Contre le consensus savant (addendum)

Personne ne semble avoir remarqué que le consensus se définit comme une incertitude, fût-ce une moindre incertitude. En effet, partout où il y a un consensus, il n'y a pas unanimité, il n'y a justement pas théorème : la somme des angles du triangle n'est point un consensus, pas plus que le calcul de l'hypoténuse par les côtés adjacents puisque ce sont des faits démontrables. « Consensus » est souvent utilisé en terme trompeur, induisant une appréciation évaluative, d'influence et de persuasion : objectivement, il signifie que tout le monde n'est pas absolument d'accord, mais tend à orienter ce désaccord de façon nivelante et conclusive en signifiant que « presque tout le monde » est d'accord et qu'on doit donc plutôt négliger l'avis des récalcitrants – il est indéniable que l'emploi de « consensus » consiste beaucoup en négation des objections. Mais on doit reconnaître que « consensus » signifie bien une théorie pour laquelle perdure une part de controverse ; or, son acception fait pencher du côté de l'offuscation des contradictions. En soi, c'est un terme anti-scientifique parce qu'il consiste à présenter une théorie de façon à la faire estimer acceptable, alors que le seul critère d'acceptabilité pour le scientifique se situe en la possibilité qu'une théorie soit vérifiée tout en contenant l'hypothèse par laquelle elle demeure réfutable (c'est la révolution épistémologique de Popper). Or, même un scientifique convaincu devrait admettre qu'une théorie qui ne peut être vérifiée, même probable, ne saurait atteindre au statut de vérité démontrée, consensus ou non. « Consensus » est ainsi fallacieux et captieux : dans la mesure où des compétences s'opposent au consensus, si elles disposent d'arguments solides même minoritaires, et si l'on se contente de les nier au prétexte que leur parole n'est pas représentative, qui saura reconnaître le moment où se rencontre une théorie nouvelle et vraie ? Il semble bien que tout véritable inédit en science se définit exactement comme une déviation par rapport au consensus. C'est pourquoi, un esprit scientifique ne réclame jamais un consensus, mais une démonstration ou une réfutation : même, pour lui le consensus est l'indice d'un doute et d'une incomplétude de la preuve – on n'aurait pas d'intérêt à parler de consensus autrement, on parlerait de vérité ou de réalité, la rotondité de la Terre n'est pas, que je sache, un consensus.

Le problème notable avec le consensus est qu'il s'inscrit dans une visée rhétorique, ce qui se perçoit tôt dans le discours de qui fait appel à lui. Il est manifeste que, sur une question telle par exemple que l'origine anthropique du réchauffement climatique, tous ceux qui arguent de l'existence d'un consensus manifestent qu'ils ont quelque chose à défendre plutôt qu'une vérité à débattre : ils balaient les objections plutôt par principe qu'après examen, se tiennent en posture de partisan, et, sans même voir vos analyses, prétendent d'emblée que le consensus les a déjà considérées, que le consensus étant établi il est inutile de polémiquer. Et il est bien rare qu'ils démontrent le fait pour lequel ils invoquent le consensus : ils ne produisent pas les études supposées avoir tenu compte de vos contradictions, et confèrent au consensus une valeur proche de l'infaillibilité. D'ailleurs, il ne s'agit pas de prétendre que sur la controverse du climat – car ce sujet présente davantage les attributs d'une controverse que d'un consensus – ils ont faux, je n'affirme pas avoir raison en doutant de son origine humaine (je ne dispose tout simplement pas d'assez de compétence sur le sujet, ni eux non plus en général), mais ce qui assurément leur donne tort sur la manière, c'est leur attitude de déni, parce qu'elle n'est pas scientifique et se réclame uniquement du consensus. Autrement dit, quand j'émets un doute et le formule tel, je veux qu'on le démontre ou le réfute, mais pas qu'en généralité on m'argue que le consensus en a probablement déjà tenu compte : cela, c'est une présomption, ce n'est pas l'objectivité. Il y a parmi les adeptes du consensus une tonalité persuadée qui se départit de considération voire de calme tandis que je ne fais que proposer une objection ou une hypothèse. Il semble que leur impatience procède de ce qu'il craigne de perdre leur temps à considérer perpétuellement des objections nouvelles : eh bien ! personne ne les oblige à en discuter, s'ils sentent que c'est peine perdue, l'argument du consensus ne sert à rien : mieux valait tout bonnement ne pas débattre.

