Chapitre 12.2 : Borgne


Jeudi soir, ils en étaient toujours au même point alors que David raccompagnait Vanessa après son service à La Bien-aimée.

Les nuits de novembre se ressemblaient toutes au fur et à mesure qu'elles passaient. Sombres, froides, dangereuses. Tout ce que Vanessa détestait. Le matin même, ils avaient fait une autre tournée infructueuse des boites et ça les mettait un peu à cran. Les informations qu'ils avaient tirées de Gilles ne les avançaient pas à grand-chose. Les mêmes questions revenaient sans cesse : comment trouver un endroit qui n'existait pas, une boite fantôme qui changeait de nom et de lieu à chaque fois et dont personne ne pouvait parler ? Impossible !

— Des nouvelles de Rebecca ? demanda David.

Vanessa secoua la tête.

— Rien. Elle ne répond ni à mes appels, ni à mes messages. Impossible de la joindre.

— Et j'imagine que tu ne sais pas où elle vit.

— Je te signale que je l'ai rencontrée il y a à peine quelques jours.

— Le jour de notre rencontre, tu m'as bien ramené chez toi, fit-il remarquer, moqueur.

— C'est pas la même chose, je te ferais remarquer. Ce jour-là, tu étais blessé ! s'écria-t-elle en lui assenant une tape sur l'épaule.

— Et pour le jour d'après, c'est quoi ton excuse ? continua-t-il, sur le même ton.

— Rhooh la la...

— C'est bon, je te taquine, la rassura-t-il avec un sourire.

Au loin, un chien aboya. En dehors de ça, seul le son de leurs semelles sur le pavé résonnait.

— Si tu penses à la joindre pour qu'elle utilise son pouvoir à nouveau, je te le dis tout de suite, c'est non !

— Rassure-toi, ça ne m'a pas effleuré l'esprit.

Après quelques secondes, Vanessa enchaîna :

— Je commence à me dire qu'on aurait au moins dû écouter ce que Blind avait à nous dire avant de reculer.

— Je l'imagine pas faire des choses très propres en tout cas, malgré son uniforme de balayeur. J'aimerais d'autant plus qu'on n'ait pas à retourner le voir.

— En tout cas, plus on en apprend sur cet endroit, le Neptune, plus il me semble dangereux. Ça me conforte dans l'idée que la soirée de samedi ne sera pas qu'une simple beuverie.

— Ouais...

— Mais on n'a pas le choix, non ?

— Non...

Vanessa s'arrêta. David fit de même et se tourna vers elle.

— Alors on fait quoi ? demanda-t-elle en levant vers lui ses grands yeux.

Pendant quelques secondes, il regarda un point vers le ciel. Pourtant, il n'y avait rien à voir à part le noir d'encre du ciel de minuit ainsi que les chauves-souris qui se fondaient dans la nuit et qu'on ne pouvait apercevoir que part à-coup. Une brise glaciale, se leva, jouant avec les mèches de ses cheveux. Puis il ramena son regard vers elle.

— Nous avons encore la journée de demain, la rassura-t-il avec un demi-sourire. Après, nous aviserons...

***

Cette nuit-là, sans préavis, Vanessa rêva...

Depuis la nuit où elle avait pu discuter avec la mystérieuse entité qui lui était apparue sous un nouveau jour, elle avait espéré la recroiser les nuits suivantes, sans résultat. Mais encore une fois, elle y était. La revoilà plongée dans ce vaste espace lumineux mais vide de vie, constellé d'étoiles et de vapeurs de toutes les couleurs.

Sans se poser autre question, elle se mit à chercher la mystérieuse entité qu'elle avait tant désirée retrouver. Elle avait besoin de réponses et Vanessa n'avait qu'elle vers qui se tourner. Flottant plus que marchant dans le vide intersidéral, elle se déplaçait, coupant à travers les nuages de vapeurs et contournant des étoiles plus grosses que sa tête. Au loin, rendu presque invisible par des nuages de vapeur plus épais que les autres, elle sentait que quelque chose cherchait à disparaître de son champ de vision. Niveau discrétion, c'était loupé, cela dit.

