Immaturité du comédien

Plus j'y songe, plus je découvre que le comédien est un être déséquilibré et puéril, à qui il manque la responsabilité et la raison, qui est vide et vantardise. Il s'attribue donc du mérite à apprendre un texte qu'il n'a pas écrit, et ressent de la fierté à le dire d'une façon qu'il n'a pas décidée, et il croit émouvoir un public tandis que c'est surtout le texte qui fait l'émotion et que la diction est imputable au metteur en scène ! Mettez-vous à sa place : le spectateur applaudit au terme d'une tirade que vous récitez, alors vous vous figurez que c'est vous qu'on félicite, vous vous en sentez comblé, c'est ce qui fait le motif principal de votre carrière ! Mais combien c'est absurde ! De quoi le comédien peut-il à bon droit se sentir acclamé ? Croit-il que c'est lui qu'on complimente pour avoir joliment tué Tybalt ou pour s'être dignement offert à Chimène ? Non : les hourrahs ne tombent jamais pour lui mais pour ce qu'il représente. Que, tel l'enfant se plaisant au rôle qu'il s'imagine, le temps d'une représentation il se croie devenu personnage, et que son illusion le gagne jusqu'à ce qu'il s'en réjouisse : tant mieux pour lui, c'est un plaisir dont je ne lui dénie pas le droit, qu'il en profite tant qu'il voudra. Mais que ce jeu lui constitue un amour-propre comme s'il s'estimait une supériorité pour n'avoir fait que feindre selon des contraintes extérieures et au point d'en faire sa vocation, c'est une attribution de lauriers qui passe la raison et qui suscite en moi le mépris qu'on voue à ceux qui s'obstinent dans l'erreur et la vacuité. Si rédigeant la partition de sa vie, un être la joue avec emphase ou discrétion, voilà qui lui constitue un risque et un engagement personnels, certes authentiques et louables, mais s'adonner à un métier où la part de création est à peu près nulle, plus nulle même que celle d'un comptable ou d'un rémouleur, et s'en faire un prestige au prétexte que c'est une profession qui appartient à la catégorie du show-business c'est-à-dire parce que des foules vous regardent, voilà qui incitera chacun, avec un minimum de psychologie et de circonspection, à s'interroger sur la motivation du comédien et de l'acteur. Songer même qu'il existe au moins deux personnes qui valent plus que lui : l'auteur et le metteur en scène, qui savent tant leurs personnages qu'ils les incarneraient s'ils le pouvaient, et auprès desquels le comédien n'a aucune légitimité. Après cela, sitôt qu'on a entendu l'étonnant degré d'inanité et de vanité qu'il faut pour vouloir exercer exclusivement cette profession d'une initiative minuscule pour être accueilli avec bravos, on comprend pourquoi le comédien est en général une créature vile de simulacre, sans profondeur ni valeur que temporaires et empruntées, tout particulièrement si on le compare aux complexités qu'il représente sur scène et dont il ne se pare qu'en superficie, ayant résolu de n'être, du moins en sa profession, rien qu'en actions dirigées c'est-à-dire qu'en mérites usurpés, ce qui est à peu près unique dans la longue liste de toutes les humaines professions.

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