Dès dix heures le lendemain, la prospection commença.
David et Vanessa s'étaient retrouvés sur la Place Charles II et en trois heures, avaient écumé presque toutes les agences d'événementiels des environs. Ils avaient fait choux-blanc. Aucun d'eux n'avait jamais entendu parler du Neptune. Ce bilan les confortait dans ce sentiment comme quoi cet endroit n'existait pas du tout. Chacun habillé chaudement, une veste pour un et un pull pour l'autre, ils déambulaient dans les rues pavées et goudronnées.
Bon gré mal gré, c'était aussi une occasion pour Vanessa de visiter un peu la région. David le lui avait promis une semaine auparavant. Alors, autant joindre l'utile à l'agréable, comme il le lui avait rappelé avant de l'entraîner parmi un groupe de touristes qui découvrait « le pays noir », où se rassemblaient terrils, mines et usines, théâtre de terribles catastrophes dans les années cinquante. Le chantier Rive Gauche* également attirait du monde de par ses infrastructures atypiques. Vanessa était à la fois impressionnée, et perplexe devant cette petite ville qui se battait pour attirer la foule et qui mettait parfois en valeur des choses qu'elle ne comprenait pas et qu'elle n'était pas sûre de pouvoir comprendre un jour.
Ils évoluèrent jusqu'à Marcinelle où David désigna de loin le site minier du bois de Cazier. Il promit à Vanessa de lui faire visiter un jour.
— Les Carolos n'ont pas honte de leur histoire, tu sais, enchaîna-t-il après lui avoir raconté brièvement l'histoire des catastrophes industrielles.
— Les quoi ? s'exclama Vanessa. C'est quoi ce charabia ? Une incantation ?
— Les Carolos. C-A-R-O-L-O-S. Ou les Carolorégiens, si tu veux. C'est nous, les habitants de Charleroi. Je te rassure, peu d'étrangers le savent, ponctua-t-il avec un rire amusé. Peu de natifs aussi, d'ailleurs.
— Tu m'étonnes, répliqua Vanessa en riant également.
Ils continuèrent ainsi leur marche dans la bonne humeur. Oubliant presque l'objectif premier de cette sortie.
A quatorze heures, ils prirent de quoi déjeuner dans une petite boulangerie : un sandwich au boudin noir, spécialité de Charleroi, en regardant les feuilles des arbres tomber sur un banc pas loin. Vers quinze heures, ils commencèrent la tournée des boîtes de nuit qui se préparaient pour ouvrir leurs portes aussitôt le soleil couché. Pour cela, David mena Vanessa dans des dédales de ruelles plus glauques les unes que les autres, même en pleine journée.
Ils pénétrèrent dans des établissements au nom grotesque, gérés par de tout aussi grotesques personnes, des clichés ambulants, des hommes trapus, couverts de bijoux et transpirants le danger mais aussi la luxure. Inutile de préciser qu'aucun de ces « gros bonnets » ne voulait perdre son temps avec des gamins comme eux.
— Merci quand même, lança avec sarcasme David, alors que le patron de « L'Opium » leur claquait la porte au nez.
Vanessa jeta un œil à la feuille de route que David avait établie avant de la rejoindre.
— Alors, le prochain c'est... le « Sunset ». C'est par où ?
— La prochaine à droite. Ces endroits sont presque tous situés dans le même secteur alors on aura vite fait le tour.
— Je vois ça. Mais pas trop vite quand même, j'espère. On aura bientôt balayé toute la liste et nous n'avons toujours aucune piste.
— Ce n'est pas encore fini. Allons-y.
***
Le Sunset était une boîte comme une autre. Une énorme enseigne encore éteinte à cette heure de la journée marquait l'entrée mais l'endroit ressemblait étonnement à un simple entrepôt complètement en ruine. Son nom venait sûrement du fait qu'il risquait ne pas voir le prochain coucher de soleil. Un peu à l'écart, au détour d'une ruelle entre le bâtiment et son voisin, David trouva une minuscule entrée de service. Sans hésiter, celui-ci porta des coups secs et énergiques contre la porte en fer rouillé. Alors qu'ils n'obtenaient aucune réponse, il était sur le point d'en rajouter une couche lorsque la porte s'écarta doucement. De minces et longs doigts griffus attrapèrent le battant et une tête dépassa de l'entrebâillement. Il ne laissa voir que la moitié de son visage, son œil marron plissé, comme s'il n'avait jamais vu la lumière.
— C'est pour quoi ? demanda-t-il d'une voix caverneuse.
— On voudrait parler à ton patron, déclara David, devançant Vanessa.
Il avait à nouveau plaqué sur son visage un sourire. Vanessa se demanda comment il arrivait à sourire même devant un type aussi bizarre.
— Pas là. C'est tout ? Bon...
Ce n'était pas l'amabilité qui l'étouffait, au moins. Il s'apprêtait à refermer la porte mais David la bloqua avec son pied.
— Pas si vite, fit-il sans se départir de son sourire. On vient à peine d'arriver. Tu es sûr qu'il n'y a personne à qui nous pouvons nous adresser ? On veut juste quelques renseignements. C'est important.
