Chapitre 1.2
Une fois habillée, Vanessa s'observa devant le grand miroir qui décorait son placard. Comme d'habitude : jean noir près du corps, un t-shirt simple, sa veste et des bottines. Elle laissa pendre ses longs cheveux noirs coiffés en rasta le long de son dos et saisit sa bandoulière. Etait-ce juste elle ou bien avait-elle maigri ?
Difficile à dire étant donné qu'elle n'avait jamais été très en chair.
Sept heures.
Il était temps d'y aller.
La jeune fille vida d'un trait le reste de sa tasse de café et sortit de sa chambre, cette fois bien réveillée. Ses écouteurs enfouis dans ses oreilles, elle lança la musique qui se trouvait dans son portable. Une chanson de Nico Touches The Walls, un groupe J-Rock* très connu, envahit ses tympans et l'éloigna de tous les bruits alentour.
Ah, le Japon, doux pays de son cœur.
— Coucou Shiro, dit-elle en sentant quelque chose se frotter à ses pieds.
La petite boule de poils répondant à ce nom vint se frotter contre sa cheville. Ce chat squattait déjà les alentours de son immeuble bien avant son arrivée. Son pelage touffu d'une couleur aussi blanche que la neige, contrastant cruellement avec les pavés noirs des rues, était à l'origine de son nom. Shiro signifiant en réalité « blanc » en Japonais, il avait semblé tellement original à Vanessa de le nommer ainsi sur le coup.
Elle en riait encore.
Elle se baissa pour lui caresser la tête et gloussa en sentant les ronronnements affectueux du petit chat. Peut-être devrait-elle songer à le récupérer ni vu ni connu. C'était risqué étant donné que les animaux étaient interdits chez elle, mais ça vaudrait sûrement le coup d'avoir de la compagnie, surtout pour ses nuits...
Délaissant son compagnon solitaire, elle se dépêcha vers l'université.
La jeune Camerounaise évolua au rythme de la musique, puissante et entraînante, en resserrant les pans de sa veste pour se protéger de la fraîcheur de mi-octobre. Sa frilosité naturelle allait lui causer bien des soucis plus tard. Passant dans une allée bordée de grands arbres majestueux qui perdaient peu à peu leur feuillage, elle s'arrêta un instant et leva la tête. Les feuilles étaient désormais si fragiles qu'elles tombaient à la moindre caresse du vent. C'était triste et beau en même temps.
Arrivée aux portes du campus non sans avoir failli se faire renverser par un gars en scooter, Vanessa traversa l'énorme portail en fer qui l'avait tant intimidée au début. Elle continua son chemin en passant par des mini-parcs où bon nombre d'étudiants traînaient entre deux cours ou durant leur temps libre. Elle jeta un regard autour d'elle durant son trajet vers l'amphithéâtre qui allait l'accueillir ce matin. Les professeurs, les étudiants, le personnel, tous se fondaient dans une masse grouillante et en perpétuel mouvement.
— Tu veux t'inscrire ? demanda une voix près d'elle.
Un flyer à la main, une fille l'accosta pour lui proposer de s'inscrire dans le club d'art. La Camerounaise faillit la rembarrer comme elle l'aurait fait d'un démarcheur mais se ravisa. C'était la période de démarrage des clubs. Tous faisaient le branle-bas de combat pour recruter des membres. Clubs sportifs, clubs artistiques, clubs intellectuels, il y en avait pour tous les goûts.
Il y avait une telle liberté et un engouement certain pour le développement des talents personnels de chacun dans ce système scolaire. Elle en venait presque à déplorer celui du Cameroun qui, bien que l'ayant formée comme il se devait, ne laissait pas beaucoup de place aux passions et consort. C'était, pour autant qu'elle le sache, toujours boulot, boulot, boulot !
En acceptant la feuille d'information et en remerciant la fille d'un sourire, elle se promit de réfléchir à intégrer un club où elle se sentirait bien et où elle rencontrerait des personnes comme elle. Mais pour le moment, elle devait d'abord se familiariser avec sa nouvelle vie et surtout résoudre ses problèmes de sommeil.
