Confusion de l'acteur et du rôle
Si le Contemporain savait combien le métier d'acteur est stupide, s'accordant ainsi à ce que tous les professionnels en savent – l'acteur est quelqu'un qui n'a pas besoin de mémoire (à la différence du comédien de théâtre), qui peut se tromper presque autant qu'il veut, qui n'a pas à disposer de personnalité, et qui se contente de servir la volonté du réalisateur, requérant moins de compétence qu'un médiocre artisan –, il ne ferait pas des acteurs de pareilles idoles, mais, au contraire, les situerait aussi bas dans son estime qu'il les jugerait pour ce qu'ils valent. Un acteur, par tranches de deux minutes maximum, doit dire et faire ce qu'il n'a pas choisi avant de retourner attendre sur sa chaise attribuée : en principe, son patron lui laisse peu de latitudes, au même titre que le peintre ne permet guère à sa couleur de prendre beaucoup d'initiatives.
Seulement, le Contemporain est resté au stade juvénile où il confond l'acteur et le rôle : il lui semble que l'homme qui incarne le personnage dispose des valeurs de celui-ci, et il veut l'honorer, probablement parce qu'il ne dispose plus dans la réalité de héros à célébrer. Il reporte sur les membres d'une confrérie assez veule une admiration irrationnelle, et ces personnes qu'il aime ne manquent pas d'être d'abord effarés d'un tel engouement, n'ayant fait que respecter les consignes du réalisateur, s'étonnant de mériter l'adulation qu'on voue plutôt à des individus qui ont de leur génie fait progresser les arts ou les sciences. Si l'on pouvait inspecter la simplicité intérieure des stars qu'on vénère, on serait consterné en général de la stupidité de leurs idées et de la vilenie de leur caractère : ils sont souvent aux antipodes des êtres de fiction qu'on prétend qu'ils représentent, et parce qu'un scénariste insuffle un semblant d'âme à ces enveloppes en général dénuées de profondeur, on se laisse prendre à ce simulacre, on les adule comme des personnalités réelles pour les avoir seulement imitées, brièvement et par intervalles.
Or, cela vient notamment, je crois, de ce que le Contemporain ressent lui-même le désir ardent d'être admiré, manquant de grandeur pour y prétendre ; il trouve donc des substituts à la vertu, se rue sur ses succès immotivés, et s'imagine qu'un peu d'obéissance et de providence suppléent au travail ; ainsi, par transfert, adorant l'acteur, il se croit la dignité du couronnement – le « fan » au cinéma est toujours un rêveur mièvre qui se suppose un héroïsme sans actes. Par ce moyen, on se rassure d'être défaillant comme on est, tout en se disposant aux honneurs des foules : le temps d'un jeusuffit, soi-disant, à acquérir la gloire comme au sport, et voilà comme des hommes insipides, inoffensifs et d'un caprice réputé, qui ne font que s'amuser toute l'année sans une parole d'intelligence, deviennent les dieux d'une époque, mais c'est une époque piètre que celle où sont devenus nécessaires, faute de mieux et par fatalité, des ersatz et affectations de supériorité.
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