Émotion-pause du début d'un couple

Dans les premiers temps du couple, on est bien trop occupé à posséder pour exiger autre chose : l'amant profite d'une faveur dont il mesure à peine le mérite, il reste comme étourdi par la perspective de sa conquête réalisée, il jouit du point qu'il a atteint souvent après une certaine insistance, une ampleur le gonfle de satisfaction qui ressemble à un oubli de toute entreprise et de tout calcul. Il est arrivé à un terme qu'il avait projeté, et il se laisse bercer par cette situation ; plus encore, il goûte la fierté enivrante d'une forme de gloire, et sa volonté se paralyse en cette réussite, il ne sait pas bien pour l'heure vouloir au-delà.

Le moment sûr d'une appartenance procure ce genre de plaisir : on se repose alors un peu d'avoir acquis, et l'on n'entre pas immédiatement en de nouvelles œuvres, parce qu'on se contemple en maître parvenu au succès, et presque on n'y croit pas. C'est une pause misérable au fond que cette torpeur de célébrant : l'encens brûle qu'on inhale avec une morne hébétude, et on s'en laisse endormir la volonté. Mais cet état ne signifie rien, car il n'est que transitoire et ne vaut pas qu'on y mise : c'est quelque faîte intermédiaire où l'amant stagne de bonheur un moment avant de se reconstituer un but, et voilà pourquoi il importe que l'amour ne constitue pas pour quiconque un but. En-dehors d'aimer et d'être aimé, bientôt pour l'amant attardé se reforment une nouvelle demande, et ses efforts pour gagner quelqu'un, se convertissent, après la marche satisfaite, en hardiesses alternatives pour obtenir encore, car il est rare qu'un alpiniste ne vise pas à chaque atteinte un roc plus éloigné : c'est quelque instinct-héroïque en l'homme de ne pas se contenter, et celui qui n'en dispose pas, pourquoi l'aimer, pour quelle raison en faire un être aimable ? J'ose encore espérer qu'on n'aime pas celui qui se plaît aux cessations définitives de l'effort – je suis peut-être intempestif et démodé.

Ainsi, l'amour n'a de beauté et de sens que comme étape qu'on attrape au hasard et pour se soulager provisoirement entre le bas et le haut, et qu'on rencontre à l'étage correspondant de son avancée, mais comme objectif il n'est qu'illusion et oblige à arrêter la grandeur en cours – petitesse bourgeoise où l'on élit résidence dans le chalet qui n'est conçu que pour se restaurer. Si l'on quête son progrès égoïste, et si l'on tient à sa valeur dans la conception d'un chemin de vie significatif, sans nul doute on parviendra incidemment à un amour, car bien des personnes adorent ceux qui s'élancent à la recherche des nuages, mais alors on ne cessera pas de grimper selon l'entretien continu de sa propreté, et tant mieux si l'amour suit en cette ascension, et tant pis s'il demeure au gîte sur le belvédère. Mais la preuve que l'amour n'est pas fait pour servir de sommet, c'est que l'hypnose où l'on se repose d'avoir réussi ne dure pas, et qu'improductive comme la béatitude elle précède toujours des accomplissements plus élevés si l'on est d'une foncière bravoure, au même titre qu'après une chute l'homme hardi retourne à sa monture et aspire enfin à dépasser le virage.

Selon cette sensation intime, si l'on m'a bien compris, la seule façon d'être sincèrement fidèle en amour est, chaque fois qu'on quitte l'amant pour reprendre sa propre route, de grimper et d'escalader encore, et peut-être de s'apercevoir que, devant ou à côté, l'amant n'a pas cessé comme soi de poursuivre vers l'inaccessible sommet : on le gardera alors pour satisfaction du chemin perpétuel et surtout sans un scrupule, parce que loin qu'on se soit abandonné au repos de la halte du confort immobile, on découvre avec honneur qu'en même temps que soi, c'est la plateforme des dignes plaisirs qui, sans cesse, s'est rehaussée.

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