Condition d'une révolte qui aboutit - addendum

On me rétorquera qu'il n'est pas nécessaire de se battre physiquement pour faire et peut-être gagner une révolution, qu'il suffit pour cela de vouloir se sacrifier pour elle : on gage qu'un policier ou je ne sais quelle force du pouvoir consentira à nous tuer, et que ce sera un triomphe de mourir ainsi pour une juste cause.

Admettons.

Mais ce « révolutionnaire-là » ne veut pas vivre dans un monde meilleur : il veut surtout ne pas vivre dans celui-ci. Le suicide n'est jamais un principe révolutionnaire : celui qui aspire à la révolution veut connaître le monde auquel il prétend, non se contenter de devenir martyr. Il consent à affronter le pouvoir, et il accepte le risque de mourir pour la révolution, mais le péril procèdera d'un combat : on le tuera peut-être, mais sa révolution sera une résistance hardie.

Alors je demande : quel homme sain d'esprit, logique, cohérent, encourra ce risque sans une arme ? Un Chrétien, peut-être ? Mais un Chrétien – ou n'importe quel religieux ou mystique – n'a que faire du monde, ayant la certitude par sa mort d'en gagner un autre qui vaut infiniment mieux. Sa révolution, à lui, n'est jamais sérieuse : il n'a rien à perdre. Il sera content s'il obtient sur Terre ce qu'il désire ; s'il ne l'obtient pas, il s'en remettra à son dieu, et il sera content d'être reconnu de lui au Ciel. C'est pourquoi son engagement est toujours médiocre : la satisfaction l'attend aux deux extrémités.

Quelqu'un veut mourir : pourquoi imputer cette volonté au nom de la révolution ? Un homme révolté ne veut pas mourir, il s'y résoudra seulement s'il le faut, mais son ambition est de faire naître une société, ambition inflexible. Or, quelle espèce de résignation molle, pleutre, maladive, pusillanime et absurde, peut accompagner celui qui daigne aller à la mort devant des hommes armés sans se donner les moyens de répondre ? Pas un révolutionnaire, en tous cas. Prendre un risque, ce n'est pas forcer le péril.

Un révolutionnaire n'est pas un fou ou un imbécile ou un symbole ; il se dit bravement : « Je vais peut-être mourir, mais je ne sache pas que ce sera obligé, parce qu'une société comme je la souhaite est composée d'hommes, par conséquent il faudra bien qu'il en reste ; or, pour m'assurer un peu la réussite, je tâcherai au moins d'équilibrer le rapport de force. » Il prépare sa victoire au lieu de ne songer qu'à sa défaite que rend nécessaire la passivité. D'où, si l'ennemi est armé, la pensée des armes.

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