Effet de l'abstinence sexuelle de l'homme sur la femme en couple

Nombre de femmes en couple considèrent la sexualité une faveur qu'elles dispensent bien davantage qu'un assouvissement personnel et spontané. Elles reçoivent les sollicitations plutôt qu'elles ne les provoquent, se laissentconquérir plutôt qu'elles ne lancent des assauts, se déterminent selon le jugement plus qu'elles ne cèdent à leur pulsion, estimant qu'après avoir accepté les instances du mâle (qui en général ne leur sont pas désagréables), elles pourront se prévaloir d'un service rendu comme prestation et réclamer une contrepartie : elle a largement contribué à ce mythe social et symbolique du « sacrifice de son corps » pour usurper un mérite. Même chez les jeunes couples, la femme veut souvent que le prêt de son sexe lui serve à obtenir des avantages, au prétexte que l'homme y est plus assidu et dépendant, qu'il l'éprouve comme un besoin au détriment d'elle : elle a intérêt à croire faire plaisir plus qu'elle ne se fait plaisir, et cette petite abnégation vaut bien, selon elle, qu'elle gagne quelque chose en retour : à dire vrai, la sexualité de couple lui apparaît tôt comme un chantage. D'ailleurs, elle sait bien indiquer, quand le conjoint ne s'est pas comporté comme elle voudrait, que son refus sexuel provient de ce qu'il ne mérite pas maintenant qu'elle lui soit favorable, et elle se justifie à elle-même cette absence « occasionnelle » de sensualité, et la déconnexion avec ce que l'envie contient de plus délicieusement primal, par ce que faire l'amour supposerait la confiance, et que son partenaire, fautif contre elle, l'éloignerait pour l'heure de ce plein abandon nécessaire – prétexte absurde si l'on considère combien fauvement elle peut vouloir être prise et fantasme par alternance sur sa possession par un mâle inconnu et brutal. Or, si elle ne l'explicite pas en ces termes et préfère indiquer quelque fatigue ou indisposition, la plupart des maris comprennent le reproche contenu en ces rebuffades et sont peu à peu habitués et même conditionnés à ne faire des avances à leurs femmes que lorsqu'ils se savent irréprochables et quand, par avance, ils se jugent propres à remplir toute condition que leur épouse leur soumettra.

Mais lorsque, pour une raison liée ou non à la lassitude humiliante d'être seul à exprimer son désir, l'homme cesse de réclamer le corps de la femme, elle se trouve embarrassée d'une façon imprévue et inédite, et ce vide ne tarde pas à l'envahir jusqu'à lui faire l'impression d'un complexe :

D'abord, elle n'ose pas s'avouer qu'elle conserve un désir inassouvi, car il lui faudrait admettre que la sexualité lui était jusqu'alors essentielle tandis qu'elle feignait de ne faire que consentir pour être aimable et répondre par devoir au besoin plus ou moins exclusif de l'homme – cet aperçu la trouble, parce qu'il révèle sa mauvaise foi, mais il lui est difficile de l'ignorer.

Ensuite, elle ignore comment indiquer sa concupiscence, car il fait longtemps qu'elle ne se livre plus à ces témoignages, attendant juste que la pulsion traverse et galvanise le mâle dont elle affectait de supporter les envies ; devenue passive, elle a cessé d'exercer une stimulation et abdiqué le soin de s'y essayer ; et, puisqu'elle attribuait à la lubricité le vice foncier de l'homme, s'imaginant que ces désirs avaient quelque chose de scabreux de manière à exiger avec moins de remords le bénéfice de sa tolérance, c'est tout logiquement qu'elle a des scrupules à imiter ce qu'elle réprouvait ; elle se sent vile à seulement penser aux actions pour séduire ; même en potentiel, ces manœuvres qu'elle a tant critiquées, en elle-même et auprès d'amies comme cela se pratique souvent, lui sont devenues insupportables à force d'y associer le blâme opportun, le blâme bienfaiteur, celui qu'elle fabriquait et se représentait parce qu'il lui profitait.

