Ce que révèle le Covid long

Dans la majorité des cas, quand on présente un enfant à un orthophoniste et que celui-ci lui applique des tests simples de rédaction, le spécialiste, peu conscient du niveau moyen des élèves en français, lui attribuera une dysorthographie plus ou moins importante. Il considérera qu'une certaine pathologie explique la plupart des fautes constatées chez l'enfant, et ce dernier en sortira en partie excusé sous un motif médical : ce n'est plus entièrement de sa responsabilité s'il peine à se concentrer et s'il fatigue lorsqu'il doit écrire ; le prétexte d'une maladie couvre sa « difficulté », ce qui paraît d'autant moins contestable que l'atteinte est répandue. On finira par trouver qu'à cette maladie correspond un spectre de symptômes très étendu et difficilement cohérent, cependant on n'imputera nul marqueur précis pour identifier biologiquement l'origine d'une pathologie.

***

On sait si l'on me lit, depuis le temps que j'écris sur le sujet (j'en profite pour annoncer la parution d'un cinquième volume de Psychopathologie du Contemporain vers janvier 2024), ce qui est pour moi propre à caractériser en général la personne vivant dans une société comme la nôtre. Je ne veux pas résumer ici ce qui nécessiterait, comme je l'ai fait ailleurs, d'abondantes démonstrations que des synthèses semblent réduire en caricatures, mais j'aimerais enfin qu'on considérât bien honnêtement que pour l'état de déficience dont j'ai dépeint cette humanité, pas un mot ne procède du pessimisme, et que je ne lui ai jamais attribué de vices exagérés, ni par exemple la cruauté dure, ni la stupidité outrée. Je me suis toujours servi des exemples les plus prochains, les plus expérimentables et réfutables du lecteur, afin qu'il puisse vérifier lui-même que je ne mens point ni que je ne travestis des faits et ce portrait d'ensemble ; c'est par cette méthode – un retour régulier aux phénomènes communs et connus – qu'un scientifique sans prévention peut susciter logiquement et dignement des suffrages, et, sans l'appui de son autorité seule et de sa bonne créance, atteindre à quelque vérité. Or, c'est parce que je me suis établi progressivement comme psychopathologue du Contemporain, et parce que j'ai rencontré peu à peu la motivation de circonscrire une mentalité avec une méthode applicable et transposable, que je suis venu à m'attacher à définir cet égrégore et son paradigme, les ressorts et motivations intrinsèques de la personne contemporaine. Je veux ici signifier notamment que sans la volonté de comprendre un problème à la manière du spécialiste clinique, la nature même de ce problème m'eût sans doute échappé comme aux autres, et chacune de ses manifestations m'eût paru plutôt l'expression d'un trouble singulier de telle ou telle personne de mon petit environnement qu'un facteur déductible à l'ensemble de la société, car c'est l'esprit scientifique qui induit en large part le sentiment de devoir extrapoler. En somme, faute de m'admettre la démarche scientifique, j'eusse sans doute seulement critiqué mon entourage en une multitude de cas distincts, et, quand un dysfonctionnement m'eût apparu, je me fusse contenté d'infliger à un être la caractéristique et le blâme, en rapport surtout à mon sentiment de préjudice ou d'exaspération. Pour le dire autrement, il ne tient qu'au statut de spécialiste, du moins à l'estime et à la confiance qu'un homme s'attribue pour assimiler et généraliser, de ne pas admettre des cas qu'on lui présente comme isolés ni de les rapporter à son unique humeur, mais, comme sous l'appellation de sa discipline, il se sait tenu de prendre du recul, à la fois il considère les symptômes pour objets, non pour contrariétés, et, les attachant à une maladie d'un ordre commun, il établit un diagnostic de portée plus vaste et objective.

