Une sortie pour s'habiller

Est-ce donc que les femmes contemporaines sont si paresseuses qu'elles ont besoin d'un prétexte de sortie pour s'habiller avec élégance et sensualité ? Je ne saurais jamais croire en tous cas – preuve que je ne suis pas avec elles si condescendant – que c'est par reconnaissance pour le menu plaisir d'un restaurant ou d'un cinéma si elles sont si bien portées, au retour, à consommer autre chose de plus qu'un repas ou qu'un film : c'est bien qu'elles l'avaient prévu si elles ont revêtu leur lingerie, c'est bien qu'elles ont élu leurs attributs de séduction exprès dans la prévision de cet autre « dessert » ou de cette « fin » supplémentaire. Or, cela ne signale-t-il pas évidemment qu'elles préfèrent être déshabillées dans cette tenue plutôt que dans une autre, ou préfère-t-on stupidement croire qu'elles sont charmées par les dépenses des hommes – et leurs efforts si piètres – pour les déplacer et les divertir au-dehors ? Je ne les blâme pourtant pas de goûter et d'attiser leurs chaleurs en parures et minauderies plus ardentes et délicates – j'aime qu'une femme se contemple durant l'amour, c'est un moyen d'excitation adorable, et combien de telles poses sont à la fois candeurs et provocations ! –, seulement, il faut admettre que la « mise spéciale » où on les trouve quand elles souhaitent des ébats indique manifestement qu'au lieu de se vêtir toujours ainsi dans la possibilité d'improviser l'amour avec une chaude et bonne spontanéité, c'est encore « sur commande » que leur esprit prépare un rapport sexuel, et ainsi qu'elles dissocient l'habit pratique et confortable de la parure « pour le lit ». Et plutôt que de se changer pour le foyer même, de se changer seulement pour l'amant, de se changer avec habitude sans qu'il soit question de certaine circonstance ou mieux : de n'avoir pas à se changer pour cela, tandis qu'elle anticipe un désir de si loin – et comment un tel désir serait-il naturel ? je ne dénoue pas ce mystère –, il lui faut une excuse pour se « faire belle », notablement qu'une sortie ait lieu, qu'une mondanité quelconque l'impose et l'y oblige, comme si pour ces parures l'intérêt du sexe n'était pas suffisant, comme si le goût, l'impulsion ou les chaleurs du corps n'était pas sis constamment ou, du moins, continuellement, en elles en façon « naturelle » de centre de gravité, comme si le désagrément ou l'ennui de simplement se changer valaient pour elles davantage d'importunité que, par équivalence inverse, le bonheur d'une partie de plaisir, et requérait forcément quelque chose de plus élaboré où cette tenue se justifie également et au surplus?

J'admets que cette façon de multiplier les occasions où doit servir un habit pour plaire me dégoûte suivant la perspective du pragmatisme opportuniste où s'envisage la sexualité chez ces femmes. Je ne conçois pas sans mépris la quantité de désœuvrement intrinsèque où il faut être parvenu dans l'existence pour arriver à se dire : « Je ne porterai des bas que s'il m'invite à dîner à l'extérieur, ainsi ferai-je d'une pierre deux coups sans avoir passé du temps à les enfiler uniquement pour me rendre au lit. » : il y a là un calcul qui me répugne, que j'assimile à la fois à une manipulation grossière et à un défaut foncier de vitalité, car il est vrai qu'on voit rarement les femmes sensuellement habillées ou même juste bien mises en-dehors des moments où on les « promène », et c'est tout particulièrement ces soirs-là qu'elles consentent à une sexualité – et notons : ces « soirs-là », et guère les « jours » où nous les « sortons » parfois tout de même, comme si l'appréhension de remettre ces atours après le sexe était encore un frein à disposer les femmes à les revêtir et leur constituait encore une lassitude d'avance, une appréhension de difficulté : il faut décidément que lingerie et maquillage, sitôt enlevés, soient débarrassés pour toute la journée ; quelle turpitude et quel prosaïsme ! Tout ceci doit donc être non seulement utile, mais utile pour la stricte durée prévue, et que l'importunité d'être belle, ou soignée, ou améliorée, ne se prolonge pas au-delà de la nécessité ! Quel cruel manque de philosophie de l'effort ! Quel esprit minimaliste et banal, et surtout quelle vulgarité de pensée ! Je n'oserais en faire reproche si je ne m'habillais pas toujours avec la même élégance, costumes, gilets, ainsi que propreté sans faille y compris dans mes manières et mon langage : c'est un mode de vie d'être toujours impeccable et supérieur, et ainsi, sans cesse et par principe, de tâcher d'être au maximum pour plaire ; c'est une exigence qui suscite mille fois plus l'attrait des gens profonds, des esthètes et des artistes, fût-ce attrait platonique, que ces efforts toujours faciles et intéressés, dirigés exclusivement à dessein d'obtenir quelque chose, et entourés de relâchements vils où le soin figure l'exception et désigne par défaut et de façon ostensible au connaisseur des intentions basses dont on s'extirpe, comme les marques visibles, maladroites et empesées, de politesse signalent avec évidence une personne ordinairement triviale et négligée, au point qu'il vaudrait encore mieux qu'elle ne tentât pas d'intégrer des usages élevés plutôt que de manifester par ses défaillances à les maintenir combien elle en a peu l'habitude. C'est toute une mentalité piteuse qui se révèle à ces irrégularités, permettant d'accéder au mécanisme de pensée d'un premier-degré et d'un conformisme capables de vous retirer d'un coup toute envie d'une Contemporaine.