Arrivée à hauteur de la grosse boule multicolore, Vanessa chercha à se frayer un passage. Elle n'en doutait pas, personne d'autre que cette chose n'aurait pu vouloir se cacher d'elle dans ce monde. Dégageant les nuages aussi vaporeux que les autres, elle avançait, avançait. Décidément, cette boule avait l'air de faire des kilomètres. Elle aurait déjà dû atteindre son centre, mais elle avait l'impression que plus elle cherchait à avancer, plus elle s'éloignait de son but.

A un moment donné, elle se fit éjecter de la grosse masse sans préavis. C'était quoi ça ? Alors qu'avant, cette chose se manifestait à elle sans lui demander son avis, maintenant qu'elle désirait la voir, elle la jetait dehors à coup de pied aux fesses ? Non, non et non ! Ça n'allait pas se passer comme ça ! Bien décidée à la faire sortir de sa cachette, Vanessa reprit sa fouille vers le centre de la masse. Elle fouillait, fouillait, mais fendait l'air. Elle commençait même déjà à fatiguer mais il n'était pas question pour elle d'abandonner maintenant ! Au même instant, comme une réponse à sa prière ou sa détermination, sa main heurta violemment quelque chose.

— Aouch !

Une petite larme perla à son œil tellement la douleur était intense mais surtout inattendue. Elle avançait en balayant l'air et ne s'était pas attendue à trouver quelque chose de si dur. Devant elle, il n'y avait que du brouillard rose, vert, jaune et bleu. Reprenant son souffle, Vanessa tendit prudemment la main devant elle, cherchant ce qu'elle avait heurté. Elle sentit quelque chose de froid et sut qu'elle touchait le bon bout. Ses doigts se refermèrent sur une barre en métal, aussi froide que de la glace. La toucher lui donnait des frissons, alors que la température ambiante était normale. C'était comme si cette barre absorbait toute sa chaleur corporelle. Mais elle ne la lâcherait pas maintenant qu'elle l'avait entre les mains.

Mais pourquoi une barre de métal flottait-elle au milieu de nulle part comme ça ?

C'est à ce moment que Vanessa constata que cette barre de métal n'était pas seule. Ses sœurs étaient à ses côtés, formant ensemble de par ce beau mais morbide amour sororal, une cage. Celle-ci devait faire au moins deux fois la taille de Vanessa. Elle n'en voyait pas le sommet et encore moins les côtés. De l'extérieur, personne n'aurait pu dire que cette boule de nuage pourrait accueillir pareille prison. Mais pourquoi ? D'où sortait-elle ? Mais surtout, à qui était-elle destinée ?

La réponse ne tarda pas.

Devant elle, même si c'était difficile de voir à travers le brouillard et les barreaux, Vanessa discerna une autre couleur : Le noir, cette couleur qui la hantait depuis le début de tout ça. L'entité noire et informe était recroquevillée, si on pouvait le dire, sur elle-même, inerte, son corps volumineux remplissant plus de la moitié de l'espace. Vanessa avait l'impression qu'elle dormait. Son corps se soulevait, s'affaissait, frissonnait presque comme dans un profond sommeil. C'était étrange de raisonner ainsi alors qu'elle-même était en train de dormir. Mais elle le voyait bel et bien.

— Hey ! Hey !

L'entité frissonna mais ne bougea pas. Que faire ?

« Ce n'est pas le moment de dormir ! »

— S'il te plaît, réveille-toi !

Aucune réponse.

« Qu'est-ce qui se passe cette fois ? »

On aurait dit que cette bête était en train d'hiberner. Les nerfs de Vanessa commençaient à lâcher. Qui pouvait être assez stupide pour dormir aussi profondément à l'intérieur d'une cage ? Saisissant les barreaux à pleine main, elle se colla presque à cette prison de fer pour se rapprocher ne serait-ce que d'un millimètre de l'entité.