Aucun scientifique, que je sache, n'avait jamais beaucoup porté son attention sur la nette dégradation de la pensée normale. La psychopathologie du Contemporain n'est représentée par personne, sauf moi ainsi que quelques sociologues spécialisés et plus ou moins orientés : c'est pourquoi on n'a guère prêté à cette mesure de la déchéance des attributs plus que personnels et relatifs, on n'a pas estimé que c'était là un utile et même nécessaire domaine des constatations, et l'on a estimé, compte tenu de l'inédit de cette discipline, que nécessairement ses observations et conclusions impliquaient une partialité dédaignable et une originalité iconoclaste, notamment parce que les inférences de ces expériences tendaient à être péjoratives ou dévalorisantes ; on a donc préféré supposer qu'il s'y trouvait foncièrement un biais anti-scientifique, une subjectivité inhérente, voire un pur complotisme de médisant. C'est pourquoi souvent on n'a pu s'empêcher de me taxer de misanthrope, et l'on ne s'est guère retenu d'arguer que ce qu'on range sous la dénomination de « science humaine » ne comporte presque rien des méthodes d'une neutralité distanciée et de faits généralisables. Et c'est toujours, en définitive, parce que cette science n'est pas reconnue, parce qu'elle n'existe pas encore tout à fait bien et parce qu'elle n'a pas encore porté de fruits assez incontestables, qu'on la discrédite pour impossible et vaine, et même pour nuisible et déraisonnable. On se trouve en gros dans le cas d'un homme qui croit s'apercevoir que les « objets tombent », qui devine qu'un tel phénomène est d'une certaine récurrence en sorte que des lois y sont probablement déductibles, et à qui l'on répond, puisque dans l'eau ou dans l'espace les objets ne tombent pas ainsi, que la physique évidemment n'est pas une science. J'admets bien volontiers que la psychopathologie du Contemporain n'est pas encore une science complète, mais si l'on s'était premièrement attaché à relever avec sérieux combien par exemple Nietzsche, Debord, Muray et War l'ont investie de données correspondantes, on y aurait repéré des convergences susceptibles d'aboutir au constat que ces auteurs ont constitué, quoi que de façon séparée, une discipline assimilable dont le discours, bâti proprement comme un logos, à la fois explique et prévoit. C'est ainsi que faute de reconnaître à mon jugement circonstancié sur le Contemporain une valeur scientifique, on s'est abstenu de porter un regard reculé sur les modalités de sa pensée et sur ses comportements. Notamment, on a nié qu'il pût s'établir une vérité en-dehors des protocoles dispendieux et inutiles préconisés par les sciences antérieures, alors même que ces protocoles sont partiellement dénoncés et réfutés par la Psychopathologie du Contemporain comme outils de propagande et de fausseté : c'est notamment grâce à eux, qui se contredisent régulièrement, que chacun finit par savoir ce que personne ne constate, et que nul n'ose connaître ce que tout le monde éprouve. Ainsi, comme on n'a point fabriqué la documentation démontrant que les objets tombent, personne n'est moindrement convaincu que la gravitation existe ou peut exister, et tout le monde feint de voir que les objets ne tombent pas.

Voici où je veux en venir : il est arrivé assez récemment qu'on a obligé des médecins à réaliser une certaine évaluation de la psychologie générale dans notre société, celle à laquelle je me livre depuis longtemps. Si les tests d'intelligence y avaient jusqu'alors semblé inadaptés, selon des prétextes divers – notamment, on ne voulait pas conclure que le Contemporain était plus sot, mais plutôt, par exemple, que le fonctionnement de son esprit s'était adapté aux formes de contraintes nouvelles issues de son environnement technologique, de sorte qu'on estimait qu'il avait probablement compensé sur bien des aspects ce qu'il avait manifestement perdu de facultés –, un jour, il est advenu que l'homme s'est senti lui-même amoindri et qu'il pouvait en reporter la cause sur un facteur extérieur, une excuse en vérité pour lui très opportune.

Cette excuse de son insuffisance, il l'appela : « Covid long » ; il s'agissait d'étendre une maladie virale à un ensemble de symptômes de ses déficiences morales.

Et c'est seulement là que des scientifiques ont mesuré, en l'absence d'identification de cause pathologique comme par exemple un marqueur infectieux, l'ensemble de ces symptômes mentaux et comportementaux indissociable à la mentalité du Contemporain (plus de deux cents à l'heure actuelle, regroupant absolument tous signes typiques du mauvais entretien de l'homme moderne, à savoir : fatigue, céphalées, essoufflement, anxiété, diabète, problèmes de thyroïde, dépression...), symptômes que j'avais déjà longuement mentionnés et expliqués, et ils se sont aperçus que le « Covid long » se signale principalement à deux caractéristiques : une baisse de la volonté (fatigabilité, lassitude, manque d'investissement...) et ce qu'on appelle un brouillard mental (manque de mémoire, d'attention, d'éveil général...). Non seulement cela, mais ils ont découvert que la plupart des patients qui venaient les consulter se plaignant de ces symptômes souffraient en effet d'un « esprit faible » et d'une sorte de « fragilité mentale ». Non qu'ils aient pu établir un déclin de la cognition car ils étaient dans l'incapacité d'effectuer des comparaisons avec un état antérieur mais, en effet, ils se sont aperçus que les gens étaient médiocres et veules, et en quantité considérable. Et ces études ont bel et bien dû se faire suivant un échantillon vaste puisqu'on dénombre aujourd'hui 700 000 Français atteints de ce qu'on présume un Covid long. On peut supposer, par conséquent, que sur peut-être un million de consultations (j'aventure un nombre), les médecins ont effectivement constaté une défaillance psychologique dans presque tous les cas.

