les maîtresses de maison étaient les plus fières et dont elles se vantaient le plus. Enfin, elle ne se posa pas plus de question.
Comme elle s'y attendait, la pièce était entièrement équipée et une propreté presque chirurgicale y régnait, des louches aux différentes casseroles. Elle passa un doigt sur les plans de travail qui, bien que n'étant pas en bois, en imitaient l'apparence. Elle n'était pas spécialiste mais Vanessa se dit que ce devait être le rêve de faire ses repas ici. Sa mère en aurait pleuré de joie.
Elle se dirigea finalement vers le réfrigérateur et en sortit une petite bouteille d'eau minérale qu'elle but d'une traite. L'eau fraîche lui fit du bien et apaisa ses peurs. D'ailleurs, s'il fallait faire une évaluation générale de son état, elle se sentait plutôt bien. Elle tapa un peu du pied et se rendit compte qu'elle n'avait plus du tout mal à la plante des pieds. Intriguée, elle retira les bandages que Rebecca lui avait faits et constata que ses blessures avaient disparues. En regardant ses bras et ses mains de plus près, même ses égratignures avaient disparu.
— Comment c'est possible ?
Avec toutes les choses bizarres qui lui arrivaient, elle ne serait pas surprise d'avoir un pouvoir de régénération rapide. Toutefois, ça restait étrange.
Une fois ses bandes souillées jetées dans la poubelle, elle se demanda quoi faire.
Revenant sur ses pas, elle pénétra dans une pièce qu'elle avait ouverte tout à l'heure et y alluma la lumière. Il s'agissait d'un grand salon dont la plupart des meubles étaient en cuirs, bien différents du style cosy de l'appartement de Rebecca. Il était sobre et classe, typiquement masculin.
Une odeur flottait dans l'air.
Du tabac.
On aurait dit que personne n'y avait mis les pieds depuis un moment et avait fait exprès d'y enfermer cette odeur.
La jeune fille s'avança et explora un peu la pièce. Elle admira les sculptures et les tableaux qui y siégeaient, parfois perplexe devant ce qu'exprimaient ces œuvres d'art. Elle arriva devant la porte vitrée donnant vers l'arrière de la maison. En l'ouvrant, elle frissonna légèrement à cause du vent.
Un grand espace s'ouvrit devant elle, le genre d'espace dédié à un après-midi en famille, devant un barbecue. Quelques meubles de jardin formaient un cercle organisé sur le gazon raz, comme si on l'interdisait de pousser plus haut. Quelques arbres apportaient une protection providentielle et des arbustes savamment taillés se tenaient à leurs côtés. L'odeur de l'herbe humide était agréable. Elle devina de par les faibles lumières qui brillaient au loin, une piscine avec une taille conséquente et même une serre. Vanessa devina sans mal que là se trouvait le jardin secret de Rebecca.
Elle avait envie d'explorer plus cette vaste propriété mais elle se retint. Ce n'était pas chez elle et la curiosité était un vilain défaut.
— Tu ne dors pas ?
Vanessa se retourna pour tomber nez à nez avec Killian. Il était vêtu encore plus légèrement qu'elle, d'un simple short et un débardeur. Vanessa se demanda comment il pouvait survivre dans cet accoutrement. Vu la façon dont il l'avait soutenue dans la forêt, elle n'en doutait pas mais il semblait fort. Ses bras étaient plus épais qu'elle ne le pensait, le rendant presque trapu.
Elle venait à peine de rencontrer le jeune homme et ne savait pas trop comment se comporter avec lui.
— J'ai fait un cauchemar, répondit-elle avec franchise.
Killian hocha la tête en sortant de l'ombre de la terrasse. La lumière de la lune se reflétait sur ses boucles sombres. Il s'avança plus loin que Vanessa dans le jardin sans dire un mot.
— Tu viens ? s'enquit-il en jetant un œil par-dessus son épaule.
N'ayant rien d'autre à faire, Vanessa obtempéra.
— Tu es sûr qu'on peut s'aventurer par ici ? demanda-t-elle en lançant un regard vers la grande maison.
— T'inquiète, c'est bon. Ça fait déjà trois jours que je suis ici, j'ai eu le temps de visiter. On peut même me refiler les clés, ajouta-t-il avec humour.
— Alors tu es resté avec eux depuis lors ? Pourquoi ?
— J'étais blessé et j'étais un inconnu. Ils m'ont rafistolé et m'ont permis de rester ici. Ils ont voulu me cuisiner et me garder à l'œil, je suppose. Bien qu'ils ne fassent clairement pas le poids.
