Une censure pour rien

Il serait étonnant de constater combien le Contemporain français s'agite au vote d'une motion de censure, si l'on ne savait pas déjà, notamment à force de lire mes articles, la manière dont il pense.

C'est que son quotidien vérifie chaque année que le gouvernement est sans effet sur son existence, notablement sans effet positif, que tout continue selon une inertie qui ne dépend de personne, que des administrations immuables gèrent au nom de l'État profond et intéressé par des compromissions diverses des politiques générales sous l'influence patente de lobbys, que le nom des ministres n'y change jamais rien et que tous se contentent d'affecter d'assumer des décisions qui les préexistent évidemment, que les assemblées représentatives sont corrompues intellectuellement sinon financièrement et n'invoquent que des symboles pour toute activité (et d'aucuns l'avouent même carrément : ils ne rédigent pas les loi et ne voient plus l'utilité de leur présence en hémicycle), que d'ailleurs leur vote n'a aucune importance puisque le 49.3 permet tout, que tous les postes-clé de notre République, depuis la Santé jusqu'à la Justice en passant par la Police, sont nommés par le Président qui leur commande ; autrement dit, il n'existe pas le commencement d'une raison pratique de croire que ces gens ont une empreinte sur nos vies, il n'existe environ pas une loi de ces gens qui nous concerne ni nous ait concernés, il n'existe pas une de leurs réformes qui ait foncièrement bouleversé notre réalité, et, comme je l'ai écrit ailleurs, la législation la plus radicale de ces dernières décennies a concerné le mariage civil homosexuel, qui n'est certes pas un détail mais qui était facile à appliquer et devrait servir de mesure à l'ensemble des directions possibles qu'une Nation peut prendre. La vérité est qu'on ne rencontre jamais une loi qui ait vraiment modifié notre quotidien si l'on excepte celle sur la taille réglementaire des courgettes, qu'on vit ainsi tout à fait comme si personne ne dirigeait : avouons-le enfin, le gouvernement français évoque la monarchie britannique en ce qu'on suit les péripéties tabloïds de ces gens avec un intérêt dérisoire, mais en sachant d'avance qu'elles n'ont presque aucun rapport avec la population et sont incapables de légiférer vraiment. C'est seulement du divertissement. Avec ou sans eux, il ne se passe rien de plus ou de moins, en dépit de ce qu'on prétend dans les cours d'éducation civique. On a beau interroger des passants en micro-trottoir jusqu'à ce qu'un d'eux ait l'obligeance d'avancer une raison « concrète » d'une appréhension qu'on lui a probablement soufflée, rien n'arrivera avec ou sans gouvernement. Rien n'arrive plus, de toute façon. Tout ce qui arrive, c'est qu'on regarde la télévision : ce qui arrive est inclus dans la télévision comme dans un film. Le récit de la fiction arrive, et c'est tout. Le scénario d'Avatar est arrivé aussi : on a vibré pareil, on s'est senti impliqué et concerné.

Mais ce qu'il faut au Contemporain, c'est du divertissement, et il a notamment besoin de se distraire de la pensée que son existence est étale et morne, c'est-à-dire proprement anti-héroïque, et qu'il n'a pas de quoi être fier, étant proprement sans Histoire. Alors les médias leur livrent l'aliment correspondant à cette attente existentielle, et ainsi, après avoir montré combien il était dur de vivre avec ce gouvernement, ils montrent combien il sera dur de vivre sans ; on avait pourtant cru comprendre que 2025 débuterait par des hauses de dépenses pour les ménages à cause d'un gouvernement attaché à des économies, voilà qu'on doit comprendre que sans ledit gouvernement, 2025 commencera par des hausses de dépenses pour les ménages. Ce qui est incohérent, c'est que le Français, tout en voulant se créer un sujet de crainte, doit bien admettre que rien de ce qui se passe dans son environnement n'est affecté par ces prétendus changements, au même titre qu'il n'a souvent jamais constaté directement que quelqu'un était mort durant le Covid : il n'a pas souffert de sensible différence durant les deux mois de « transition » entre le gouvernement Attal et le gouvernement Barnier, c'était la même vie pour lui, les mêmes plaisirs et les mêmes tracas. Or, ne devrait-ce pas être logiquement le début d'une prise de conscience pour celui qui ne fait qu'objectivement regarder autour de lui ? Faut-il un écran de télévision pour alerter d'un chamboulement si ce chamboulement a lieu en effet dans l'environnement ? Le Contemporain ne constate rien, alors il s'effare un peu, on lui dit que quelque chose se passe, et il ne voit rien, alors il ouvre le journal télévisé, et là on lui affirme que la situation est grave, et même il croit qu'on le lui prouve, on a découvert des gens qui le prétendent et qui pleurent : il compatit vite, cela le rassure, il lui semble qu'il y a un prétexte à soulever contre le sentiment d'une léthargie de sa platitude, et le voilà remué, il existe bel et bien dans un monde qui peut le mettre en danger et où il se sent un rôle à jouer, ne serait-ce qu'une sorte de vigilance. Quelque chose se passe, donc quelque chose compte : il se croit immergé quelque part où perdure bel et bien de l'humanité, et où, par conséquent, il aurait un devoir à accomplir. Il peut ainsi continuer de croire en bonne conscience que se sentir alerte, c'est-à-dire être alerté, c'est déjà avoir agi et être responsable.

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