Toujours trop long pour parler de si peu

Du bavardage, c'est l'inanité qui m'importune et me sidère quand il traduit le défaut de recul et d'expérience de qui atermoie sur des riens ou surestime l'utilité de son langage, et pas seulement la perte de mon temps. Des sujets insignifiants, anodins, pauvres que, si j'avais été tenté d'en discuter, j'eusse synthétisé en quelques mots, proportionnant la longueur du dire à la qualité du dit, deviennent des expansions excitées et excessives où l'on sent que le locuteur croit revivre un véritable événement de son existence, et où l'ennui et la consternation de celui qui écoute deviennent la règle. Mais je crois que plus personne n'écoute depuis longtemps, tous ne cherchent qu'à placer avec opportunisme leur microscopique et futile émoi valorisant : c'est ainsi qu'on montre qu'une conversation n'est plus, pour l'essentiel, qu'une perpétuelle et fébrile attente d'un moment propice à se caser. Et combien cette vacuité sonore est impatientante, non seulement parce que la teneur du propos est misérable, mais parce que la sélection de sa teneur signale la misère du locuteur qui estima avant de parler que cela était suffisant à un montage si expansif ! Mieuxveillant qu'il ne faudrait, je me laisse encore trop souvent attraper à attendre le morceau et la chute, la pièce d'éloquence finale, et je m'aperçois que l'anecdote est terminée avant que j'aie pu trouver l'intérêt de la représentation, et je reste atterré de ce qui a fait juger que cet étalage méritait d'être dit, je viens à penser que ce qui constitue vraisemblablement les « sursauts d'existence » d'un Contemporain normal, c'est, par exemple, une viande un peu trop cuite à midi ou une boulangère qui rend mal la monnaie.

Pire expérience que l'effusion ridicule, c'est d'avoir vécu la même anecdote qu'un autre et d'assister à la façon dont il en dresse le rapport public, à ses déformations et ses exagérations, à ses malhonnêtetés plus ou moins volontaires et ses innombrables entorses à la vérité, car c'est comprendre d'un coup et avec une sidérante acuité combien la perception du Contemporain est altérée par ce qu'il a intérêt à dissimuler et à vanter jusqu'en le processus de son intellection. Jamais le fait brut n'est égal ni même approchant à ce qu'en déclare l'homme actuel, jamais la chose dépassionnée n'apparaît en son expression et en son esprit ; et c'est parce que je le pense sincère dans ses malentendus et approximations que je crois que c'est bel et bien de cette façon qu'il a « vécu » la scène ou que sa mémoire la reconstitue, ses commentaires sont toujours d'une certaine cohérence et reflètent bien son intériorisation du moment traversé, et c'est où il indique les arrangements qu'il en opère mais qu'il tient pour la réalité et non pour sa falsification, ce qui permet d'induire qu'il ignore qu'il ment et qu'il n'accorde nul égard scrupuleux pour le monde. Et je trouve généralement que sa version n'est pas juste une interprétation intellectuelle de l'ordre de la critique spirituelle qui viendrait après être quelque accord sur le principal c'est-à-dire sur le fait : non, c'est que je n'ai pas vécu la même situation que lui, ni rencontré la même personne, ni entendu les mêmes propos, et la différence est si considérable qu'un esprit comme le mien, réputé pour son objectivité et prenant tout phénomène avec mesure et modalisations – on m'a rarement opposé là-dessus, on m'a reproché quantité d'analyses et d'extrapolations mais toujours à partir de ma faculté de rapporter le réel –, se scandalise de ces flagrantes incartades qu'on ose monter, et parfois avec tant de conséquences, sur un témoignage commun entièrement contourné et rebâti.

Longueur et altération, c'est par quoi l'on reconnaît toute faiblesse individuelle : celui-ci n'a pas assez vécu ni réfléchi pour admettre que sa vétille ne valait pas d'en parler, celui-là manque du principe fondamental de tenir à la vérité, et il attente à peindre fidèlement la réalité ; c'est par où ils se trahissent foncièrement. Or, avec la conscience intime de ce vice profond de mon entourage, je crois qu'on peut deviner pourquoi mes conversations avec autrui prennent si souvent l'allure non même d'un soupçon mais d'une dérision de sa parole : car c'est ma loyale franchise de ne jamais feindre de me sentir en meilleure compagnie que du Contemporain.

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