Il affichait un sourire moqueur.
— Je peux te poser d'autres questions ?
— Tout ce que tu voudras. Plus tu en sauras, plus ça te permettra d'affronter ton destin.
Vanessa n'aima pas qu'il ressorte encore cette affaire de destin mais ne dit rien à ce sujet. Ils arrivèrent à la piscine. Le bassin était éclairé par des néons se trouvant au fond et sur les côtés, colorant l'eau d'un beau bleu marine. Les deux jeunes gens s'assirent sur des transats tout près.
— J'ai cru comprendre que là d'où nous sommes censés venir, c'était un monde assez utopique. Tout le monde vivait en paix. C'est vrai ?
Killian hocha la tête avant de répondre :
— C'est vrai. C'était magnifique. L'eau n'avait pas le même goût, l'air n'avait pas le même effet, la terre n'avait pas la même texture. C'était... inégalable.
La façon dont il en parlait disait tout. Cela n'avait rien à voir avec le monde dans lequel il se trouvait actuellement.
— L'autre ne t'a pas menti sur tout, c'est déjà ça de gagné.
L'entendre évoquer Reeve assombrit un peu son humeur.
— Mais je ne comprends pas. Pourquoi dans un monde tel que celui-là, quelqu'un attenterait à la vie d'autrui ? Et d'un enfant, qui plus est ? Ça me semble un peu... surprenant.
Killian regarda l'eau de la piscine agitée par le vent.
— Pour être honnête, ça m'a semblé étrange mais c'est ce que nous avons entendu. L'enfant a été retrouvé, un trou béant au niveau de la poitrine, le cœur arraché. Nul ne sait comment ou pourquoi.
— Et celui qui a fait ça n'a jamais été retrouvé ? Il n'y avait pas de bête sauvage là-bas ?
Il haussa les épaules.
— Je n'en sais rien. Et si, ils y avaient des bêtes sauvages mais elles avaient un écosystème bien à elles. Elles étaient différentes de celles que vous connaissez ici, elles n'attaquaient jamais les humains. De toute façon, la machine était lancée. On aurait dit qu'un virus désinhibiteur était descendu du ciel pour ouvrir les vannes de la haine dans le cœur de nos populations. Certains y ont succombé, d'autres non.
— Pourquoi la Nature a attendu si longtemps avant d'intervenir ?
Là encore, le visage de Killian prit une expression plus complexe, entre colère, tristesse et résignation.
— Nous n'avons pas à remettre en question ses décisions. Elle devait avoir ses raisons. Elle a toujours eu foi en ses créations.
— Tu as quand même conscience que c'est une sacrée girouette, ta Nature ? Croiser les bras et regarder les choses se passer et ensuite venir pleurnicher en voyant le résultat, c'est idiot. Qu'est-ce que la Nature, d'ailleurs ? A part ces pouvoirs, y a-t-il une preuve de son existence ? Ce n'est pas un peu idiot ?
— Tu vois Jésus, Bouddha et compagnie ? Vous avez des écrits, nous, nous avons nos pouvoirs et les récits de nos ancêtres. Ils sont ancrés en nous. Grâce à eux, il ne nous est jamais venu à l'esprit que notre monde ait pu naître d'autre chose que de Sa volonté. Elle a tout créé et nous sommes ses enfants autant que ses sujets.
— C'est votre déesse ?
— Si tu veux.
— Ok, ça a le mérite d'être clair. Bon, toi tu viens d'où ? demanda Vanessa en changeant de sujet. Enfin, maintenant, je veux dire. Ça m'arrangerait d'en savoir un peu plus sur les gens qui m'entourent maintenant. Tu ne m'as pas l'air d'ici, toi non plus.
— Pourquoi tu dis ça ?
Vanessa se sentit un peu gênée.
— Non, tu me demandes ça sérieusement ? Tu passes de l'anglais au français aussi subitement qu'un train qui déraille.
Elle terminait à peine sa phrase qu'elle vit Killian se gratter la tempe un peu trop fort. Il semblait un peu gêné.
— Le français n'est pas ma première langue, avoua-t-il. Mais j'ai beau la parler depuis longtemps, je m'embrouille parfois et ça ressort comme ça. Je n'y peux rien.
— C'est pas grave. Mon anglais est très rouillé par contre. Ça me fait un petit recyclage, dit-elle en riant.