— Et qu'est-ce que j'en aurais à foutre, moi ? Barrez-vous, les mômes !
— Non mais...
— Blind ! Je peux savoir ce que tu fais ? rugit une voix derrière la porte.
Le dénommé Blind sursauta en même temps que les deux jeunes gens et soudain la porte s'ouvrit à la volée, dévoilant entièrement le visage de leur désagréable interlocuteur. Des cheveux bruns hirsutes qu'il avait essayé de ramener en une frange molle, vaine tentative de masquer son œil droit, se dévoilèrent. Vanessa étouffa doucement un cri de surprise. L'œil droit de Blind était clos et creux. Il semblait désespérément... vide. De grosses cicatrices qui avaient déjà pris la teinte de sa chair marquaient le contour de sa paupière. « Blind » était sûrement un pseudonyme. Vêtu d'une combinaison marron et de chaussures en caoutchouc, il avait tout l'air d'un simple technicien de surface. Elle ne lui aurait pas donné plus de quarante ans.
Le nouveau venu contrastait tragiquement avec lui qui « était désespérément maigre ». Un grand gaillard aux allures de lutteurs, ses cheveux blonds coupés en brosse, en marcel noir et pantalon militaire, se tenait derrière Blind. Une fine chaine en argent brillait à son cou ainsi qu'une pierre à son oreille. Vanessa crut même voir un tatouage dépasser de son épaule gauche mais elle ne lui demanderait sûrement pas de la laisser vérifier.
— Toi, retourne bosser, cracha-t-il à Blind, qui retourna à l'intérieur sans demander son reste.
Se tournant vers eux, il ajouta :
— Que puis-je faire pour vous ?
L'armoire à glace les jaugea de la tête aux pieds d'un œil impassible. Vanessa décida de se lancer avant que David ne la devance une fois de plus. Autant qu'elle serve à quelque chose étant donné que jusqu'à présent, David gérait tout.
— Excusez-nous, mais on voudrait quelques renseignements.
Le tondu se tourna vers elle.
— A propos de ?
— On recherche un endroit appelé Le Neptune, est-ce que vous connaissez ? Ce doit être une boîte de nuit comme cet endroit.
Au loin, le bruit de quelque chose heurtant le sol résonna. Musclor, qui n'était autre que le doux surnom que Vanessa venait d'affubler à son interlocuteur, faute de connaître son nom, gratta sa mâchoire volontaire et imberbe un moment puis secoua la tête.
— Connais pas. Peut-être que ça avait un autre nom avant. Z'avez pas un indice ou quoi que ce soit d'autre comme détail ?
David et Vanessa se regardèrent, dépités. Finalement, David reprit :
— Ça fait un moment qu'on cherche cet endroit et nous savons de source sûre qu'il existe et qu'il y aura une soirée ce week-end. Il ne semble pas non plus qu'il vienne d'ouvrir mais on dirait que personne ne connait son existence ou alors que personne n'ose en parler. Il n'y a rien sur internet, aucune photo, aucun article, aucune n'adresse. On dirait un endroit fantôme. Pourtant, il est bien là quelque part.
Musclor réfléchit encore quelques instants. Soudainement, son visage s'illumina comme lorsqu'on se rappelait d'un événement longtemps cherché mais caché au fond de sa mémoire.
— Maintenant que tu le dis, ça me fait penser à quelque chose.
— Dites-nous ce que vous savez, s'il vous plait, supplia Vanessa.
Si à cette allure ils n'obtenaient aucun renseignement, ils n'y arriveraient jamais et il était hors de question de solliciter à nouveau les pouvoirs de Rebecca.
— Oui, continua-t-il, les bras croisés sur ses énormes pectoraux. Mais ce sont plus des rumeurs qu'autre chose. Je ne pense pas que ça vous mènera quelque part.
— C'est mieux que rien, répliqua David.
— Eh bien, j'entends parler depuis quelques mois d'un endroit. Il n'a pas de nom précis et encore moins de lieu fixe mais à des intervalles irréguliers et totalement imprévisibles, il organise des soirées réputées sensationnelles, avec tout un gratin de fils de bourge, de petites stars montantes et une poignée de chanceux. Chaque fois, elles se tiennent dans le plus grand secret et tous les invités sont tenus de garder le silence. A chaque soirée, un nouveau nom, un nouveau lieu, un nouveau concept et à la fin, pouf ! Tout le monde remballe et on n'en entend plus reparler jusqu'à la soirée suivante.
— Mais alors, comment ils font pour être tenus informés lorsqu'une fête a lieu ? Et qui les organise ? Et on fait comment pour y entrer ?
— Tu me poses de ces questions, ma jolie ! Comment tu veux que je le sache ? On dit que l'organisateur lui-même sélectionne tous les invités via un réseau connu de lui seul. Et ne comptez pas sur les invités eux-mêmes pour cracher le morceau. Ces gens-là sont trop jaloux de leurs privilèges. Si vous comptiez vous incrustez là-bas, laissez tomber. Par contre, j'aurais bien de la place pour vous ici. On est toujours en manque de personnel, conclut-il en jetant un regard appuyé à David.
