Durée de ce qu'on construit
Tous les bâtiments qu'on construit en France durent : c'est le cas des édifices publics ornementés du XIXe siècle comme des vilains pavillons économiques des années soixante-dix. On ne détruit guère, ni ne remplace, ni ne redispose une rue, au mieux on arrange des extérieurs, on replâtre, on enjolive ce qui peut l'être, on procède à des dérivations et à des contournements : Haussmann seul a réalisé l'exception. L'habitation qu'on élève au faubourg devient définitive, et le plan de circulation d'un lotissement, avec ses virages et ses lampadaires, est chez nous peu altérable et restera pour des décennies, probablement davantage.
On devrait toujours se rappeler cette durabilité quand on réalise une construction. On éviterait de bâtir ou d'autoriser des structures ne disposant environ que de vertus pratiques et constituant des laideurs presque éternelles pour l'homme, indisposant son regard et diminuant sa mentalité. Le bâtiment chiche, terne, mesquin et comme atrophié, où ce qui se perçoit d'abord se résume aux économies que le propriétaire a réalisées, demeurera en place des siècles encore, et affichera la pauvreté visuelle et morale de son concepteur insoucieux de léguer à la vue des successeurs un spectacle mieux que navrant ou désolant. Il ne s'agit pourtant pas d'inciter à des décorations luxueuses, somptuaires et prohibitives, mais simplement de prendre conscience de la quasi immortalité d'une construction pour en épargner l'incommodité à autrui, d'entendre et d'appliquer sa responsabilité humaine au détriment de son profit strictement égoïste :
Derrière l'espace d'une pelouse plantée de peu d'arbres, une maison fraîche, ornée sans orgueil mais avec coquetterie, avec des particularités de pignon ou de façade, un certain charme sensible, après de courtes rallonges de moyens, pas beaucoup – autrement, on trouve toujours un lieu préexistant et commode à habiter si l'on n'a pas le désir d'un peu de joliesse, et l'on ne bâtirait pas des laideurs sur un autre morceau de terre vierge. Ce que propose le Contemporain transpire la négligence de ces questions de postérité, induit un raccourcissement de ses vues au plus étroit et insensible : des pavillons carrés, aux toits plats de tuiles mécaniques, sans corniche, aux extérieurs bitumés sans arbre, et pas une singularité, rien que des copies d'endroits pour exister juste et permettre des transferts de dépenses à toute autre chose, aux voyages, aux sorties, aux voitures et aux vêtements, pour se libérer autant que possible d'un crédit et pouvoir s'offrir quantité de souvenirs et de babioles périssables.
Comment instruirait-on, dans ces décors, le goût personnel de la grandeur : on n'a déjà qu'indifférence ou mépris pour ce qu'on montre de soi, et l'on se moque de l'image des choses qu'on fait ou fait faire et qui, autrefois, servaient à indiquer un respect de soi et d'autrui, tout ce qu'on acquérait et portait alors étant les marques d'estime réciproques. Mais on n'a plus cure de rien, et tant pis si chacun peut deviner à sa devanture combien on est avare et dénué de style. Quand le paraître est négligé parce que chacun ne pense qu'à son économie turpide, il faut faire peu de cas de l'essence : l'homme qui, construisant sa maison, n'a pas le moindre souci, sachant qu'il y vivra presque toute sa vie, d'un foyer de quelque représentation de sa personne, est perdu pour les innombrables choses moins évidentes et plus subtiles de l'existence ; il est gâchis et ne saurait penser avec finesse à des valeurs moins grosses que seulement rendre agréable à regarder un édifice durable dont il est l'initiateur et qui le signale au monde ainsi que la faible part de ce qu'il a été en mesure d'y réaliser.
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