Chapitre 13.1 : Tenue
— Vous plaisantez, j'espère ? s'écria-t-elle. Vous voulez qu'on se prostitue ?
— Tss, tss, tss, objecta Blind avec un mouvement du doigt. Ne sois pas idiote. L'escorte est différente d'une prostituée. Tout ce que vous aurez à faire c'est de les accompagner, c'est tout. Vous paraderez vêtus de vos plus beaux atours à leur côté, menant la conversation, les flattant et ainsi de suite. L'essentiel, c'est qu'ils passent une bonne soirée. Ce que vous faites de votre corps, ça vous regarde. Vous pouvez aussi bien le protéger que le donner, je m'en fous comme de la virginité de la reine d'Angleterre.
Vanessa passa instinctivement ses bras autour d'elle, comme pour se protéger. Elle n'avait jamais imaginé en arriver là pour assister à une simple soirée. Les choses qu'elle voyait uniquement dans Gossip Girl, étaient en train de lui arriver. Elle jeta un coup d'œil à David. Ce dernier avait enfoncé les mains dans ses poches et avait la mine renfrognée. On aurait dit qu'il se retenait de faire une bêtise, comme taper très fort la tête de Blind contre le mur, par exemple. Et elle l'aurait volontiers laissé faire s'il n'était pas leur seule chance d'entrer dans Le Neptune.
Blind les regarda tour à tour, l'air de savourer l'effet que la nouvelle avait produit. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas rencontré des jeunes aussi purs. Son boss serait content. Il était habitué à ce qu'on lui envoie des personnes avec un peu d'expérience ou qui savait déjà à quoi s'attendre, profil auquel les deux personnes qui se tenaient devant lui ne correspondaient pas du tout.
Surtout la fille.
Le mec encore ça passait, mais elle, on l'aurait crue tout droit sortie de sa cambrousse natale. Mais avec un peu de maquillage, une autre coiffure et les vêtements adéquats, elle deviendrait un petit bijou. Et puis il n'était pas sans ignorer que leur business avait besoin de « couleur ». La plupart de leurs poulains avaient déjà été vus. Les clients réclamaient de la nouveauté. Avec eux, il aurait sûrement de quoi rembourser ses nouvelles dettes et refaire sa vie loin de cette boîte miteuse et de son gérant aux goûts plus que douteux.
Ils avaient l'air complètement désespérés. Il ne lui en faudrait pas beaucoup pour les persuader que c'était la seule solution s'ils voulaient assister à la soirée.
— Quel âge as-tu, mon joli ? demanda-t-il en s'adressant à David.
Les yeux ambrés de David se posèrent sur lui.
— Vingt ans, répondit-il sans rechigner.
— Et toi ? s'adressant cette fois-ci à Vanessa.
Cette dernière ne sut pas trop quoi répondre. En effet, elle était consciente que tout ce qu'ils étaient en train de faire là était totalement illégal et elle n'était pas stupide. Si elle lui donnait son vrai âge, il était probable qu'il n'accepte pas de la prendre, elle.
— J'ai dix-neuf ans, finit-elle par répondre sous l'œil brillant de Blind.
En Belgique, l'âge de la majorité était de dix-huit ans. En optant pour dix-neuf ans, elle espérait que Blind ne se pose pas trop de questions sur une majorité encore toute fraîche. A ses côtés, elle sentit le regard de David, mais il ne dit rien.
— Parfait ! s'exclama Blind à haute voix. Vous serez tout simplement parfaits. Nos clients seront ravis de vous avoir à leurs côtés.
Pour une fois, Vanessa pouvait remercier sa grande taille et son visage un peu austère, comme le lui avait plusieurs fois signifié Samantha. Si même David avait cru qu'elle était plus âgée, pourquoi pas Blind ?
— Juste pour être clair, nous n'avons pas encore accepté votre proposition, dit David, interrompant ainsi le cours de ses pensées. Dites nous en plus sur ces clients.
Blind émit un petit rire de fond de gorge qui sonna plutôt comme un gloussement d'hyène aux oreilles de Vanessa.
— Tu n'en es peut-être pas conscient toi-même, contrairement à la fille qui t'accompagne, mais vous avez déjà dit « oui ». Pas explicitement bien sûr, mais votre attitude ne ment pas.
Vanessa adressa un œil circonspect à David. Elle ne nierait pas ce que Blind venait de dire. Ils n'avaient pas le choix. A ce niveau, ils avaient complètement perdu la partie et Dieu seul savait à quel point ça lui faisait horreur de devoir se plier aux exigences de cet affreux bonhomme.
Elle soupira.
— Bon, dites-nous ce que nous devons savoir, finit-elle par lâcher dans un souffle, comme si ça lui coûtait de poser la question.
Blind dévoila ses dents blanches et pointues en un sourire à faire pleurer un gosse.