Or, ne voit-on pas ce que cela signifie ? Et ne trouve-t-on pas, en consultant ces résultats, que j'avais déjàentrepris la définition du « Covid long » avant même qu'il existe c'est-à-dire avant que le Covid-19 ne se déclare officiellement chez nous ? Or, comment l'esprit scientifique réagira-t-il face à ce constat irréfragable ? Sans doute, il voudra prétendre que le Covid existait chez nous avant son appellation légale, ou même que le « Covid long » existait avant le Covid normal et en était peut-être un signe précurseur, tant d'excuses qui serviront à valider la thèse de l'existence d'une vraie maladie, quoique d'une maladie sans repère génétique ni indicateur sanguin – même les symptômes tangibles différant des statistiques de population générale sont rares en Covid long : la Haute Autorité de Santé évoque l'agueusie (perte de goût) et l'anosmie (perte d'odorat) en une proportion sise entre 5 et 25% des cas de Covid long, et rien que cette amplitude déraisonnable semble signifier combien les études ne s'accordent pas même sur cette observation – et d'ailleurs, ce symptôme ne saurait justifier le déclin intellectuel constaté. Quant à moi, je dirais seulement ceci : parce qu'une science reconnue s'est penchée sur l'établissement de la faiblesse intellectuelle et comportementale du Contemporain, la voici qui confirme enfin toutes les observations qu'un individu avisé avaient faites mais sous l'appellation de « science humaine » qui n'est pas, ainsi que chacun croit le savoir, un domaine « digne de confiance ». Les failles du Contemporain que ces médecins ont détectées et constatées avec « objectivité », je les avais examinées et déterminées avant eux, oui mais j'étais « diablement malintentionné » et je « généralisais à l'excès » ; heureusement, ils disent à présent la même chose, mais, eux, avec un bon et louable « esprit de science » !

Un autre indice que ce « Covid long » est sans rapport avec une maladie mais avec une mentalité et des mœurs, c'est que, lorsque des patients se sont plaints de ses symptômes, des médecins, après avoir avéré leur existence, ont effectué des tests immunitaires et... dans bien des cas ils ont trouvé, interloqués, que ces patients n'avaient jamais contracté le Covid !

***

La médiocrité contemporaine ne s'excuse donc pas par un virus : et c'est bien dommage, car elle serait facile à éradiquer. Qu'a-t-on fait quand on admit que le Contemporain manquait d'énergie et de décision ? On convertit en maladie ce qu'aucune autre science que la médecine n'était jugée assez fiable pour mesurer. Or, ce n'est pas en général sa mauvaise santé physique qui explique sa mauvaise santé mentale, c'est le contraire : sa désorganisation intellectuelle et son manque de volonté expliquent la plupart des désordres corporels quotidiens qu'il rencontre, ce qu'on savait depuis un siècle. Son défaut d'initiative et ses penchants nonchalants constituent un principe causal, et non la conséquence pathologique d'une variété de collapsus. C'est parce que l'on utilise désormais peu les ressources de l'esprit qu'on devient indolent et confus, mais on ne perd pas tout soudain sa capacité à réfléchir et à décider du fait d'une fatigue d'origine pathologique, ou il faudrait considérer que la plupart des adolescents sont malades : l'asthénie chez nous procède plus de la paresse que l'inverse ; c'est parce qu'on s'habitue à végéter qu'on devient peu efficace. Et jusqu'à présent, le Contemporain, pour ne pas se sentir coupable de ce qu'il est, prétextait des facteurs incapacitants environnementaux – un événement particulier ou un travail difficile –, et le médecin compréhensif lui prescrivait anxiolytiques et antidépresseurs. Mais avec l'allègement patent des conditions de travail et le peu de traumatismes réels que le manque d'existence du Contemporain peut engendrer, il fallut trouver une autre cause pour ne pas se déprécier d'être si désinvolte et inapte à penser ; on sauta sur l'occasion : « Covid long, ce n'est pas ma faute. »

Demain, je le prédis, ma Psychopathologie du Contemporain continuera d'avoir raison, cependant la Science auguste et vénérable arguera : « Oui, vous aviez encore raison, mais vous aviez raison pour de mauvaises raisons ! Car ce n'est pas pour des raisons psychologiques que l'homme se dégrade, c'est pour des raisons scientifiques ! » Pauvres entêtés qui, ne pouvant se résoudre à admettre que l'homme s'effondre sous l'influence principale du Confort, ne cessent de nier que la Psychopathologie du Contemporain est une science, préférant ainsi demeurer les perpétuels orthophonistes de la faute-d'orthographe-d'origine-médicale !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top

Tags: #discussions