L'effet d'un discours de vérité
Je ne crois plus tout à fait que l'effet des authentiques philosophes soit l'impression de découvertes surprenantes, la conscience d'un apprentissage, ou le choc d'une théorie innovante, mais, en quelque sorte au contraire, la sensation épanouissante de se trouver de nouveau pur, de se ressouvenir hors des sus du monde, de redevenir ce qu'on était avant les déformations des préjugés et de l'intellectualisme inutiles et badins. Si je me remémore l'apport que fit Nietzsche en moi-même, je ne parviens pas à identifier une « notion » que le grand Allemand au marteau m'ait apprise – ce qui pourtant s'est certainement produit, mais je n'ai pas voulu en garder cette distance à des termes –, mais j'y ai plongé dans la grande eau vive et fraîche de la bonne foi et de la bonne santé, mes réflexions s'en sont trouvées ragaillardies et vitalisées, je me suis comme dépouillé de mes saletés et compromissions. On croit ainsi quelquefois ne rien apprendre en me lisant tant on est d'accord ; mes articles « tombent sous le sens » ; à force de se dire confirmé d'une pensée inexprimée, comme on la voit matérialisée en mots justes et fluides, on se contente de la réflexion prochaine que ce qu'on sentait ainsi ne pouvait être compliqué à formuler, et l'on oublie perpétuellement qu'on ne l'avait jamais vu écrit ailleurs. Alors, on ne se rappelle même plus de la sensation de découverte immédiate qu'on eut en me lisant, de cette réjouissance du vrai inédit, ne gardant que la sensation d'évidence après coup qui fait croire aisé et définitif ce qu'on n'eut aucun mal à assimiler parce qu'étant d'une vérité éclatante. Autrement dit, on se leurre, en nesouffrant pas à apprendre avec méthode un essai, ses mots et ses enchaînements, par la pensée que sa facilité déconcertante est opposée à un apprentissage tel qu'on s'est habitué à le réaliser, puisqu'il est certes distinct des peines qu'on a si souvent éprouvées à recevoir une réflexion contournée quoique notoirement admise pour « supérieure ». Ce qui s'entend si bien, avec tant de naturel et la forme d'une espèce de parfaite spontanéité, émane forcément de soi et de soi seul, c'est pourquoi on lui dénie le génie, sans considérer que la plus haute preuve d'esprit est peut-être la transmission claire, irréfragable, superbe, à un autre esprit avide de vrai, d'une pensée si nette qu'elle semble le fruit de soi. Chez nous, c'est l'obscurité et la disparité qui sont censés signaler le bon ; on a trop pris coutume de tâcher à faire d'un texte des synthèses fondées de terminologie savante et d'en mesurer la « vertu » selon la lourdeur de l'étude ; il en advient toujours l'un des effets suivants : ou l'on ne cherche plus à intérioriser une pensée et se contente d'énumérer ses thèmes et son lexique, ce qui fait le détachement des universitaires habiles à dresser des taxinomies mais incapables d'expliquer ce qu'ils apprécient dans un texte à part ses complications, ou bien on essaye d'apprendre par cœur une liste de concepts difficultueux dont on n'entend guère la logique, après quoi on n'est que le répétiteur d'un cerveau ou on le réfute comme abstrus, c'est-à-dire que, parce qu'il manque à se présenter au lecteur-lumière comme une clarté et un déjà-en-soi, il l'estime probablement étranger à la conscience humaine donc à la vérité. Mais la Raison, quand est déjà venu l'usage d'une pratique de la pensée-photon, se mesure à la sensation d'avoir déjà pensé une réflexion qu'un autre révèle avec les mots les plus « blancs » qu'on ait jamais rencontrés, savoureux et limpides, tandis que la sensation contraire dénote le souhait d'attirer la faveur d'amateurs de pédanteries et d'arguties. Le premier pas vers la philosophie et son témoignage le plus crucial aux esprits déjà rutilants consistent peut-être, en se débarrassant du faux, à se sentir parmi le philosophe-prophète en terre de vrai – ô bonheur né de la parole-de-réalité même –, en terre connue.
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