De surcroît, si ce désir lui semblait une bassesse, ce n'est pas seulement parce que le rut viril lui paraissait primitif et bestial (même si elle peut l'avoir couvert sous cet argument qui octroie toujours aisément à la femme la position de finesse et de grâce), mais c'est que, jusqu'à présent, elle se savait légitime à en tirer un profit d'autre forme, et elle ne peut s'empêcher de songer que c'est elle qui, cette fois, aura l'air de réclamer et sera redevable : cette disposition l'humilie parce qu'elle la connaît trop bien, parce qu'elle a toujours estimé fondamentalement le coït un procédé de rétorsion pour un gain ultérieur, alors elle appréhende contre elle ce déséquilibre qu'elle aimait à réaliser sur son conjoint et qui faisait pour son propre usage toute la consistance du sexe, elle répugne à perdre le privilège et la prédominance qu'elle avait établis, le solliciteur lui faisant l'impression d'une position de faiblesse – l'homme ainsi absorbé lui a toujours paru une « bête ridicule et vilaine », et combien de fois elle s'en est moquée !

Enfin et c'est le pire, comme la sexualité ne lui sert plus naturellement à exiger des soins – où j'entends que le compagnon n'y est plus impulsivement disposé –, elle hésite à lui adresser des demandes car elle se sait manquer de quoi lui offrir, puisqu'il n'exprime plus ce désir d'elle par lequel elle parvenait presque uniquement à l'obliger, parce qu'elle ne répond plus au besoin et que cependant elle ressent à présent ce besoin : elle a perdu une part de sa puissance et ignore comment la récupérer, ne tenant plus la légitimité de ses exigences et caprices, sa contrepartie ayant disparu. Elle devient frustrée, malheureuse, sise entre ses désirs physiques qui lui seraient faciles à transmettre mais qu'elle résiste à communiquer, et sa superfluité au sein du couple qui devient encore plus apparente : l'homme l'emporte et elle ne sait sur quel fond, sur quel apport ou quelle réciprocité lui demander quelque chose ; elle ne sait plus comment l'atteindre et par quelle faiblesse s'emparer de sa volonté ; la perte de son attractivité lui coûte moins au fond que celle de sa nécessité et de son pouvoir. Comme elle n'a plus sur lui d'emprise et ne dispose plus de quoi lui faire des menaces, le voici soudain échappé à sa mainmise, étranger à son foyer c'est-à-dire indépendant ; il n'est plus son homme, il redevient un homme, il redevient même l'homme, le contraire d'une domestication : elle ne peut plus s'illusionner sur son rôle auprès de lui, et, regagnant sa solitude et sa fragilité, elle voudrait bientôt qu'il réclamât de nouveau, et même elle réclamerait qu'il réclamât si sa pudeur et sa fierté s'y pouvaient résoudre. Tout le lien misérable par lequel elle occupait sa maison s'effondre : elle redevient en tous points une enfant, à la fois parce qu'il n'a plus d'égard pour son corps de femme et que pour beaucoup de choses désormais il l'entretient (il serait intéressant de vérifier comme la plupart des femmes-enfants, comme Colette, furent au lit, pour compenser, des femelles particulièrement salopes). La sorte d'autonomie qu'elle croyait avoir acquise par cette prostitution s'en est allée ; elle se retrouve impotente, pitoyable, et, pire, elle ne peut se cacher entièrement que c'est par sa propre faute, selon la vanité de cette autorité médiocre et révolue, qu'elle se retrouve démunie ! Il lui faut désormais rebâtir sa place, reforger sa force et réaffirmer son identité, ceci sur des valeurs nouvelles après tant d'impotence, c'est-à-dire à peu près renaître : effort vertigineux ! Je ne la blâme pas de n'y point parvenir, ni même que la perspective lui soit déjà insurmontable : un Contemporain, femme ou homme, en est généralement incapable.

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