Chapitre 47 : Le chef

Doliannah commençait à se calmer. Elle avait pleuré, gémi et retenu des cris de désespoirs pendant de nombreuses minutes, étendue sur le sol. Nereo n'avait pas osé parler, n'ayant rien trouvé à dire, et l'avait observée avec douleur pendant tout ce temps, appuyé contre les barreaux qui séparaient leurs deux cellules.

En se retournant sur le dos, Doliannah sentit une douleur dans sa poitrine mais elle n'avait aucune blessure physique à cet endroit. Le poids dans sa gorge l'empêchait de dire le moindre mot, mais de toute façon, elle ne voulait pas parler. Adonis était mort. Elle se répétait cette phrase dans sa tête. Désormais, le docteur avait rejoint Lucinda et Siriae et avait arrêté de souffrir. Cependant, Doliannah ne pouvait que se sentir responsable. Elle aurait dû mieux protéger Adonis et Nereo, mieux se battre. Évidemment, elle pensa à ce qu'elle aurait pu faire pour le sauver mais ne fit qu'aggraver sa peine. Adonis avait sauvé la jeune serkonnienne, il l'avait tant aidée mais cette nuit-là, Doliannah n'avait pas réussi à en faire de même. Jamais il ne reverrait Ornella et Alexei et à ce moment, la jeune Contero pensa qu'il en serait de même pour elle.

Un homme vêtu de noir, plutôt âgé, entra avec un sac dans la cellule de Doliannah pour s'approcher de cette dernière. Un garde passait régulièrement devant les cellules et surveillait les prisonniers d'un œil méfiant. L'homme plutôt âgé s'agenouilla et ouvrit son sac. Doliannah leva les yeux vers lui mais resta immobile, allongée par terre sur le dos.

-Vous êtes qui ? lança sèchement Nereo depuis l'autre cellule.

-Un médecin, répondit l'homme. Je suis venu m'occuper de la plaie de Doliannah Contero. Mademoiselle, voudriez-vous me montrer votre jambe, je vous prie ?

En reniflant, la jeune serkonienne s'assit pour qu'il ait accès à sa plaie et puisse s'en occuper. Ce médecin était beaucoup moins doux qu'Adonis et moins talentueux. Une fois la plaie pansée, le médecin quitta la cellule sans dire un mot. Doliannah se laissa alors à nouveau tomber sur le sol pour se remettre à pleurer. Nereo éprouvait tant de peine et se colla un peu plus aux barreaux.

-Dolly, je sais que vous souffrez, dit-il. Sachez que la mort d'Adonis m'affecte aussi, pas autant que vous cependant... Mais nous sommes emprisonnés chez les Illuminés. Nous verrons bientôt leur chef. Nous devons être forts.

-Parce que vous comptez les affronter ? demanda la jeune Contero. Après ce soir, vous pensez encore avoir vos chances ?

-Vous baissez les bras ? Tout ce que nous avons fait depuis des semaines ne servait à rien pour vous ? Je pensais que tout cela avait pour but de nous rapprocher des Illuminés afin de les anéantir, n'est-ce pas votre objectif ? Les tuer pour venger Epinda ?

Elle ne répondit pas.

-Nous sommes au sein de leur groupe désormais, reprit-il. Nous sommes tout près du but, il est temps de réfléchir à un plan.

-Mais nous n'avons aucune chance... sanglota la jeune serkonienne.

-Où est passé votre espoir ? s'étonna le combattant. Vous avez entraîné tant de personnes dans votre quête de vengeance pour abandonner maintenant ? Et... ne devrions-nous pas tenter d'agir, au moins ? Vous préférez ne rien faire et attendre votre mort ? Ce n'est pas la Doliannah qui se battait à mes côtés il y a peu.

À ce moment, la gorge de la jeune Contero se resserra davantage. Elle se souvenait de ce qu'elle avait dit à Adonis, qu'elle n'avait pas le temps de se morfondre. Nereo s'arrêta de parler. Il attendait une réaction de Doliannah qui ne tarda pas. Cette dernière se releva avec difficulté et se hâta vers le combattant, collé aux barreaux, qui recula en la voyant.

-Nous ne savons même pas ce qu'ils veulent ! Ces cinglés vous tueront et me tortureront peut-être ! hurla-t-elle en se plaquant aux barreaux.

Nereo s'approcha et tenta de la rassurer en essayant de lui caresser la joue mais Doliannah lui tourna le dos pour s'éloigner des barreaux.

-Adonis ne méritait pas de mourir... pas comme ça, dit-elle plus calmement. J'aurais dû empêcher cela. Je n'aurais pas dû tous vous entraîner là-dedans.