— Vous n'avez pas besoin de savoir grand-chose. Vous accompagnerez deux personnes. Un homme et une femme. Ils ne sont pas bien plus âgés que vous. Ils sont riches alors comportez-vous bien. Bien sûr, vous serez payés mais qui sait sur quoi ça pourrait aboutir, conclut-il avec un regard plein de sous-entendus.
L'estomac de Vanessa se retourna et David se racla la gorge. Être payée et peut-être devenir le jouet officiel d'ils-ne-savaient-qui était bien le cadet de leurs soucis.
— Ça devrait aller, poursuivit Blind comme si de rien n'était. Demain à dix-neuf heures, vous devrez vous rendre à cet endroit.
Il leur remit à chacun une carte sortie de sous l'une de ses manches, tel un prestidigitateur.
Les sourcils froncés comme d'un commun accord, les deux amis contemplèrent la carte d'un œil méfiant avant de la prendre. « Hôtel De La Falaise », purent-ils lire sur la carte.
« C'est où ça ? » se demanda Vanessa.
Elle se tourna vers David pour lui poser une question muette mais celui-ci avait déjà reporté son attention sur Blind.
— Pourquoi là-bas ?
— Il semblerait que ce soit là que vos clients résident. Petits veinards, va ! s'exclama-t-il soudain. Vous êtes bien tombés ! Certains tueraient pour être à votre place !
— Ça, j'en doute... murmura David de sorte que seule Vanessa puisse l'entendre.
La réaction de David intrigua Vanessa. On aurait dit qu'il connaissait l'endroit.
« C'est quoi le problème avec cet hôtel ? » se demanda-t-elle.
Mais elle attendrait d'être loin de cet endroit avant de poser la question à David. Elle avait autre chose à demander à Blind.
— Euh... c'est tout ?
— Oui, répondit-il comme s'il venait d'entendre la question la plus stupide du monde. Tu as besoin d'autre chose ?
— Je veux dire, il n'y a rien d'autre à savoir ? Il n'y a pas un code à suivre ? Des sortes de règles à respecter dans le métier ? Un comportement précis à adopter ? Et si on faisait une bourde ?
Elle n'en savait rien mais il devait y avoir un code de conduite, non ? Et si son client désirait l'embrasser ? Est-ce que ça, ça rentrait dans le contrat ? Ou est-ce qu'il faudrait une rallonge sur sa paye ? Dans 90210 par exemple, ils devaient boire et de temps en temps se faire peloter dans la partie où Annie devenait escorte-girl pour payer les frais de scolarité de son frère. Est-ce qu'elle devrait faire pareil ?
Blind rit doucement. Son œil droit parut tressauter sous l'effet de son amusement. Il s'approcha un peu plus de Vanessa. Le corps de cette dernière recula presque machinalement. Tout son corps répugnait à approcher ce personnage à moins d'un mètre. Blind rit de nouveau, un peu plus fort.
— Tu es très amusante, toi, tu sais ?
— Pourquoi ? répliqua-t-elle, interdite.
Blind lui adressa un sourire qu'il devait penser comme étant le plus beau de son répertoire.
— Parce que dans ce monde, il n'y a pas de règle.
***
Sur le chemin du retour, Vanessa avait encore en tête, les dernières recommandations de Blind :
— Vous l'aurez peut-être compris mais le thème de cette soirée est « Neptune ». Inutile de vous faire un dessin. Du bleu. N'importe lequel. Respectez cette couleur lors du choix de vos vêtements qui, inutile de le préciser, devront être irréprochables.
— Je rêve...
— David...
Il était inutile de s'énerver maintenant. Ils feraient le nécessaire pour respecter les avertissements de Blind, l'important, c'est qu'il était leur laissez-passer et qu'eux n'avaient aucun intérêt à s'énerver maintenant.
— On sera sur notre 31, avec du bleu. C'est compris.
Vanessa n'en revenait pas elle-même de son sang-froid. Sa voix était claire et ne tremblait pas alors même que ses genoux jouaient les castagnettes. Blind parut satisfait de sa réponse.
— Bien. Ah et n'oubliez pas de passer ici le lendemain pour prendre votre paye. Il serait fâcheux que vous tardiez trop à venir la récupérer. Rappelez juste aux clients de faire le versement avant de les accompagner où que ce soit, c'est clair ? Ils connaissent déjà les modalités mais on ne sait jamais.
A ces mots, il se retourna et sans même leur laisser le temps d'ajouter quelque chose, referma la grande porte en fer dans un grincement discret et il ne resta plus dans la ruelle que David, Vanessa et un rat qui farfouillait dans un vieux sac de fast-food négligemment laissé dans un coin.
***
— Pourquoi as-tu accepté ? demanda David alors qu'ils étaient assis dans le bus en direction du quartier de Vanessa. C'était une mauvaise idée.
— Ne dis pas ça, lui répondit Vanessa en regardant le paysage défiler sous ses yeux.