C'est ainsi qu'à trop accepter la science officielle ou majoritaire, on ferme son esprit en une méthode qui devient fondamentalement antiscientifique. Il est très probable que beaucoup de sceptiques sont impatientants, mais la position sceptique n'est ni une erreur ni un délit en science, bien au contraire, et il n'est pas légitime scientifiquement de se contenter d'un déni pour répondre à un déni : plutôt ne pas répondre que d'avancer le consensus, car sans doute il existe au sein d'une communauté alternative un consensus exactement inverse qu'on pourrait rétorquer. S'il y a maints sceptiques opiniâtres qu'on ne réussira jamais à convaincre, est-ce une raison pour se contenter en contrepartie d'un consensus opiniâtre qu'on ne réussira jamais à convaincre non plus ? C'est foncièrement la même attitude mentale qui consiste en une forme de refus et d'obtusion. Par exemple, quand j'écris au sujet du réchauffement climatique que les paramètres sont en tel nombre, d'une telle complexité et si composés et interférents, qu'on doit garder là-dessus le sens d'une distance par rapport à ce qu'on admet établi et assuré, tandis que dans beaucoup d'autres domaines plus simples les sciences ont souvent prouvé leur incapacité à se situer hors d'un positionnement mercantile, politique ou idéologique c'est-à-dire intéressé (et indéniablement le sujet du climat en est un sensible), je devrais m'attendre de toute évidence à ce qu'une mentalité scientifique commence par répondre : « La théorie du chaos vous donne raison : la vérité s'éloigne de la portée humaine à mesure que les facteurs entrant dans le champ de prédiction se multiplient. On est déjà en peine de prévoir la météo : le climat est analogue, à ceci près qu'il induit davantage de paramètres à prendre en considération, car on n'a pas besoin de calculer les éruptions du soleil ou les infimes variations de son ellipse quand on veut augurer le temps qu'il fera demain ou la semaine prochaine. Pourtant, je consens à examiner avec vous vos objections et à vérifier ce qu'il en est ou ce qu'il semble en être, au plus proche de ce qu'on peut redémontrer ou réfuter ». Seulement, les fervents du consensus ne s'expriment pas ainsi : ils commencent toujours par nier vos remarques et par se moquer de vous au prétexte que vous êtes minoritaire. Ils vous traitent en danger, en fanatique, et il y a tout lieu de supposer que c'est parce qu'ils se sentent en péril de quelque chose : mais de quoi, s'ils ont l'assurance de ne pas se tromper ?

À bien y songer, je crois qu'on trouverait que « consensus » est presque l'exact contraire de « sceptique », les deux étant situés sur des versants opposés du spectre évaluatif : le sceptique au sens où on l'entend à présent de « soupçonniste » est celui qui par défaut admet que la théorie généralement partagée est probablement fausse, mais le partisan du consensus au sens où on le constate de nos jours de « confianciste » admet par défaut la théorie générale comme sûre : ce sont deux systèmes similaires quoiqu'antéposés dont aucun n'a à voir avec une méthode ferme d'appréciation personnelle. Il est pourtant notable qu'en règle générale, chez l'amateur et non l'expert, le sceptique a au moins pris quelques minutes pour consulter l'objection qu'il présente, tandis que le partisan du consensus s'est contenté d'accorder une foi indéfectible en la doctrine majoritaire qu'il n'a pas eu besoin de regarder et s'est contenté de recevoir en héritage. Je veux dire que celui qui reconnaît dans les pyramides antiques une fonction de production d'électricité a incontestablement visionné une vidéo pour l'en faire accroire, mais celui qui se contente du consensus n'a nullement eu besoin de se renseigner par lui-même : l'information lui est venue par seule imprégnation. Certes, on voit que la volonté d'aller à la découverte d'un fait n'est pas gage de vérité, mais c'est au moins un gage d'effort, d'un minimum de curiosité et de soin, d'un investissement de temps, et cela requiert plus de courage, ou moins de paresse, que de se ranger automatiquement à l'avis d'une autorité qu'on ne connaît que de réputation : la créance en le consensus est souvent un débarras de ses propres facultés critiques, parce qu'il s'agit de ne plus vérifier soi-même un fait établi par autrui. On considère alors que le nombre de cet autrui justifie la vérité qu'on expose, et on lui présume des facultés dont on se demande si elles ne servent pas à se déprendre de la responsabilité de réfléchir par soi-même, c'est-à-dire si elles ne sont pas utiles surtout à se dispenser d'un effort.