-Mais vous l'avez fait, répliqua-t-il aussitôt. Et nous avons accepté. Vous ne nous avez pas forcés, Dolly. Nous ne pouvons pas ramener Adonis mais nous pouvons le venger, comme Epinda. Il vous suffit de vous battre. Vous connaissez le responsable. Il est ici, dans ce bâtiment.

-Vous ne comprenez pas... Je suis la cause de tout cela. Tous ces morts, j'en suis la seule et unique responsable. Je m'en veux tellement...

-Oh non, vous n'allez pas me faire ça, soupira le combattant. Vous le saviez ! Vous saviez que cette quête de vengeance nous faisait risquer nos vies ! Nous le savions aussi ! Mais nous avons jugé cette cause juste, donc nous l'avons soutenue.

Derrière les barreaux, Nereo commençait à s'énerver. Doliannah, toujours en larmes, revint lentement vers lui mais fut surprise lorsqu'il la saisit avec violence par le bras, à travers les barreaux, pour la tirer vers lui.

-Ce n'est pas le moment de baisser les bras ! Nous n'avons pas le temps de pleurer nos morts maintenant, ajouta-t-il en baissant la voix. Nous devons agir. Quand nous rencontrerons le chef, j'essaierai de mettre au point un plan. Il est hors de question que je ne fasse rien. Pas après tout ce que nous avons déjà fait.

Le combattant réalisa alors qu'il faisait mal à la jeune serkonienne en serrant avec force son bras et la lâcha soudainement. Celle-ci semblait choquée, elle tourna les talons pour rejoindre le centre de la cellule.

-Dolly, je... commença-t-il, d'un air désolé.

-Laissez-moi, répliqua-t-elle sèchement en s'asseyant par terre.

Nereo se tut alors pendant le reste de la nuit. Doliannah et lui ne dormirent pas vraiment, seulement quelques minutes, sombrant d'épuisement. Et le matin, ils furent réveillés par un Illuminé qui ouvrit brutalement les cellules.

-Le chef veut que vous soyez présentables, grogna-t-il. Passez devant, je vais vous guider jusqu'à des salles de bains.

Sans lutter, Doliannah et Nereo obéirent. Ils se virent donner de nouveaux vêtements, entièrement noirs et se retrouvèrent chacun face à des éviers et un miroir pour se nettoyer rapidement. Les salles de bain étaient à côté l'une de l'autre mais séparées. Le combattant se changea rapidement puis lava son visage. De son côté, Doliannah resta face à son reflet un moment. Ses pleurs récents se voyaient, son visage était toujours couvert du sang d'Adonis, ce qui lui fit encore plus de mal. Elle revoyait encore sa mort, la détonation, son corps sans vie s'écrouler sur le sol. Et son sang avait giclé sur la jeune serkonienne. Cette dernière finit par l'enlever avec de l'eau avant de mettre les vêtements qui lui avaient été donnés.

Ensuite, Doliannah et Nereo sortirent des salles de bain et furent conduits par l'Illuminé jusqu'à la salle devant laquelle ils avaient fait demi-tour la veille, celle où le tueur d'Epinda était tout de même entré.

Il s'agissait d'une grande pièce, sans fenêtres, éclairée par un grand lustre qui pendait en son centre. Le plafond était haut, l'espace vaste et au fond se trouvaient trois petites marches menant à un endroit plus en hauteur où trônait un grand siège rouge dans lequel était assis un homme étrange. Il n'y avait pas beaucoup de meubles dans cette pièce et plusieurs Illuminés qui montaient la garde.

L'homme qui était assis dans le siège en hauteur ne semblait pas en très bonne santé. Il avait une peau serkonienne légèrement pâle, des cernes sous ses petits yeux noirs, un large nez au-dessus d'une bouche souriante. Des rides creusaient son visage aux traits durs, il était plus âgé qu'Adonis. Ses cheveux noirs qui viraient au gris par endroits étaient tirés en arrière dans sa nuque. L'homme était rasé de près, les petites cicatrices sur son visage étaient plus visibles. Il portait une tenue sophistiquée de couleur pourpre, des gants noirs et tenait dans sa main droite une canne.

À ses côtés, à gauche du siège, se tenait le tueur d'Epinda, reconnaissable à la longue cicatrice qui parcourait son visage. Pour la première fois, Doliannah put le voir correctement, sa capuche n'étant pas sur sa tête. Il était plus âgé que Nereo mais moins qu'Adonis. Sa peau était blanche, claire, lisse, ses yeux d'un gris clair, magnifiques mais son regard n'était pas rassurant. Il était chauve et rasé de près mais l'on pouvait savoir que ses cheveux étaient normalement noirs grâce à ses fins sourcils de cette couleur. Le tueur d'Epinda avait une bouche peu large aux lèvres épaisses. Son visage aux traits durs semblait si sérieux, impassible.

