Si tout procès doit nécessairement, et de manière impartiale, avoir la vertu de l'exemple pour améliorer la société dont il procède (car je ne pense pas, contrairement au proverbe, qu'un exemple soit forcément un excès : c'est une dissuasion), alors il faut plutôt punir la négligence que la volonté. Sinon, que deviendrait un monde où l'on innocente ceux qui n'ont pas cherché à savoir ? Il tendrait vers ce qu'il est actuellement, à savoir le repère de gens qui se trouvent à perpétuité des excuses et qui s'estiment bons parce que candides ; or, le plus grand et nombreux crime de notre époque réside en l'absence d'esprit, non en le souhait de nuire. Si par la loi on ne permettait plus au Contemporain d'être si évaporé et oublieux, il se sentirait par crainte forcé de s'améliorer, alors les condamnations lui serviraient de mises en garde, le rappelant au degré d'abandon qui ne serait pas permis. Mais pour l'heure, il se figure qu'un délit ou qu'un crime n'est que volonté de le commettre, il tâche donc surtout à ne rien savoir ni faire de façon qu'on n'ait jamais quelque chose à lui reprocher. Par ce défaut d'exigence, notre justice ne corrige pas l'évanescence et la vanité humaines qui en constituent l'atrocité la plus abominable, même elle facilite et encourage l'irresponsabilité, parce qu'elle ne prononce pas de verdict contre l'homme qui a préféré ne pas être sûr et qui n'a pas pris position, ou qui s'est contenté de suivre l'ordre et la majorité – or, sinon la mauvaise réputation, qu'est-ce qui le sort de ce vice ? Il n'existe pas de dignification ou de redressement minimum imposé au citoyen : il a le droit d'être aussi nul et insignifiant qu'il le désire, il a même intérêt à être le moins individu possible, à ne regarder ni décider rien ; c'est où l'entraîne un pouvoir de consommateurs qui menace l'identité intègre et conserve la pièce de foule. Soyez obéissant, vous ne craignez et ne craindrez rien : le jour où l'on s'apercevra que l'ordre était inutile (ou nuisible) et que les récalcitrants avaient raison, on feindra que vous ne pouviez pas être au courant, que ce n'est pas votre faute, et au lieu de blâmer l'autorité et les suiveurs, zélés ou non, qui ont nui par leur crédulité veule à la conscience de l'humanité, on se contentera d'excuser, quoique tard, ceux qui ont désobéi – et encore !