Excellence des exclus

Souvent, l'exigence à laquelle une personne s'oblige est proportionnelle au sentiment de sa propre surveillance que lui inspire un cadre où chacun de ses gestes et mots risque d'être inspecté à son détriment. La pression omniprésente et constante de tous ces potentiels « témoins à charge » qui l'environnent induit une discipline où nulle erreur n'est permise, et où la menace perpétuelle pèse avec rigueur sur celui qui est contraint de se diriger avec exactitude. L'enjeu personnel d'un tel soin n'est pas juste une recherche décorative d'exemplarité ou de gloire, mais la liberté voire la vie : c'est pour sa sécurité qu'il ne doit jamais faillir. Il ne faut pas s'étonner qu'en Europe les Juifs furent en général des êtres d'excellence : ils n'en avaient guère le choix, ils craignaient le commandement tacite d'une société qui ne les tolérait qu'impeccables, et ne se permettant pas une détente qu'on leur aurait durement reprochée, ils étaient bons parce qu'au moindre signe d'un défaut chacun était prêt à les pourchasser hors de proportion. Une sévérité individuelle, issue d'une austérité collective, devient le mode de conduite de celui pour qui le contrôle de soi est une condition de la tranquillité personnelle, voilà pourquoi foncièrement, en dépit de l'injustice, toute discrimination améliore celui qui en pâtit, le forçant à réaliser parmi ses dominateurs une maîtrise irréprochable. Mais on trouve au même niveau de contenance les artistes controversés qui se tiennent sur une ligne proche de l'illégalité périlleuse où, faute de vouloir renier leurs opinions, ils se savent continuellement près de subir des poursuites, ce qui leur impose une compétence élevée, comme un Dieudonné dont les spectacles démontrent une tenue qui relève du théâtre de composition davantage que du simple amuseur. J'ose dire que le harcèlement contre le Juif historique exerça une influence comparable, sinon identique, à celui contre l'antisémite actuel qui n'a pas d'autre choix que de se préparer impeccablement au tracas de la foule – qu'on voie avec quel esprit les polémistes habitués, des Zemmour ou Mélenchon, ont appris à leurs dépens à user du verbe et à prévenir les assauts, à maintenir leurs vigilances et à parfaire leurs prestations.

De tous temps, le paria est le supérieur tant que seul son travail le défend de l'opprobre : accordez-lui un soutien, une défense, un prétexte, et il déchoit de force et devient commun, pire encore si vous lui confiez du pouvoir en raison de sa minorité. Il ne faut à l'excellence aucune excuse aux erreurs si elle veut se conserver au sommet, c'est la raison pour laquelle toute société de caste comme la nôtre ne porte à sa tête que des négligents et des faillis, ou vertueux seulement par conviction plutôt que par nécessité, parce que des facilitations et sympathies y autorisent et atténuent la faute. L'exigence s'entretient par la peur de responsabilités lourdes en cas d'échec, même par l'appréhension de la plus inique punition pour une peccadille. C'est en quoi il y a du bon à être pourchassé par des meutes visibles : les aboyeurs constituent un troupeau vil et qui stagne, tandis que leur proie doit développer un moyen de défense et rivaliser d'habileté ; ainsi sa chair reste-t-elle coriace et presque impénétrable tant qu'elle se sait sous la menace des crocs qui veulent l'entamer.

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