— Je ne sais même pas comment t'appeler ! T'as des tas de noms dans ma tête ! L'entité ! La masse noire ! La chose ! Ça doit pas te plaire que je t'appelle comme ça parce que t'es aussi vivant ou vivante que moi, on dirait. Alors réponds-moi ! Dis-moi au moins qui ou ce que tu es !

La bête bougea. Ce fut si soudain que Vanessa sursauta violemment. Elle venait de bouger, elle ne l'avait pas rêvé. D'ailleurs, ça lui reprenait. L'entité bougeait à nouveau, remuait, subrepticement mais sûrement.

— Hey ! Oui, réveille-toi, s'écria-t-elle avec enthousiasme, serrant encore les barreaux comme s'ils allaient lui céder le passage par sa seule force.

Un murmure s'éleva dans le silence oppressant des lieux. C'était elle.

— Va... nes... sa...

— Oui...

Sans même savoir pourquoi, les larmes lui montèrent aux yeux. Cette montée de liquide lacrymal fut aussi soudaine et irrépressible qu'une envie de faire pipi. Le simple fait que l'entité, l'appelle par son nom avait causé cela. Pourquoi ?

— Va... pas...

— Je n'irai nulle part ! Parle-moi !

L'entité frissonnait encore plus.

— Non... Va... pas... là...

— Je... je ne comprends pas ce que tu veux dire. Je suis ici et nulle part ailleurs !

— Danger... n'y... va... pas...

Brusquement, tout se mit à vibrer. Les barreaux, le sol censé être immatériel et même les nuages de vapeurs bougeaient d'une étrange manière. Vanessa regarda autour d'elle sans comprendre, puis elle revint vers l'entité. Ce qu'elle avait pris plus tôt pour des frissons étaient en réalité des vibrations. Elle vibrait, d'abord tout doucement, maintenant, de plus en plus fort. Autour d'elle, l'espace semblait haché et distordu et Vanessa avait du mal à voir ce qui se passait. Mais elle savait que bientôt, son rêve allait s'achever, comme la dernière fois.

Elle tenta de parler une dernière fois avec l'entité, mais aucun son ne sortit de sa bouche. A la place, l'espace se hachait de plus en plus, se tachait de noir, jusqu'à tout engloutir avec lui, à nouveau.

Vanessa ouvrit subitement les yeux, le souffle court. Dans le noir, elle tâtonna à la recherche de l'interrupteur et parvint à illuminer la pièce. Elle passa une main sur son front humide de transpiration et tenta de reprendre une respiration normale. Analysant ce nouveau rêve, l'entité l'avertissait. Elle avait malheureusement confirmé ses soupçons. Il allait se passer quelque à cette soirée, quelque chose de pas bon du tout. Et elle ferait mieux de ne pas être présente à ce moment-là. Elle l'avait avertie, une fois de plus. Mais cet avertissement avait-il un sens ? Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle devait aller à cette soirée. Elle n'avait pas le choix. Et même si elle savait qu'elle courrait un grave danger en s'y rendant, elle prendrait le risque. Elle le devait au moins pour Rebecca.

***

La mine un peu plus sombre que la première fois, David frappa à la porte toujours aussi rouillée de l'entrée de service du Sunset, le lendemain en fin d'après-midi. Vanessa tout comme lui aurait souhaité ne pas y revenir mais la situation étant ce qu'elle était, ils n'avaient plus le choix. Après avoir fait tout leur possible, fouillé partout, questionné un nombre incalculable de personnes, ils avaient fini par reconnaître l'évidence : Blind était la seule personne capable de les aider.

Ce dernier, en passant sa tête pleine de cheveux gras par la porte, ne parut même pas surpris de les revoir.

— Oh, c'est vous, dit-il en sortant et en refermant la porte discrètement derrière lui comme la dernière fois.

