Hypothèse sur une cause du vieillissement
Je ne suis pas sûr qu'on recouvre l'exact usage de sa voix après un gros mal-de-gorge : il me semble que si le timbre d'un homme évolue après la puberté, c'est peut-être par maladies successives dont il ne récupère jamais totalement et qui lui conservent un reliquat de brisure – voici mon intuition.
Et je m'interroge s'il n'en va pas ainsi de tout ce qui s'altère en l'homme : longtemps on ne lui voit aucun changement, nulle trace de dégénérescence, puis il devient malade, le plus souvent d'affection anodine, alors, le temps qu'il se rétablisse, ses yeux se cavent, des rides lui naissent, des signes particuliers d'usure le marquent, il a perdu des cheveux ; mais ensuite, en sortant de ce mal bénin, il recouvre ses forces, la convalescence l'a ragaillardi, il ne semble rien rester de sa souffrance récente... hormis un reste de cerne, une ride qui n'existait pas auparavant et qui s'est ajoutée durablement à sa physionomie. Alors le témoin – l'homme ou son entourage – n'y reconnaît pas l'effet de la maladie, ne songe pas même à y établir un rapport, parce qu'il a constaté des progrès positifs depuis les contraintes de la grippe ou du rhume, et il croît revenir, après trois ou douze jours, au temps d'un vieillissement normal qui s'était en apparence accéléré du fait de la fatigue et d'autres symptômes, et qui reprend son cours régulier en le libérant du fardeau traversé. Mais c'est peut-être une illusion, car en-dehors de la maladie ou de certains épuisements, en général on ne perçoit pas sur soi de telles traces, ni ne discerne de différences d'un jour ou d'une semaine à l'autre, rien de comparable en tous les cas à ce que font à brève échéance nos affections.
Et peut-être simplement qu'en effet on ne vieillit pas si l'on n'est pas malade, au sens où physiologiquement on ne se dégrade pas.
C'est en quoi je trouve que l'hypothèse selon laquelle le vieillissement physique vient principalement d'épisodes pathologiques, que ceux-ci soient presque insensibles ou nettement déclarés, mérite au moins considération.
Mes cheveux tendent à blanchir – j'ai quarante ans – ; je ne m'examine pourtant guère, et ce m'est égal ; peut-être mes cheveux pâlissent-ils un peu plus, imperceptiblement, les jours où je me sens affaibli, comme conséquence d'un abus de mes forces ; or, je sors à présent d'une grippe, et j'ai vérifié qu'un jour de maladie ma barbe avait poussé davantage qu'à l'ordinaire, comme si mon organisme avait accéléré son fonctionnement pour y puiser de l'énergie. Aussi, j'ai vu qu'une bande assez marquée de cheveux blancs est dessinée sur la gauche de mon crâne, et je ne me souviens pas que cette blancheur m'ait auparavant surpris comme elle le fit hier – ce fut pourtant une grippe simple, bien caractérisée, vraiment typique.
Si cette théorie avait quelque fondement, elle mettrait en question, dans l'espoir de vivre vieux, la meilleure stratégie à adopter par rapport aux maladies : s'il fallait toujours s'empêcher d'être malade, vaudrait-il mieux s'en guérir vite par médicaments ou s'en prévenir par de nettes immunités ? Serait-il plus avantageux d'être souvent ou durementsouffrant ? – sur la question de la santé, on ferait un tout autre calcul. Le problème, je suppose, reviendrait à tâcher de savoir qui, de celui qui se soigne ou qui endure, est généralement le plus longtemps malade...
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