Mauvais mélange personnel du public et du privé
Le Contemporain a procédé tout de travers, suivant une indignité révoltante, quand il a décidé qu'il fallait fusionner ses matières publiques et privées, et de quelle manière ! Il n'a bien sûr songé qu'à se débarrasser de l'effort, et déjà socialement hypocrite et intimement négligé, il a voulu étendre son abandon au domaine professionnel pour qu'on ne puisse plus rien exiger de lui. Il y parvient chaque année un peu plus, et le temps arrive où il vivra dans l'oubli d'une époque où l'on ne parlait ni à son patron ni à ses confrères comme à l'ami vulgaire qu'on sait acquis quoi qu'on fasse et qu'on dise. Il en est content tout de même : ce lui était une oppression, il devait se contraindre, il avait à s'élever au-delà de l'immédiat ; à présent, il est libre et il n'est plus rien ; faute de pudeur il ne conserve aucun reste, autrement dit à défaut de réserve il n'a plus rien de réserve. Il est, tout entier, un épanchement.
Le règne influent de la facilité a conduit à l'usage démocratique de trouver l'exemple du côté du plus accessible et prochain : on se sert du plus mauvais pour montrer qu'on n'est pas le plus coupable, ainsi poursuit-on ses penchants. On s'enferre au confort, mais avec excuse. Il était difficile d'exprimer la vérité en public parce que cela comportait des risques et impliquait l'usage de formes délicates, et il était difficile de se comporter en privé avec dignité parce qu'à défaut de regard extérieur on n'en sentait pas l'utilité : on a donc commencé dans sa sphère à agir et parler avec relâchement, et l'on a étendu cet usage aux rapports sociables. C'était plus simple que de conserver une contention individuelle hors de vue, et de prolonger sa discipline personnelle à son environnement impersonnel. De nos jours, le moindre collègue qui vous salue le fait avec tant d'indolence qu'il a l'air d'insulter, et nul ne se retient au moindre problème de hurler et d'injurier parce que c'est « sa franchise » qu'on devrait tous naturellement considérer une qualité. Faute d'habitude domestique, il est devenu impossible pour quiconque d'user de manières distinguées, et la rareté des exemples qu'on rencontre de telles marques de hauteur empêche qu'on les admire et qu'on cherche à y correspondre. En général, on remarquera qu'au propre comme au figuré le monde contemporain est celui où l'on n'ose plus jamais imposer une certaine tenue.
Or, c'est bien le contraire qu'il fallait réaliser pour maintenir en l'humanité un esprit de grandeur : la sincérité publique et l'exigence privée.
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