— Bon, allons-y, s'encouragea-t-elle d'un murmure un peu blasé en se dirigeant vers sa salle de cours.
***
Premier cours : Histoire de la Littérature.
Comme à son habitude, elle s'installa dans un coin près de la sortie Ouest, que les gens évitaient en raison du froid. Elle était ainsi certaine de ne pas se faire déranger. Toujours ses écouteurs aux oreilles, elle s'amusait souvent à observer le visage de ses camarades. Ils étaient tous réunis ici pour les mêmes raisons qu'elle. Ça riait d'un peu partout et sans même l'entendre, grâce à la qualité de ses oreillettes, Vanessa savait que c'était un vrai capharnaüm dans la salle.
À un moment, un groupe de filles passa devant elle. En voyant leurs ongles fraîchement manucurés, leur visage peinturluré, leurs cheveux artistiquement arrangés et leurs vêtements flashy, Vanessa piaffa intérieurement. Elle avait sous les yeux le plus grand cliché des livres pour ado qu'elle avait lus dès la cinquième. Et telle l'héroïne pseudo anticonformiste qu'elle était censée incarner dans cette histoire, elle roula des yeux devant ce spectacle de pintades sur lesquelles un arc-en-ciel avait sans doute vomi.
— Mon dieu, mieux encore rester toute seule, pensa-t-elle avec humeur.
Ce n'était que mauvaise foi, elle le savait. Rien que les paroles d'une fille qui avait passé trop de temps à parler avec des personnes à travers un écran. Dire qu'elle n'avait trouvé que cette raison, stupide soit dit en passant, pour justifier le fait qu'elle n'avait pas d'ami ! De toute façon, une fille comme elle qui ne connaissait que les jeux vidéo et les mangas n'était pas vraiment intéressante.
De quoi pourrait-elle bien parler ?
Elle n'avait pas beaucoup d'expérience avec les garçons, les fêtes n'étaient pas trop son fort et les séries et films qu'elle aimait ne seraient sans doute pas du goût de la majorité. Sam appelait ça un manque de volonté pure, Vanessa elle, appelait juste ça être intimidée. Elle n'avait jamais été très douée avec les gens.
Son amie de toujours lui manquait tellement.
Le professeur arriva finalement, l'empêchant ainsi de se noyer dans cette mélancolie grandissante, mais la salle ne se fit pas silencieuse pour autant. Le manque de respect flagrant dont les étudiants faisaient preuve envers des professeurs agrégés était affligeant aux yeux de Vanessa. Pour elle qui venait d'un collège catholique où la politesse était de rigueur, le changement de milieu était drastique mais à force, elle avait fini par s'y faire. Au moins sur ce côté-là, ça avait été rapide.
Le cours commença, et s'acheva. Puis un autre encore. Au total, il n'y en eu que trois aujourd'hui mais ils se succédèrent plus lentement qu'à l'accoutumé. À quatorze heures, et malgré la pause d'une heure à laquelle ils eurent droit à midi, les étudiants démontraient une telle fatigue et un tel manque de volonté que le professeur, complaisant, consentit à écourter le cours.
La journée était finie.
« Enfin », pensa Vanessa en rassemblant ses affaires.
Même elle avait fini par déclarer forfait au bout d'une heure du troisième cours. Compte tenu de sa situation, cela relevait déjà du miracle qu'elle ne se soit pas écroulée quatre heures plus tôt. Elle s'apprêtait à remonter les escaliers vers la sortie mais sa vue se brouilla un moment.
— Hey ! Fais gaffe !
Elle s'était appuyée sans le savoir contre quelqu'un qui l'avait repoussée sans ménagement. La compassion, c'était pour les tapettes, apparemment... Mais Vanessa ne s'en soucia pas plus que ça, trop accaparée par ce qui venait de se passer. Elle s'adossa légèrement sur une des tables en alliage de plastique et de métal, clignant des yeux pour reprendre ses esprits. Un flot d'étudiants continuait de défiler devant elle, sans lui accorder la moindre attention.
— Merde, c'est encore quoi maintenant ?