Quelque chose leur disait que son patron ne devait pas être au courant de ses activités parallèles.

— Alors vous avez changé d'avis ? demanda-t-il l'air ravi alors qu'il connaissait parfaitement la réponse.

— Quelque chose me dit que vous vous y attendiez, n'est-ce pas ? répliqua David avec une grimace plus qu'un sourire sur le visage.

— Effectivement ! Et je me réjouissais d'avance de voir vos têtes lorsque vous reviendriez.

— Que faut-il faire pour que vous nous laissiez y aller ? coupa Vanessa. Nous ferons ce qu'il faut. Qu'est-ce que vous voulez ?

— Moi ? Oh non, il ne s'agit pas de moi dans cette affaire, mais plutôt des gens avec qui je suis...en affaire.

Blind sourit et se mit soudainement à les détailler de la tête aux pieds, en leur tournant autour, comme on évaluait des bêtes de somme.

— Je crois que vous conviendrez, conclut-il en se grattant le menton.

— Qu'est-ce que vous faîtes ? demanda Vanessa.

Elle avait rarement envie de taper quelqu'un mais avec Blind, l'envie montait de plus en plus. Ce genre de personnage l'horripilait au plus haut point et on aurait dit que ça l'enchantait de donner des envies de meurtre aux gens.

— Pour être plus précis, pour entrer dans cet endroit, il va falloir donner de ta personne, gazelle. Et toi aussi, mon grand. Pas en tant qu'invité, mais en tant qu'accessoire.

En tant qu'accessoire ? Comment ça ? Vanessa ne comprenait pas vraiment à quoi est-ce qu'il faisait allusion. Ils devaient accompagner des gens si elle avait bien compris, non ? En tant qu'accessoire ? Ça ne voulait quand même pas dire ce qu'elle avait en tête, non ?

Au même moment, David se rapprocha à nouveau de Blind et le souleva de quelques centimètres en le tenant par le col d'une seule main. Sa frange ne masquant plus son œil borgne, Vanessa eut à nouveau l'impression de voir le creux sur le visage du borgne palpiter et eut un haut-le-cœur. Heureusement, elle se retint de vomir en mettant sa main devant sa bouche.

Blind se laissa faire, sans doute habitué à pire que ce petit accrochage. David quant à lui ne s'était pas départi de son sourire, ce sourire perpétuel, ce sourire qui ne le quittait jamais. Par contre, ses yeux ne riaient pas du tout. Ils étaient glacés.

— Tu n'es pas en train de suggérer ce que je crois, hein ? Ce ne serait pas une proposition très délicate pour mon amie, déclara David d'une voix maîtrisée.

Blind ne répondit pas mais esquissa un sourire qui devait sans doute répondre à sa question.

— David ! Arrête !

Vanessa, qui avait repris ses esprits, s'interposa et força David à relâcher sa prise. Celui-ci le lâcha sans rechigner et rangea ses mains dans les poches de son pantalon. Il plongea ses iris ambrés dans ceux de Vanessa. Elle se posait beaucoup de questions quant à l'attitude de son ami. Mais dans un sens, elle comprenait, même si elle avait un peu peur de confirmer ses soupçons. S'adressant à Blind, elle se décida à poser la question.

— Est-ce que... est-ce que vous êtes en train de suggérer qu'on vienne à cette soirée en tant qu'escorte ?

Vanessa aurait aimé se tromper, vraiment. Mais le large sourire qui illumina le visage de fouine de cet individu en réponse à son interrogation suffit à vérifier ses craintes. Quand il avait parlé de donner de sa personne, il ne parlait pas au sens figuré...

A Suivre...

©Tous Droits Réservés

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Yeah! Le chapitre 12 se termine sur cette note joyeuse (ironie, quand tu me tiens :3). Bravo à myliebonheur qui avait vu juste. ;)

J'espère que ce chapitre avec ses révélations vous aura plu et que vous aimerez également la suite.

Merci à tous 😘

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