Primauté de l'être ou du rapport à l'être
L'épouse pense : « J'ai besoin d'accorder toute ma confiance à mon mari pour avoir des rapports sexuels avec lui. C'est à condition qu'il exprime envers moi sa fiabilité par des égards que je puis m'offrir à lui. »
Le mari pense : « J'ai besoin d'avoir avec mon épouse des rapports sexuels pour la considérer comme une femme, donc comme ma femme. Mes soins pour elle sont la contrepartie de la preuve qu'elle apporte d'être au moins femelle. »
Ce malentendu traditionnel est fondamental ; en gros : pour plaire à la femme, l'homme doit lui exprimer des hommages d'époux ; pour plaire à l'homme, la femme doit lui exprimer des prestations de fille.
Qui a raison ?
Dans ce rapport atavique – mais qui tend à disparaître (cet article se périme à vue d'œil !) –, la femme estime l'homme pour son rôle social : elle ne s'aperçoit pas qu'il est antérieurement à elle et par nature, et elle tâche à conformer un être à ses souhaits pour profiter de lui, de sorte qu'elle le déforme à son avantage (pour autant qu'il ait eu auparavant quelque forme propre, ce qui en majorité est assez douteux). Elle se plaît à croire que la sexualité est pour elle superflue, de façon à assurer sa domination et à faire de l'homme un instrument à son service : il est vrai qu'elle contrôle les ardeurs du conjoint autant qu'elle se refuse à lui, c'est-à-dire qu'elle tient sa puissance sur lui de continuer à avoir une sexualité autant qu'elle en a envie, sans manque, puisqu'elle maîtrise la fréquence de ses rapports. Oui, mais ainsi elle n'aime qu'elle, c'est-à-dire chez l'époux que les attributs qu'elle a fabriqués.
En revanche, il n'est pas juste de prétendre que l'homme, lui, estime la femme seulement pour son corps à l'exclusion de sa personnalité : ce serait affecter de ne pas savoir qu'un homme ne se satisfait pas seulement d'un coït, mais qu'il goûte fort les singularités de sa partenaire – la recherche d'une sexualité n'anonyme point. Or, s'il y a une certaine logique à admettre que la pratique sexuelle révèle quelque chose de la nature d'un être, l'homme poursuit bien quelque essence de la femme que la sexualité peut indiquer ; il ne lui demande pas de simuler la putain, il ne la formepas à cette simulation, il ne veut pas qu'elle soit autre, seulement si elle n'est pas cette « libertine » qu'il affectionne il ne la choisira pas, c'est tout simple. La femme héréditaire, elle, se désintéresse assez de ce qu'est l'homme, puisqu'elle s'attache à le créer selon le rôle qu'elle veut : elle ne revient ponctuellement à l'idée d'homme « originel » que pour se consoler d'avoir su le choisir, que pour flatter ses facultés d'élection.
Où ce rapport signale l'avantage de l'homme, c'est quand l'homme et la femme refusent de dispenser les actions du contrat tacite censé les unir : on ne tarde pas à savoir qui en pâtit le plus. Si la femme est mécontente de son mari et ne lui accorde plus de faveurs sexuelles... eh bien ! c'est alors seulement la situation de la majorité des couples, le mari y est habitué et ne se trouve pas plus mal, juste un peu frustré peut-être, car il sait en général que la frigidité ou le caprice d'une épouse constitue le régime normal. Mais si l'homme décide de se désintéresser du sexe, et s'il dédaigne les tentations de son épouse, elle en est troublée et malheureuse, et elle aspire tôt ou tard à retrouver quelques vertus viriles qu'elle prétendait tenir en laisse : elle avait en fait un peu plus besoin de sexualité qu'elle ne le prétendait, tandis qu'un homme n'a pas tant besoin de compagnie. À ce chantage, l'homme l'emporte, parce que la femme doit se passer d'une satisfaction dont il a depuis des générations coutume d'être privé. En renonçant à l'être qu'il est pour le créer, elle doit aussi renoncer à son être à elle, tandis que l'homme n'a aucune raison de contraindre sa femme puisqu'il n'exige d'elle à peu près rien et ne doit que se frustrer d'une potentielle dépendance (c'est en quoi un homme qui se masturbe au lieu de solliciter sa femme peut toujours penser, en définitive : « Voilà qui est bien : j'arrive au même résultat par mes propres moyens, et, au surplus, je ne me suis engagé à rien d'autre. »)
Il y a fort à prévoir que, dans un avenir proche, la femme souffrira des indifférences des hommes à cause d'un régime social de précaution et d'empêchements qui les menace de lourds préjudices en cas de tentatives infructueuses : il n'aura qu'à continuer son existence solitaire, assez content de ne pas encourir d'entreprises hardies qui pourraient lui occasionner des ennuis, satisfait au moins de demeurer libre ; mais elle devra se résoudre à ne disposer plus de cette sexualité à volonté qui faisait son apanage et sa puissance. Elle aspirait à ce qu'il contractualise un rapport à elle, il aspirait à avoir un rapport avec elle ; il aspirait à ce qu'elle soit comme il voulait, elle aspirait à ce qu'il deviennecomme elle voulait ; elle jouait au commencement à être, au commencement il jouait à pouvoir devenir ; elle mimait la putain qu'elle n'était pas, il mimait le bourgeois qu'il aurait du mal à atteindre. Il est enfin heureux que cette cour hypocrite soit au point de cesser : l'homme gagnera davantage ou perdra moins, parce que c'était lui qui faisait le moins semblant d'aimer, même s'il était trompé en aimant celle qui n'était pas. Sans doute la femme n'aura-t-elle plus d'intérêt non plus à chercher un conjoint, mais, à elle, ce lui fera un changement historique qui peut encore la brusquer, tandis que l'homme n'a jamais tiré de grands avantages de la compagnie des femmes, hormis la sexualité, à laquelle peut assez suppléer la technologie et la pornographie.
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