— Ouais bon, n'en parlons plus. Si tu veux tout savoir, je m'appelle Killian Amaury Masson. Je suis Anglais de père et Sud-Africain de mère. J'ai passé la majeure partie de ma vie en Angleterre puis j'ai intégré une école d'art en France.
— D'art ?
— Chut. Je suis fils bientôt plus si unique que ça. Ma mère attend un autre enfant. Je déteste le lait, les animaux et les jours de pluie.
— Comment on peut détester les animaux ?
— Ils sont agaçants, ils puent et ils donnent des maladies. Tu veux que je continue ?
Vanessa roula des yeux.
— C'est n'importe quoi. Certains sont mignons et gentils. C'est impossible que tu les détestes tous.
— Entre-temps, c'est pas ça qui va me donner envie d'en avoir un, répliqua-t-il avec une grimace de dégoût. De toute façon, j'ai toujours eu l'impression qu'ils avaient un problème particulier avec moi. Elles me créent toujours de sacrés problèmes ces bêtes. Enfin, si tu veux que j'aille jusqu'à te donner la marque de mes sous-vêtements, t'as qu'à demander.
— Je peux m'en passer, merci. Et... ta vie d'avant, était-elle meilleure ? Forcément...
— Honnêtement... murmura-t-il, l'air pensif. Comment dire... la vie était belle. Personne n'avait à se plaindre. Comparée à celle-ci, c'était le paradis.
— Qu'y faisais-tu ?
— J'étais d'une famille d'éleveur alors j'ai juste suivi le courant. Je passais mes journées à veiller sur les troupeaux à travers les pâturages. Je regardais les mouvements des nuages, couché sur l'herbe verte et j'écoutais les histoires des anciens devant les grands feux le soir. C'est ennuyeux, non ? C'est vrai qu'on n'avait pas vraiment l'occasion de voyager, se moqua-t-il, mais je ne me plaignais pas. Je n'avais besoin de rien d'autre...
La nostalgie dans sa voix n'échappa pas à Vanessa. Plus elle en entendait parler, plus elle avait envie de connaître ce monde.
Killian serra les poings.
— Et puis c'est arrivé. Nous n'avons pas pris les choses au sérieux, lâcha-t-il avec un rire sans joie. Beaucoup comme nous continuaient de vivre normalement, comme si de rien était, comme s'il n'y avait rien qui clochait. Il y avait des signes qui ne trompaient pas mais nous avons fait l'autruche. C'est seulement lorsque les morts se firent par dizaines que nos masques sont tombés. Ce n'est que lorsqu'on m'a tout pris que j'ai réalisé...
Le cœur de Vanessa se serra. Sa rage se lisait sur son visage et s'entendait sur ses derniers mots. Il regarda la paume de sa main droite.
— Je ne savais pas ce que signifiait se battre, i was weak. Mes pouvoirs ne me servaient jusque-là qu'à amuser la galerie. Je te montrerai, un jour, ajouta-t-il avec un sourire triste. Je n'avais pas idée de comment véritablement m'en servir. Seule ma couardise m'a permis de survivre jusqu'à la Distorsion. Je suis un lâche, Vanessa. J'ai fui, c'est pour ça que je me retrouve ici. Et c'est pour ça que je vais rectifier mes erreurs. Je ne les laisserai pas faire cette fois-ci, même si je dois y laisser la vie.
Vanessa grimaça.
— Ne prends pas ta vie aussi à la légère.
Son visage resta grave.
— Si je ne suis pas au moins prêt à ça, je ne suis pas un homme.
— Un homme mort ne sert plus à rien, tu sais.
— Pas faux, répliqua-t-il avec un sourire.
Vanessa se laissa aller à sourire aussi.
Elle replia ses jambes sur la chaise longue et regarda le ciel commencer à se colorer. Ils allaient voir le lever du soleil ensemble. Assez intime comme moment pour deux personnes qui se connaissaient à peine. Mais ce petit moment de partage leur avait permis de se rapprocher un peu. Killian était plus sensible et droit qu'il n'y paraissait.
Elle commençait à l'apprécier.
A Suivre...
©Tous Droits Réservés
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Hello guys, comment allez-vous ? Enfin un tête à tête entre Killian et Vanessa. Je crois qu'on a fait le tour hein. Quelques petits détails sur cette ancienne civilisation et des infos sur notre métis. Que pensez-vous de lui, d'ailleurs ? Je vous le dis tout de suite, il va souffrir. 😂😂😂
A la prochaine. 😘
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