Une migraine atroce, sans doute à l'origine de son léger malaise, lui vrillait maintenant les tempes. Atteignait-elle ses limites ? Elle préférait que ce ne soit pas le cas.
Le chemin jusque chez elle lui parut étrangement long. Elle semblait dans le brouillard. Encore heureux que personne n'ait remarqué son état sinon elle n'imaginait même pas ce qu'on aurait été capable de lui faire. Elle ne prêta aucune attention à Shiro qui était revenu pour l'accueillir. A peine le pas de sa porte franchi qu'elle s'affala sur son lit taille standard, sans même prendre la peine d'enlever ses vêtements.
Elle avait lutté pendant des jours mais il lui était impossible de tenir plus longtemps. Sans pouvoir s'en empêcher, ses paupières papillonnèrent quelques instants, avant de se fermer pour de bon, la plongeant dans un monde qu'elle ne comprenait pas.
***
« Vivre... »
« Vivre... »
Une voix résonnait dans sa tête. Une voix ? Non, plutôt plusieurs. Une dizaine ? Une centaine ? Peut-être des milliers de voix, qui parlaient en même temps, et répétaient en psalmodiant les mêmes mots :
« Vivre... »,
« Vivre... ».
Vanessa avait l'impression de flotter. L'espace autour d'elle était noyé dans une obscurité oppressante et elle ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Elle avait beau se retourner et plisser ses yeux dans cette immense obscurité mais ne parvenait jamais à distinguer quelque chose de précis, tout au plus des formes floues et tremblantes. Autrement dit, rien ne la rassurait quant à sa présence en ce lieu bizarroïde. Où se trouvait-elle ? Pourquoi était-elle là ? Qu'est-ce qui se passait ? Tout cela n'était pas normal. Même un aveugle pourrait le sentir et aveugle, elle l'était bel et bien.
L'angoisse commença à la submerger. Pendant ce temps, les voix poursuivaient leur chant, si tel pouvait être appelé ainsi un assemblage étrange de multiples voix qui débitaient les mêmes mots en un rythme lent mais régulier, effrayant mais hypnotique.
— Il y a quelqu'un ?
Le son de sa propre voix lui parvenait comme noyé dans des litres d'eau, lointain, flou, désarticulé. Elle ne savait plus ce qui était réel et ce qui ne l'était pas, mais la sueur qui perlait dans son dos et la chair de poule qui parsemait ses bras étaient bien réelles, elles. Et, perdue au milieu de ce nulle part et n'importe où, le souffle commença à lui manquer. Les voix quant à elles, continuaient de psalmodier :
« Vivre... »
« Vivre... »
Elles provenaient d'un point plus éloigné mais reconnaissable par l'agitation et l'électricité qui semblaient s'en dégager. Enfin quelque chose qui semblait bouger dans ce néant obscur. Mais Vanessa n'était pas sûre que ce soit une bonne nouvelle. Toutefois, comme mue par un sentiment étrange, irrépressible et presque sauvage de curiosité, elle commença à avancer, encore, toujours plus, vers l'endroit d'où semblait provenir ces voix.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, alors qu'elle se rapprochait de la forme floue.
Sa voix semblait toujours aussi lointaine, aussi... instable...
« Vivre... »
« Renaître... »
« Vivre... »
Elle remarqua que les voix avaient changé de discours.
— Que voulez-vous ? essaya-t-elle encore une fois en cherchant tant bien que mal à atteindre le point distordu.
Les voix continuèrent leur étrange monologue.
« Vivre... »
« Renaître... »
« Vivre... »
« Renaître... »
Jusqu'au moment où soudain, une forme se révéla juste devant elle, encore plus obscure que l'espace privé de lumière dans lequel elle se trouvait. Elle dévoila un large sourire aux dents étrangement blanches et pointues, bien visibles malgré la matière visqueuse et instable qui constituait la mystérieuse entité.
« Ou mourir... »
A suivre...
©Tous Droits Réservés
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Lexique :
J-Rock* : Rock japonais
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Hello tout le monde. Merci d'avoir lu la suite de mon histoire. Les choses sérieuses commencent, j'espère que vous êtes prêts pour le chapitre suivant.
Gros bisous 😘
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