Vanessa, interloquée, jeta un coup d'œil horizontal vers les deux hommes.
— Vous êtes aimables, mais non, ça ira, rétorqua simplement David. Encore merci pour les infos. On y va, Van.
— Comme vous voudrez, se contenta-t-il de répondre, nullement touché. Au plaisir de vous revoir.
— C'est ça, oui, marmonna doucement David alors que la porte se refermait derrière eux.
Vanessa se demanda si elle avait rêvé. Oui, sûrement. David était toujours gentil, avec tout le monde. Alors qu'ils rebroussaient chemin à travers la ruelle, ils entendirent quelque chose. Un « Psst Psst » résonna.
— J'ai l'impression que c'est à nous qu'on fait signe, réalisa Vanessa.
Intrigués, ils revinrent sur leurs pas et trouvèrent la grande porte entrouverte. Presque immédiatement, Blind passa sa tête et, les voyant revenir, sortit complètement et referma doucement la porte derrière lui. Il s'approcha d'eux à pas rapides mais prudents. Vanessa voyait en lui une espèce de fouine. Il transpirait la ruse et la curiosité. Bref, avec ce qu'ils venaient d'entendre, ça n'annonçait rien de bon.
Son œil gauche mi-clos donnait l'impression qu'il manigançait quelque chose.
— J'ai un moyen de vous faire participer à la fête, dit-il à mi-voix, sous un air de conspirateur.
L'air autour de lui était devenu un peu plus étouffant. La façon suspecte dont il leur parlait maintenant alors qu'il était à deux doigts de leur claquer la porte au nez tout à l'heure et la déclaration qu'il venait de faire mises ensemble, ce Blind n'était pas quelqu'un qui devait inspirer la confiance à beaucoup de monde. Vanessa n'aimait pas juger les gens comme ça mais David serait sûrement du même avis. Ce dernier semblait pourtant comme d'habitude, ce qui l'étonna encore plus. Il devait y avoir des limites à sa sympathie, non ?
— Vous avez écouté notre conversation, constata David.
— Oui, et heureusement pour vous, répliqua-t-il en dévoilant des dents étonnamment blanches pour un type comme lui. Quelqu'un comme Gilles ne pourrait jamais vous renseigner.
« Ah ! L'armoire à glace avait un nom ! »
— Alors, où est-ce que c'est ?
— Tout doux, jeune fille.
Vanessa eut l'impression que sa paupière droite avait bougée. Non, non. Elle délirait, il était bel et bien borgne.
— Je ne peux pas vous le dire, par contre, je peux vous amener à des personnes qui, elles, pourraient vous y conduire. Mais ça ne sera pas gratuit.
Lentement, David s'approcha de l'individu. Vanessa se mit de côté pour bien observer le tableau qu'ils formaient. David s'approcha de plus en plus de Blind et le força à reculer jusqu'au mur. Cela étonna Vanessa. De ce qu'elle voyait, David restait souriant, il ne touchait même pas Blind. Pourquoi avait-il l'air aussi menaçant en cet instant ?
— C'est juste moi où tu veux nous entourlouper ? Profiter de deux jeunes gens en détresse, ça t'amuse ?
— Que vas-tu imaginer là ? gloussa Blind en faisant un geste évasif de la main. Mais libre à toi de m'écouter ou pas. Et toi ? Tu es sûre de ne pas vouloir écouter ce que j'ai à dire ?
« Ce mec est trop chelou ! »
En temps normal elle aurait déjà pris ses jambes à son cou, mais le fait était qu'ils n'avaient aucune piste hormis celle de Blind pour l'instant. Néanmoins, elle avait peur de ce qu'il allait leur proposer. Et puis il n'était pas encore trop tard, si lui connaissait un moyen d'y parvenir, alors d'autres le connaîtraient sûrement.
— Je ne préfère pas non, décida-t-elle. Vous êtes trop louche, sans vouloir vous vexer.
— Je t'en prie, répliqua-t-il avec un sourire ravi. Bon courage, les jeunes. Vous savez où me trouver, mais je vous préviens, la liste est longue...
Vanessa avait déjà tourné les talons, suivie par David, pour s'éloigner le plus vite possible de cet endroit et de cet homme.
— Qu'est-ce que tu en penses ? demanda-t-elle à son acolyte une fois qu'ils furent revenus sur la rue normale.
Au moins, là les bruits de la circulation et des passants allégeaient un peu la tension qui l'avait submergée dans cette ruelle. On aurait même dit que le soleil en personne tentait de la consoler en la gratifiant de quelques malheureux rayons.
— J'en pense qu'il ne m'inspire pas confiance. On continuera comme avant. On finira par trouver.
— Ouais, j'espère.
À Suivre...
©Tous Droits Réservés
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Lexique:
Chantier rive gauche: Projet de construction d'un centre commercial à Charleroi terminé à cette date;
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Hello, chers lecteurs. J'espère que vous allez bien. La route vers la Neptune n'est plus très loin. Comment nos héros vont-ils y entrer ? La suite, au prochain chapitre. ;)
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