Le soleil commençait déjà à disparaître à l'horizon et avant même de monter dans le bus, l'air s'était déjà rafraîchi. Ça ne l'étonnerait pas s'il pleuvait encore ce soir.
— Nous avons atteint notre objectif, continua-t-elle avec un calme étonnant en le regardant cette fois ci. Demain nous nous rendrons au Neptune, et là nous aurons peut-être la réponse à nos questions.
— C'est bien ça tout le problème. « Peut-être ». Qui te dit que tout cela n'est pas qu'une vaste supercherie ?
— Organisé par qui d'après toi ?
— Que veux-tu que je te dise ? Ce Blind peut-être, il ne m'inspire pas confiance.
— Il fait partie d'une organisation d'escorte ! Il ne semble pas seulement louche, la fourberie suinte par tous les pores de sa peau ! Mais c'est bien parce qu'on n'a pas d'autres idées qu'on le fait, non ? Mais qu'est-ce qui t'arrive, David ?
Elle prit quelques secondes pour retrouver son calme. Elle avait un peu haussé le ton et quelques têtes se tournaient déjà vers eux.
— Je pensais que tu étais d'accord avec ça mais dès le moment où Blind a donné des détails sur le moyen qui nous permettrait d'assister à la fête, tu n'as plus été toi-même. Qu'est-ce qui ne va pas ? lui demanda-t-elle d'une voix enraillée par l'inquiétude et le stress.
Apparemment, ses émotions contenues revenaient à la surface. Elle avait peur. En deux semaines, elle avait déjà vécu bien plus de choses qu'en toute une vie et elle s'apprêtait à faire quelque chose qu'elle n'aurait jamais imaginé faire. Elle ne le faisait pas de gaieté de cœur et entendre David rouspéter ne l'aidait pas vraiment.
Ce dernier la regarda d'abord sans rien dire, ses yeux d'ambre imperméables. Finalement, il ferma les yeux et poussa un soupir las.
— Pardon, murmura-t-il en ouvrant les yeux sur un point vague sur le toit de la voiture. Je me suis emporté.
Vanessa soupira doucement. David passa une main dans ses mèches cuivrées d'un geste pensif. Le David qu'elle avait côtoyé jusque-là était revenu.
— Entre nous, lui répondit-elle, je comprends. Il prenait plaisir à nous voir dans tous nos états.
David émit un petit rire.
La tension était retombée. Vanessa était contente qu'il soit redevenu normal mais une partie de son cerveau lui soufflait « méfie-toi, il ne te dit pas tout... ». Elle savait que c'était vrai. Elle ne le connaissait pas encore bien mais elle lui faisait confiance, alors il pouvait bien avoir ses petits secrets, ça le regardait.
Pressée de retrouver leur complicité, Vanessa changea de sujet, laissant la journée et surtout la soirée de demain loin derrière elle pour quelques heures encore. David la suivit volontiers, pressé lui aussi de s'éloigner durant un cours moment de ce qui les attendait le lendemain.
***
Le bus commença à ralentir. C'était l'arrêt de Vanessa. Durant une fraction de seconde, l'inquiétude remonta à la surface mais elle fit de son mieux pour la dissimuler. A la place, elle adressa un petit sourire à David.
— On se voit demain, j'imagine ? dit-elle.
— Tu peux encore changer d'avis, Van.
— Tu sais que je ne le ferai pas...
David soupira légèrement avant de lui adresser un sourire.
— Je t'appellerai pour qu'on discute du plan. Retrouvons-nous directement là-bas.
— Le plan ? Quel plan ? demanda Vanessa, perplexe.
— Tu ne t'imagines quand même pas qu'on ira là-bas sans être préparé à l'avance ?
— Euh...
— Van, soupira-t-il, c'est bien d'être courageuse mais fais attention à ce que ça ne vire pas à l'inconscience, d'accord ?
C'était quoi ça ? Elle ? Courageuse ? Non, non, non, non, il devait confondre.
Ses pensées furent troublées par la main de David sur sa tête. Ils étaient déjà debout dans la voiture. Vanessa devait descendre mais elle était comme hypnotisée par la caresse innocente de David. Celui-ci la regardait d'un œil presque attendri. Qu'est-ce qui lui prenait ?
— Alors, ça descend au fond ou quoi ?
La voix du chauffeur impatient fit sursauter Vanessa.
— A demain, murmura-t-elle en se dirigeant vers la sortie.
A peine mit-elle pied à terre que la voiture s'ébranla, reprenant sa course dans la ville. Sans même s'en rendre compte, Vanessa posa sa main là où se trouvait tantôt celle de David et un bref instant, son cœur se serra.
A Suivre...
©Tous Droits Réservés
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Nous voici au chapitre 13 ! Que pensez-vous de cette évolution ? Quels sont vos pronostics pour la suite ? N'hésitez pas à faire toutes sortes de remarques.
À bientôt ;)
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