On dira que le rôle du consensus savant est justement de soulager d'autres personnes, et notamment d'autres savants, de procéder depuis zéro à la démonstration du fait décrit et analysé, et que sans consensus les sciences progresseraient à un rythme atterrant parce qu'il faudrait que chaque scientifique refondât toute la théorie comme par lui seul ; et ce n'est pas vrai, c'est une simplification abusive, justificatrice et déculpabilisante. Un savant spécialiste n'admet jamais un consensus sur une foi, et n'accorde jamais sa créance sur la base d'une réputation. Sur quoi alors ? Il reconnaît une théorie qu'il n'a pu démontrer sur la vérification partielle, souvent de nature pratique, du phénomène théorisé ; autrement dit, il constate que pour les cas spécifiques qui l'intéressent, une théorie se confirme, et c'est ce qui la fait accepter et s'en servir. Oui, mais pour presque tous les faits relevant du consensus, quel est justement le problème ? Le problème est que les données modélisées sont si abstraites qu'à peu près aucun savant d'aucune spécialité ne peut en réaliser des confirmations pragmatiques : l'hypothèse anthropique du réchauffement climatique est particulièrement un consensus dont la vérification est délicate parce que sa réalité est difficilement tangible et même mesurable (j'incite à vérifier seulement comme on évalue la température moyenne à la surface de la terre ou encore la quantité de dioxyde de carbone dans l'atmosphère : c'est déjà polémique) ; c'est d'ailleurs un consensus qui manque à être prédictif, comme le prouvent aujourd'hui la plupart des anticipations d'il y a vingt ou trente ans (la grande majorité des théoriciens a réalisé des erreurs considérables). En somme, le consensus appartient rarement à ces théories qui se constituent logiquement au gré d'observations scientifiques et pour lesquelles les progrès des savants apportent par degrés des confirmations concrètes : il est souvent une entière conjecture qui n'a guère de raison d'être supposé une base fiable pour les savants successifs, et pour une raison simple, c'est qu'il n'y a pas de savants dont la spécialité requiert de se servir pour axiomes de tels consensus. Et c'est justement pour cela que la théorie demeure consensus au lieu de passer vérité : on ne la vérifie guère ni ne se soucie d'opérer sa vérification pragmatique parce que nul scientifique dans son domaine n'en a beaucoup besoin. On peut ainsi définir le consensus la terminaison d'un domaine de sciences, une sorte d'impasse scientifique dont nul n'a un intérêt concret à se servir : si un savant utilisait ce consensus, alors il cesserait d'être consensus et ne tarderait pas à devenir fausseté ou théorème parce que son utilisation concrète le réfuterait ou l'entérinerait. Qu'on y songe vraiment : si un ingénieur de la NASA s'emparait d'un consensus pour faire décoller une fusée, on le jugerait irresponsable. Tant qu'on n'a qu'un consensus, on ne détient pas une vérité.

Il est même assez simple de le matérialiser : ces gens consensuels sont bien certains de leurs raisons, n'est-ce pas ? Or, il me semble, moi, qu'ils en sont certains surtout parce que ce demeure des principes théoriques et qu'ils n'ont rien à y perdre, je veux dire que leur certitude est une façon de pari de Pascal (qui expliquait qu'on avait intérêt à croire en Dieu parce qu'au pire on n'y perdait rien tandis qu'au mieux on gagnait sa place au paradis). Il me semble que la majorité des adeptes du consensus sont dans cette situation : sans prouver les avenirs terrifiants qu'ils évoquent, ils se montrent comme concernés et responsables, ils gagnent à la fois le souci valorisant d'un événement dans leur existence et l'insouci de vraiment examiner ces consensus. Néanmoins, admettons qu'ils en soient aussi certains qu'ils le prétendent, pragmatiquement. Tenez, je suis certain, moi, que la somme des angles d'un triangle égale 360°, et, admettant ceci l'équivalent de ce « consensus », je suis prêt à y miser ma vie immédiate ou celle de mes enfants sur un exemple contraire. Or, je demande ceci : sur quel contre-exemple un partisan de l'origine humaine du réchauffement climatique accepterait-il de jouer sa vie ou celle de ses enfants ? Mettons que j'accepte qu'on me tranche la tête si l'on me présente un triangle dont les angles ne font pas ensemble 360°, si je découvre dans des carottes glaciaires que le taux de CO2 et la hausse de température ne sont pas corrélatifs ainsi que mon consensuel le présente, que fera-t-il ? À ce stade, ou il n'existe pas d'expérience susceptible d'invalider le consensus, auquel cas le consensus n'est pas de nature scientifique et ne vaut pas d'en parler, ou l'on doit reconnaître une situation de réfutation possible qui, si elle se réalise, contredit et annule le consensus. Alors, je demande : quelle situation concrète engagerait rien que la main ou l'argent de qui postule ce consensus ? Voyons : moi, j'accepte de fonder un pari en ligne où je propose que d'ici dix ans je double ma mise ou perde tout si l'on découvre le triangle faisant exception à mon consensus, mais un concurrent en ferait-il autant sur le consensus de l'origine humaine au réchauffement climatique ? Mais puisqu'il est si sûr de lui ?!

Or, on s'aperçoit bientôt que mon adepte du consensus se met à poser des conditions, à vérifier des circonstances, à examiner, à explorer la question, ou qu'il fourbit déjà sa mauvaise foi la plus caractérisée... Il dispose d'un consensus dont il veut écraser tout le monde, certes ; mais en vérité... oui, en vérité, ce qu'il voudrait imposer, il en doute.

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