Contemporain en polémique (troisième partie)
Il leur faut perpétuellement des symboles de conflit, ne s'estimant pas de vrai problème personnel, réel, à résoudre, pour s'inquiéter d'eux-mêmes : on ne les fait jamais tant hurler que lorsqu'on montre une étoile juive, ce genre de choses, des images et même plutôt des imageries. C'est leur « participation au monde » de se soulever pour ce qu'ils ignorent et ne vérifient point, dont ils font des disproportions qui n'ont d'importance qu'au niveau d'abstractions, de débats, presque de dîners mondains ; ils ne veulent que remporter des suffrages, les slogans suffisent, gonflés, excessifs, manichéens, puérils. Ils ont besoin de s'indigner ; il ne faut pas s'indigner, on devrait plutôt tenir le slogan inverse : « Ne vous indignez pas ! », s'indigner défoule et purge, et bientôt tout retombe après l'indignation : ça ne leur dure jamais longtemps, ou bien il faudrait que ce leur devînt un vrai problème, ils en seraient malades peut-être ; or, ils ne désirent pas de vrai problème, ils n'aspirent qu'à de petits problèmes pour s'indigner, problèmes de symboles précisément. Aucune cohérence ne les fera déplorer, tout en s'indignant d'étoiles juives sur une porte inconnue, d'avoir soutenu un bataillon ukrainien nazi aux portes de l'Europe, ni d'avoir consenti à interdire chez eux l'accès des non-vaccinés à maints lieux publics : c'était chez eux, mais chez eux ce n'est jamais pareil, ce sont des problèmes concrets et pratiques, cela se résout facilement et sans indignation, bien pragmatiquement, chez soi vraiment réfléchir reviendrait à introduire de la préoccupation réelle, on devrait s'indigner pour ici, ce qui serait au quotidien culpabilisateur, ce qui ferait la vie difficile, ce qui ne valoriserait pas. On ne leur demande pas, et ils ne s'exigent pas, d'être conséquents : il leur faut juste de quoi partager l'indignation pour se savoir meilleurs, et il est plus agréable si cette indignation touche à des faits symboliques, cela donne l'illusion de la distance, ce sont alors des « intellectuels » qui s'expriment ; ils ne savent rien au fond des problèmes qu'ils survolent, leur partialité ne fait aucun doute, nul ne les lit pour leur jugement, ils ne sont pas profonds, on ne saurait confondre leurs écrits avec une forme de pensée inédite, et ils ne surprennentjamais ; mais en confirmateurs perpétuels ils sont seulement l'autre versant d'une société superficiellement vile en ce qu'ils se tiennent à l'opposé d'une position de caricature qui n'est que la prévisible et inverse caricature ; ils appartiennent au système même des caricatures, insérés inextricablement dans la caricature qu'ils prétendent parfois dénoncer.
Pour preuve, ce Radu Portocala : photo de porte encore avec étoile juive, on ignore d'où, avec une sorte de slogan alarmant qu'il étale, comme si un gouvernement contemporain était tout proche d'autoriser des pogroms, comme si la situation était comparable avec l'Allemagne du IIIe Reich. C'est quand même une juste intention, pense-t-on, puisqu'il s'indigne d'un fait scandaleux. Ah ? Mais de quoi s'indignait-il hier, quelle est donc la proportion, l'équilibre, la justice, l'ordre de ses indignations ? Où se situe le recul, la sagesse, de cet homme ? Comment distingue-t-on en lui la balance de profondeur ? Quel paradigme l'anime ? peut-être n'est-il pas ce Contemporain que je prétends, en effet ; peut-être se tient-il au-delà ?...
Hier, M. Portocola était scandalisé parce que, suite à un propos qu'il ne veut pas répéter, Facebook l'a odieusement « censuré », c'est-à-dire que, en l'autorisant toujours d'exprimer et de diffuser ses opinions, le site ne référence plus, pendant quelques jours, ses messages « en tête de fil ».
Or, c'est bien cela, la mesure du Contemporain : un homme qui, sous couvert de liberté d'expression, pleurniche parce qu'un site gêne sa popularité, et qui, dans le souhait d'une même popularité, le lendemain hésite sans doute à diffuser immédiatement une porte profanée qui l'indigne, ignorant si son image sera suffisamment relayée – c'est son intégrité, c'est sa teneur, c'est sa cohérence. Cette logique me consterne : qu'un homme – Radu Portocala ou un autre (peu importe, je ne le connais guère) – ne s'aperçoive point de ce trafic d'émotions, de ce jeu d'opportunes préoccupations, de cet avantage couru des relais de pathos, qui ne « valent » que parce que ces problèmes sont théoriques et lointains, et ne s'indigne pas par exemple que son compatriote – son parent, voisin, lecteur, et lui-même peut-être – en moyenne ne lise pas cinq livres par an, encore que des livres minables. C'est quelqu'un qui dira avec de grands airs... symboliques... – je m'y attends bien – que « l'insulte d'une communauté, fût-elle éloignée, n'est pas à mettre en balance avec un peu d'imbécillité et d'absurdité ici et là » ; oui, mais c'est votre monde, c'est votre prochain, c'est vous-même, avéré et d'une pression considérable sur les faits même que vous dénoncez ; c'est en somme une vérité inexorable que le loin comme le proche défaillent justement en raison de cette imbécile absurdité que vos textes portent encore, car ils confortent le Contemporain dans le régime des hypocrites et provisoires indignations-de-bonne-conscience qui font tous les bêtes conflits au monde où chacun se sait légitime !
... Enfin, je ne les convaincrai pas : c'est qu'ils ont besoin beaucoup plus que le monde de cette indignation-qui-libère en les faisant passer pour les « libres représentants du monde ». Or, ce monde n'a pas besoin de « représentants libres », il n'a pas besoin d'une parole-libre qui n'en a que le nom, qui se fédère aux paroles banales et conditionnées, qui ne sont au propre que des paroles populaires, vulgaires, prostituées ; depuis le temps qu'on lui en donne, au monde, si cette liberté et cette parole étaient utiles à quelque chose, cela l'aurait amélioré, le monde, nous n'en serions pas à ce degré de nullité ! Ce monde n'a besoin que d'une juste réprimande, il a besoin qu'on le « corrige », qu'on lui étale sa médiocrité, là sous le nez du lecteur qu'on fustige, parce qu'il mérite d'être heurté et blessé, il le mérite à la fois durement et généreusement pour ce qu'il est devenu et pour ce qu'il peut être, ce qu'aucun de tant de ces racoleurs représentants n'est disposé à faire, eux qui réclament d'abord d'être placés en « tête de fil » c'est-à-dire, leur ambition étant de plaire, de rester aimablement complaisants avec beaucoup de « followers », et de se faire comprendre et apprécier d'imbéciles absurdes qu'ils représentent et auxquels, dès le début ou par corruption, ils s'assimilent inévitablement.
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