Propos consensuellement équivoque sur l'esprit de science

En définitive, j'ai résolu qu'il existe deux sortes de scientifiques radicalement opposés dont l'un, selon moi, n'en est pas, bien qu'ayant comme l'autre la certitude d'en être :

L'un sait que l'homme a posé le pied sur la lune, l'autre sait le contraire.

Et ce sont bien deux formes de savoirs en la manière intrinsèque dont se constituent ces avis, mais l'une – je ne dirais pas laquelle – se constitue comme un savoir scientifique, l'autre comme une conviction, comme une confiance et comme une foi. Que le siècle ait induit une de ces formes pour attribut ou apanage des sciences reflète la manière dont le Contemporain aspire à tenir pour su ce qu'il n'a fait que compulser et qu'il n'est capable que de répéter, mais l'esprit de science au sens généalogique ou historique se situe au-delà de ces présomptions : il ne s'agit nullement de s'arrêter à des opinions mais bien d'opérer des vérifications. L'homme de science n'est pas celui qui croit un fait par l'effet indirect d'une incitation même raisonnable, mais qui cherche la preuve du fait qu'il entend assimiler et assumer en son nom. Ce qu'on confond entre les savoirs, ce sont les polysémies de la profondeur : il existe une profondeur étayée qui est une acquisition d'arguments compris et reconstituables dont on extrait la solidité d'un fait réel, et une autre profondeur qui se rapporte à une manière de faire entrer en soi une thèse qu'on désire avec ardeur et qui rassure par impression d'une stabilité. Autrement dit, c'est toute la différence linguistique qui se situe en le convaincre et le persuader : le véritable être de science n'a pas un besoin de certitude mais de vérité, tandis que l'autre a plutôt besoin de se sentir sûr de la réalité où il vit que d'en examiner les raisons et les preuves. C'est, faute de repère de scientificité, ce qui rejoint ces deux antagonismes en la notion de « savoir » : l'un sait parce qu'il a démontré, l'autre sait parce qu'il tient à ne pas être perdu ; l'un garde un savoir dont il juge la froideur un étalon de vérité scientifique, l'autre le reçoit avec l'ardeur qu'il croit la preuve d'un attachement principiel à la science ; l'un demeure mentalement mobile et ne regarde qu'à l'argument, l'autre estime que s'il ne dispose pas des ressources pour bien juger il se rapportera au consensus qu'il intègre – mais chez l'autre, c'est le processus pour comprendre qui est foncier, et non la volonté d'insérer ce savoir loin en soi pour en faire avec sa pensée une matière compacte et solidaire. Ce sont deux systèmes de cohérence distincts et incompatibles : se rallier à la science-comme-réputation c'est-à-dire comme morale transcendante, ou à la science-comme-méthode c'est-à-dire comme mentalité immanente. Il s'agit ou de penser qu'un extérieur admis comme science catégorique et péremptoire est incontestable, ou au contraire d'admettre que l'extérieur infuse en soi par la démonstration interne et que c'est justement ce qui fonde la science.

Or, la science, je le répète, ne consiste pas – c'est même l'opposé – à croire coûte que coûte en la science au point d'en faire une valeur par défaut mélangée inextricablement à soi comme une doctrine ou un dogme, mais c'est, loin de cette dévoration fébrile, se tenir à distance de tout ce qu'on reçoit pour « su », le passer au tamis de sa réflexion logique, et, si sa pensée est insuffisante, ne rien prendre pour comptant et s'en tenir à un soupçon rationnel. En somme, bien qu'on me taxera de paradoxe : qui doute intelligemment de la science, c'est lui seulement qui est d'un vrai esprit scientifique.

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