Contemporain en polémique
Ce qui est le plus profondément caractéristique du Contemporain-en-polémique, ce n'est pas, contrairement à ce que beaucoup remarquent, qu'il se sente légitime à parler de ce qu'il ne connaît pas – on ne l'a jamais vu faire un effort, comment en ferait-il pour se renseigner ? –, ni qu'il signale sa fermeture d'esprit en « bloquant » en masse ceux qui lui opposent – les réseaux sociaux ne sont pour lui en tant que langage qu'amusement et défoulement, pourquoi tolèrerait-il le sérieux ? – (il faut se méfier de ce qu'on critique avec une verve qui satisfait tout le monde, que chacun plébiscite, et qui ne corrige personne : cela signale toujours une fausseté) ; mais ce qui correspond le mieux à son être intime, c'est qu'il soit désireux, pour traiter un débat, de le réduire à sa mesure et à sa taille, à sa petitesse, à son simplisme, à force de réductions, au lieu d'exprimer sur des sujets évidemment vastes et complexes au moins un doute raisonnable. Il tient un tout petit nombre d'idées faites et morales, et il s'y cramponne, s'efforce d'y revenir quand la discussion en dévie pour ne pas se voir dépassé, et s'exaspère qu'on y échappe. Croit-il ainsi trahir sa méconnaissance universelle en indiquant qu'ici aussi, sur des thèmes graves, il n'en sait pas plus ? Ce défaut se rencontre également chez des gens renseignés et qui consentent à certains affrontements, par exemple sur Facebook : toute controverse devient un manichéisme où il s'agit non de réfléchir plus loin mais de chasser son opposant avec une contrariété mêlée de hargne, et c'est au point que si j'interroge, on me reproche de feindre la naïveté, comme si ma question était oratoire et qu'il était impossible de déclarer sa méconnaissance et de réclamer des renseignements. En somme, chacun se résume, s'exagère et se ridiculise, s'excite au plus fermé, se fonde sur des réputations et des expéditions de jugements de valeur – et ainsi le pro-israélien est-il sûr que son opposant est un antisémite anti-Juif et le Hamas un terrorisme, quand le pro-palestinien n'est pas moins certain que son opposant est un antisémite anti-Musulman et la colonisation un terrorisme. Même la plupart des connaisseurs s'en tiennent à cela, ce qui est véritablement une misère mentale et une pitié humaine.
Alors on affiche son soutien et son exaspération, notamment de façon ostentatoire avec des signaux, en clamant qu'on refuse telle polémique, qu'au nom de la cause qu'on défend on ne permet pas le dialogue ou la confrontation, qu'on exige premièrement de n'avoir plus aucun rapport avec un contradicteur définitivement proscrit et maudit ; et pourquoi ? parce qu'en effet, on devine qu'on se préparerait autrement à rencontrer le même que soi, opiniâtrement limité à des « convictions » ou à des « principes », et il y a bien de l'humiliation et de la frustration à se savoir contrecarré par son propre système. Il suffirait pourtant de supprimer les commentaires offensants puisqu'on est toujours maître de son « mur », mais parce que ces assauts ont quelque chose d'usant, usant justement parce qu'ils impliquent des contradictions vérifiables de la même nature que ceux qu'on produit, on préfère les évacuer d'autorité sans examen en les établissant pour fonds de ses « personnalité » et « humanité » ; on écrit alors, en exergue de son « compte » ou de sa « page », que c'est « par honneur » qu'on interdit de débattre de cela, le prétexte étant l'étalage d'une « valeur », fût-ce le droit à la légèreté et au divertissement ; et une nouvelle fois, pour appuyer ce message, on restreint sa position à peu de thèses axiologiques qui se résument généralement à l'allégation selon laquelle on « ne discute pas avec le mal ».
Tout ceci est intrinsèquement et infiniment médiocre, c'est cependant ce qui guide la mentalité du Contemporain pour tout problème : en particulier, l'association symbolique, c'est-à-dire l'amalgame (qu'il soit juste ou infondé), passionne et échauffe un registre rationnel en conférant une touche « impliquée » à une allocution ; c'est toujours environ : « Je suis [le sujet en question] » ergo : « N'y touchez pas ou vous me portez atteinte. » Or, le Contemporain, qui est sans doute l'être le moins propre aux abstractions, qui est incompétent intellectuellement à l'allégorie, qui ne se cache même pas d'ignorer pour cela superbement la poésie et la littérature, affecte soudain de penser en métaphores ampoulées et en paraboles qui ne s'appliquent à rien hormis à le conforter en pathos dénués d'argument auquel elles se substituent, attribuant à tout débat une allure de mauvais dicton et de rêve sans surprise ; ainsi renverra-t-on assurément, les prochains jours, l'école au devoir de rester un « sanctuaire » et les députés à celui de s'inscrire dans une « union nationale ». Tout ceci ne veut rien dire, c'est un simulacre de figures tenté par des imbéciles qu'en approuvent d'autres semblables, et nos experts-de-plateaux ne savent que ressortir les lapalissades populaires en mots moins mal choisis : on désespère à la fin de réussir à trouver, sur n'importe quel sujet d'une certaine importance comme la température à laquelle laver son linge, un véritable spécialiste signalant son savoir par des expositions un peu difficiles, et qui ne se contente pas d'aligner des proverbes et des postures pour la confirmation de ceux qui, comme lui, n'en savent davantage mais qui ont plaisir à sentir que pareillement ils auraient pu passer à la télévision.
On n'a donc rien remarqué d'essentiel au Contemporain, on ne l'a pas édifié de son vice et de sa mesquinerie, et pour quelle raison ? Parce que celui qui se charge de le critiquer est un Contemporain comme les autres, aspirant à se faire apprécier et ne tenant à conspuer que les « méchants » faciles auxquels nul ne s'identifie : c'est un homme qui se garde de se mépriser ainsi que ses lecteurs, et c'est pourquoi, sur les réseaux, on le lit et il (se) plaît.
Post-scriptum (pour extrapoler ma propre charge) : Serais-je affecté par quelqu'un qui critiquerait la position de qui, comme moi, prendrait cette « hauteur », signifiant qu'il m'aurait circonscrit ? Possible ; néanmoins, outre que cela atteindrait peu de monde, je crois plutôt que, si c'était de bonne foi, de ce degré supplémentaire et supérieur de psychopathologie, je serais mieux que contrarié : largement admiratif.
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