Le solitaire n'est pas premièrement celui qui désire être seul, c'est tout d'abord celui qui en présence d'autrui se sent gagner si peu que c'est en effet comme s'il était seul. Voici un être qui, en compagnie, a enfin compris qu'il perd plutôt qu'il ne reçoit. Ainsi, la solitude procède non d'une volonté de retrait mais d'un constat d'isolement : on s'aperçoit un jour qu'on marche depuis longtemps au milieu d'un désert, et c'est seulement ensuite qu'on ne souhaite plus aller en quête d'un arbre. L'inutilité objective de la recherche d'un individu, constituant une lassitude rationnelle, définit l'esprit pragmatique de qui ne tâche plus qu'à forger son individu au lieu de prétendre en rencontrer. Accuser quelqu'un d'être solitaire après qu'il a vérifié qu'autour il n'y a personne, revient à blâmer quelqu'un d'être « terrestre » pour avoir établi qu'il n'a nul moyen de se rendre sur une autre planète. On est solitaire parce qu'on est seul, non par contentement de soi mais par cuisante découverte de l'absence d'autrui, et, si l'on ne nie pas la possibilité de sa découverte, on s'abstient de trop sonder le monde pour le chercher, vraisemblablement, au même titre qu'un être raisonnable ne s'étire ni n'exerce ses jambes en l'espoir de sauter sur la lune. Les solitaires sont toujours des gens qui ont souffert d'avoir cru en l'existence d'un être vrai et supérieur, et qui ont résolu de ne pas abusivement quérir ce qui est si peu probable que c'en est presque impossible. S'ils sont restés constructifs, s'ils ont conservé l'Effort et le goût de Vérité, ils ont alors mieux à faire que de côtoyer ceux parmi lesquels aucun homme n'existe, et c'est logiquement qu'ils s'enferment pour acquérir ce qui fait défaut au monde qu'il déplore : la personnalité par l'esprit.