Le plus grand bienfait du découvreur
Le pionnier, le savant et l'artiste n'apportent pas premièrement pour fruit de leur travail la chose concrète et pratique qu'ils découvrent – terre, invention ou œuvre –, mais leur profit inestimable où ils servent surtout l'humanité consiste en la représentation supplémentaire qu'ils insinuent durablement en les esprits qui les comprennent. Ce qui compte le plus, c'est le choix des paradigmes qu'ils étendent, c'est le territoire intellectuel qu'ils offrent à tous de conquérir, c'est le champ des possibles qu'ils ouvrent, et c'est l'immensité qu'ils développent au moyen d'une alternative inédite qui n'existait pas avant eux. Grâce à eux, ce qu'on peut faire de mieux importe moins que ce qu'on peut penser de plus : chacune de leurs trouvailles est une extension du domaine de la liberté de concevoir, toute la pensée s'augmente des perspectives qu'ils y ont implantées. Il est si vrai que la plupart des gens sont incapables d'innover qu'ils ont besoin de recopier des réflexions faites pour s'enrichir, de sorte que l'homme n'est environ que le vivier d'idées limitées qui tournent dans une solution de culture et qu'il emprunte l'une après l'autre ; mais introduire en ce vase une idée qui ne connaît pas de parenté, voilà le bienfait essentiel de qui partage une grande découverte : il défait le verrou de l'insoupçonné, appose au préexistant des réflexions qui le complètent comme un cerveau de plus grande surface et qu'on déroule au surplus du sien, et c'est comme s'il était tout à coup permis de penser en-dehors de son propre esprit, rendant l'esprit antérieur perpétuellement plus restreint, comme si un autre s'ajoutait au sien pour permettre de comprendre le monde et d'opérer parmi ses images diverses la sélection qu'il préfère. Ainsi, le répertoire des sus augmente où chacun peut prendre ce qu'il souhaite au lieu de se contenter de la pauvreté des disciplines établies où toute réalité doit toujours trouver son explication. À l'opposé du réducteur de tête, le découvreur enrichit les données du monde, et c'est au sein de la personne humaine que cette fortune prend forme ; toute réalité qu'elle voit prend alors des significations variées, et bientôt lui deviennent accessibles les représentations foisonnantes où l'esprit s'accroît en complexité et gagne en jubilation.
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