Pourtant, je dois parallèlement reconnaître que la plupart des mises masculines sans doute ne sont d'aucun agrément pour une femme, que l'homme porte rarement des vêtements subtils et affecte peu des styles attirants, que le plus souvent il ne s'habille en costume qu'avec un embarras patent, comme on le voit aux cérémonies, gauche, rajustant sans cesse ses braies et ne sachant comment tenir ses vertèbres, de sorte qu'on différencie aisément celui qui s'y sent déguisé et intrus de celui qui par exemple travaille quotidiennement en cette tenue. Ainsi serait-il injuste d'accuser spécifiquement les femmes d'un semblable négligé, et c'est déjà assez bien qu'une femme décide de se parer pour son amant quand la plupart des amants en sont si peu soucieux. Ce qui me gêne, c'est que, chez elle, tandis que l'homme ne varie guère son ardeur selon son vêtement et n'en fait pas trop un moyen de conquête, du moins pas une machination, la pensée froide que traduit l'apprêt, relative à une morne conception de la sexualité, ne peut s'empêcher de s'imposer à moi de façon insupportable, et j'en viendrais presque à me dire, au moment du déshabillage : « Elle porte des bas, elle qui n'en porte jamais : combien organisé est son désir, combien captieuse sa volonté d'accouplement, et combien fainéante sa mentalité au quotidien, comme si n'importe quel jour de l'année (à peu près) ne pouvait pas – ne devait pas – être exactement l'occasion potentielle d'un rapport sexuel ! » J'en viens presque à m'agacer d'être une routine ou un rouage dans l'ordre des faits prévus et provoqués, de me sentir non seulement piégé pour une utilité et une intention, mais déçu par la multitude d'occasions où ces parures auraient servir même à défaut d'un projet ; mon désir, y compris en cet instant, parce que mon sens rassis m'empêche encore de feindre, considère cela, y voit à travers, se modérerait presque au contact de cette tiède médiocrité, tandis que ce qui est exposé devrait m'enjoindre à l'ardeur ; et je songe alors au moins à la méthode avec laquelle une femme envisage le moment d'un rapport sexuel, comme il faut qu'elle y soit justement disposée, s'étant auparavant, avec ponctualité et comme une sorte de devoir, insinuée dans l'esprit par anticipation des effets et des poses, au lieu que tout au contraire son ordinaire est fait d'une négligence que par contraste elle pourrait sentir indigne et puis coupable. Ceci, certes, ne retient quand même pas mes élans, mais, probablement, et avec une hargne accrue qu'il ne faudrait pas croire le but véritable de ces apprêts, je vais moi aussi un peu rudement et férocement à la tâche, comme pour corriger la femme, et sans qu'elle le sache, du vice non de son exceptionnelle et luxurieuse mise, mais, au contraire, de cette autre banale frigidité qu'à cette heure elle dissimule.

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