Dans un coin de la pièce se tenaient deux Illuminés qui avaient en mains l'équipement de l'Ombre de Karnaca. Poussés par deux autres, Doliannah et Nereo furent contraints de s'agenouiller devant les petites marches, face au siège du chef des Illuminés et son second, le tueur d'Epinda. Dans l'autre coin de la pièce se trouvait un autre sbire tenant une étrange machine.

-Enfin je rencontre Doliannah Contero, l'Ombre de Karnaca ! s'écria le chef des Illuminés depuis son siège. Bien jeune pour être un assassin. Bien trop fragile. Et pourtant, l'Outsider semble avoir cru en toi. Pourquoi ?

La jeune serkonienne ne le quittait pas des yeux, tout comme le combattant à ses côtés. Mais tous deux ignoraient quoi répondre. Tandis que le chef balançait ses yeux sombres de Doliannah à Nereo, tandis que le tueur d'Epinda fixait uniquement la jeune Contero.

-Tu finiras bien par nous donner une réponse, reprit le chef. Je me présente, je suis Ceferino Salvador et j'ai fondé le groupe des Illuminés il y a déjà un moment. Et tu connais mon bras droit, Duncan.

Doliannah détourna son regard du chef nommé Ceferino Salvador pour regarder le tueur d'Epinda. Elle avait enfin un nom à mettre sur un visage entier : Duncan.

-Que voulez-vous ? demanda la jeune serkonienne en reposant ses yeux sur le chef.

-Nous te voulions toi, répondit Ceferino avec un petit rire. Tu portes la marque de l'Outsider, tu peux donc entrer dans le Grand Vide et percer d'innombrables secrets. Des secrets auxquels je souhaite avoir accès.

-Et le fragment du Grand Vide ? questionna-t-elle.

-Oh. Tu t'en souviens. Évidemment. Ce vol a causé la mort de ton amie. En effet, nous pensions que le fragment était la clé du Grand Vide.

-Ça a fonctionné ? lança la jeune Contero.

-Nous n'avons pas trouvé la serrure, rétorqua Ceferino en souriant. Et c'est là que tu nous aides. Tu vas nous dire comment entrer dans le Grand Vide. Tu vas tout nous dire sur l'Outsider, ses pouvoirs, sa marque, tout.

-Non.

Doliannah n'avait pas l'intention d'aider les Illuminés mais elle se demanda tout de même comment entrer dans le Grand Vide. En réalité, elle ne savait pas. L'Outsider l'amenait dans cet étrange lieu quand il le souhaitait, jamais la jeune serkonienne n'était entrée dans le Grand Vide d'elle-même.

Nereo vit le sbire tenant l'étrange machine et comprit.

-Très bien, marmonna Ceferino.

Il sourit légèrement avant de faire un geste de la main. L'Illuminé actionna alors la machine qui était une boîte à musique mathématique de Superviseur. La mélodie qui s'en échappait semblait simplement originale pour les personnes sans pouvoirs mais Doliannah qui était une fidèle de l'Outsider ressentit une douleur intense parcourir son corps tout entier.

Le son désagréable résonnait dans sa tête. Tout devenait flou autour d'elle, la marque sur sa main commença par picoter puis brûler intensément. Cette musique avait pour but d'empêcher aux agents de l'Outsider d'utiliser leur pouvoir tant qu'elle était jouée mais la douleur qu'elle provoquait était si forte que Doliannah s'écroula au sol et plaqua ses mains contre sa tête qui semblait sur le point d'exploser. La douleur faisait trembler tous ses membres et elle vit un Nereo déformé la fixer avec horreur. Ceferino éclata d'un rire sonore qui se joint au bruit de la machine dans la tête de la jeune serkonienne. Tout autour d'elle se déformait, chaque bruit était amplifié. Son corps tout entier était secoué de spasmes. Doliannah convulsait sur le sol de la grande pièce. Elle était incapable de bouger, son corps tout entier vibrait de lui-même. Ses muscles se raidirent, sa gorge se serra, la privant d'air. La jeune Contero suffoquait, elle n'arrivait plus à inspirer de l'air correctement.

La musique s'arrêta quelques secondes après mais ce moment avait paru si long pour Doliannah qui s'immobilisa enfin. Elle cessa de convulser, sa vision revenait peu à peu normale, les bruits autour n'étaient plus aussi forts, la jeune serkonienne avait l'impression d'avoir été rouée de coups tant son corps tout entier était douloureux. Tous les Illuminés présents la fixaient, Nereo également.

-À moins que tu n'aies quelque chose à dire, nous allons recommencer, dit Ceferino toujours aussi souriant.

Il attendit quelques secondes pendant lesquelles Doliannah récupérait puis refit un geste de la main et la musique reprit, la torturant à nouveau. Mais cette fois-ci, l'Illuminé joua plus longtemps et la douleur fut tellement insupportable que la jeune serkonienne finit par s'évanouir.

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