Incohérence de Dieu contre la jouissance

Parmi ce qui plaide le plus en défaveur de l'existence du dieu créateur et frustrateur des passions, c'est d'imaginer qu'il ait pourvu chaque être des attributs perpétuateurs de la vie, dont évidemment la jouissance et la puissance, propriétés consubstantielles à la vie et d'une intensité si omniprésente qu'elles suffisent presque à la définir, et pourtant qu'après cette distribution il ait jugé qu'il fallût s'en servir le moins possible, exister surtout pour la souffrance et la faiblesse, comme s'il n'eût pas été évidemment plus simple de fabriquer des êtres qui n'eussent pas eu fondamentalement et constamment besoin de se sentir satisfaits. C'est fabriquer une machine disposant d'yeux, et lui défendre de les utiliser dans la plupart des cas ; c'est même assez loin de l'analogie à laquelle on prétend quand on dit que l'homme étant capable du bien et du mal, il importe de lui laisser la liberté d'en user selon sa sagesse et sa vertu, pour ce que sa décision induirait d'autodétermination et de mérite personnel : c'est que je ne vois pas que l'homme ait davantage d'inclination au bien ou au mal, qu'il soit conformé spécialement à l'un ou à l'autre, tandis qu'il lui est manifestement impossible de ne pas penser d'abord à sa conservation et à son plaisir inscrits en sa constitution même, pour ne pas dire en son instinct ou essence. L'ego est naturellement au centre de la vie, c'est même son principe, et voilà qu'il faudrait que la vie se défausse de l'ego qui y serait répréhensible : or, pourquoi l'en avoir emplie s'il est mauvais et préjudiciable ? N'est-ce pas ce qu'en industrie on appelle un vice de fabrication, imputable au créateur ? Personne ne semble avoir songé que si quelque organe était néfaste par nature au fonctionnement du corps, il n'y aurait aucun motif de lui reprocher de nuire à la physiologie de son hôte, ni de louer son auteur : autant inventer le cancer et l'accuser de proliférer, et le blâmer de faire ce à quoi on l'a destiné, aporie qui prouve l'inconséquence et l'incohérence d'un Dieu qu'il vaut mieux supposer inexistant qu'à ce point illogique et défectueux. Aussi vrai que nul n'est obligé de créer le cancer s'il veut créer la vie, nul n'est forcé de créer l'avidité de vivre s'il veut créer le vivant ; plus exactement, si la vie dépend intrinsèquement du cancer et de l'ego qui lui sont nécessaires pour exister, alors il est absurde, après avoir pris la décision de la créer, d'imputer aux hommes la responsabilité de leur égoïsme autant que celle de leur cancer. Vivo ergo habeo ego : je vis donc je dispose du « je » (et des attributs du « je »), considération qu'il eût fallu faire avant le grand prétendu fiat lux d'où procédèrent les êtres vivants. Sinon, autant dire : je suis Dieu créateur des fenêtres et des vitres, et je lutte... contre la transparence !

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