Le dégoût de la disproportion
On ne comprend pas l'origine de ce qu'on appelle aujourd'hui « antisémitisme » – ceux qui en parlent ne savent pas ce qu'ils disent et fondent des analogies obsolètes et irrationnelles qui sont des amalgames pleins d'excès à dessein d'émouvoir ou de s'émouvoir. En particulier, personne n'argue plus, comme on le prétendit en Allemagne, que les Juifs constitueraient une race inférieure, et je ne suppose pas que les Nazis étaient fiers de cette pensée absurde et surtout justificatrice – ce n'est assurément pas ce qui fit adhérer les peuples à l'antisémitisme, ni là-bas ni en Europe, ni avant ni pendant le IIIe Reich (comment eût-on avancé la notion même de race avant Darwin ?). Cependant je pense, en effet, qu'une partie de la population mondiale se ligue actuellement contre non les Juifs, mais contre les Israéliens, et même plutôt contre Israël. Et je pense que c'est, pour l'heure, presque étonnamment, sans rapport avec la politique d'Israël, en sorte que c'est bien d'une certaine injustice.
Ce qui incommode foncièrement les humains contemporains, c'est la disproportion du discours, sa massification, sa pesanteur ignoble : on se lasse toujours des opinions majoritaires et stupides, notamment quand on les suppose émanées du pouvoir qu'on n'approuve pas.
Il n'y a pas longtemps, naissait, et, je crois, au même titre que ce prétendu antisémitisme, la défiance à l'encontre des personnes âgées françaises, parce que leurs propos exagérés étaient ceux qu'on entendait continuellement et presque exclusivement sur tous les médias au sujet du Covid. Au départ, les gens ont écouté curieusement ces vieillards qui refusaient de côtoyer leurs petits-enfants, réclamaient des mesures contre les non-Vaccinés et faisaient d'une maladie assez bénigne un cataclysme énorme. Puis la lourdeur de leurs arguments, la sorte d'insistance morale avec laquelle chacun a senti qu'on voulait l'influencer, les démentis réguliers et évidents que la science apportait sur d'autres canaux à leurs allégations aventurées et alarmistes, firent trouver ces êtres partiaux et importuns. On ne s'attendait plus, en regardant une chaîne d'information, à trouver autre chose que cette « information »-là : la peur des aînés, tandis qu'on s'apercevait qu'il existait d'autres documents, contraires et également convaincants ; et l'on comprit ou crut comprendre qu'une forme de pouvoir orienté se chargeait en priorité du relai de ces personnes âgées.
On commença à détester les vieillards non en raison de leur âge, et sans doute pas même en raison de leurs idées ou de leur mentalité réelle, mais en suivant la haine de ces bulletins qui relayaient leur caricature même au lieu de leurs nuances.
Il arriva exactement pareil au sujet de la question du réchauffement climatique d'origine anthropique.
Et c'est la même chose aujourd'hui s'agissant d'Israël.
Il faut admettre qu'on ne peut regarder un plateau télévisé aujourd'hui sans s'apercevoir de la disproportion des points de vue : il est absolument manifeste, indéniable, irréfragable, qu'on veut vous faire savoir, à tort ou à raison, que les Israéliens sont des victimes innocentes, et l'on y insiste avec une telle mauvaise foi qu'un enfant, malgré la prétention des spécialistes, pourrait aisément les contredire, avec quelques références et notes préalablement préparées.
Or, c'est le criant manichéisme de ces débats qui agace et qui polarise contre Israël.
De façon évidente et apparemment paradoxale, si l'on parlait moins pour les Israéliens, surtout pas avec ce systématisme axiologique forcené, les spectateurs du monde leur seraient beaucoup plus sympathiques, et formeraient d'eux-mêmes des arguments contre le Hamas.
Surtout, l'imbécilité patente, ridicule et grossière, avec laquelle on prétend soutenir cet État, et qui le dessert, signale une faiblesse intellectuelle qui est une honte et comme une infamie à tous les individus qui, comme moi, nourrissent un respect indéfectible à l'égard des grandes œuvres de la pensée juive et de la pensée tout court. Objectivement, sans nul parti pris, ce que ces intervenants disent est d'une médiocrité puérile : chaque fois, on les confondrait aisément en dénonçant leurs inanités simplistes. Mais personne ne prend le parti de les réfuter ou de les nuancer, car personne n'en a seulement la fonction ou le rôle.
En vérité, quoique curieux de tout ce qu'on peut dire sur ce conflit, j'ai rarement entendu un « argument » en faveur d'Israël : ce sont presque toujours des « autorités » mêlées de pathos outrancier, prononcées de surcroît par des personnes qui ne cachent même pas leur adhésion au judaïsme. J'ai pensé à énumérer ces propos d'une si nette infirmité rationnelle, mais j'ai aussitôt songé qu'on croirait que je défends le Hamas alors que je ne veux indiquer que la disproportion des positions, c'est pourquoi j'y ai renoncé. Il y a pourtant quantité de raisons soutenables pour expliquer la politique d'Israël : or, on n'en entend que des passions. Faut-il s'étonner, dès lors, que les Français puissent estimer que les Juifs sont des gens déraisonnables ? Faut-il s'étonner, dès lors, que les Français puissent croire que la télévision et le pouvoir appartiennent aux Juifs ?
C'est parce qu'on n'invite à la télévision que des gens déraisonnables.
Quant au Hamas, on n'entend aucun de ses arguments, mais c'est pour une toute autre raison : il n'est tout simplement pas question d'inviter ses représentants ; on ne reçoit presque jamais un défenseur du Hamas ou un détracteur d'Israël. C'est pourtant dommage, car si un tel homme parlait en public avec l'ineptie des journalistes pro-Israël, cela rétablirait probablement l'équilibre, et l'on serait finalement tenté de croire que ces derniers valent autant, c'est-à-dire aussi peu, que les locuteurs précédents, ni plus ni moins.
En somme, ceux que les Français détestent ne sont pas les Juifs (les Français ne savent même pas ce qu'est être un Juif), mais ils haïssent la propagande péniblement sélective dressée autour d'une seule et même thèse pour les forcer : c'est la confiscation du débat autour d'une sorte de bien-pensance qui les rend progressivement méfiants et susceptibles. Presque tout le monde aime la pomme, mais insistez sans cesse dans les médias sur les bienfaits de la pomme, sur la supériorité de la pomme, sur les lois restrictives pro-pomme et sur des législations prévues contre les anti-pommistes et même contre les anti-fruits-ronds, humiliez les amateurs de poire et donnez l'impression d'être au point d'obliger chacun à planter des pommiers, quitte à inviter des spécialistes pour arguer que la pomme est un instrument du Bien et guérit du cancer, bientôt vous aurez fabriqué une population qui a la pomme en horreur, bien que le fruit-même soit sans rapport avec le rejet qu'il suscite.
C'est exactement ce qui arrive avec toutes les « informations » que ressassent en boucle et avec systématisme les médias d'aujourd'hui : une saturation, convertie en opposition, et née notamment de la sensation qu'on souhaite vous manipuler.
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