Résoudre tous les problèmes du coeur

Les efforts prolongés qu'on fait pour exceller résolvent automatiquement les problèmes du cœur. Foncièrement, il n'est qu'un chagrin d'amour, c'est de ne pas accéder à la personne qu'on aime ; on se morfond tant qu'on soupçonne qu'il en va de sa faute. Mais qui a appliqué sa vigilance à se rendre meilleur et a œuvré de telle sorte qu'il se tient en estime et ne sent pas par où il aurait pu réussir davantage, celui-ci se débarrasse du même coup de toute sensation de culpabilité liée à l'appréhension de son insuffisance. Il aime, un autre ne l'aime pas : comment, s'il s'est forgé dans la direction qu'il admire, l'autre peut-il mépriser cet alliage qu'il est devenu, et comment pourrait-il continuer d'admirer l'autre qui méprise ce métal qu'il aime tant et qu'il est devenu ? C'est qu'il existe une faille dans la faculté d'estimation de cet autre : alors pourquoi l'aimer encore si défaillant ? on n'a garde de se faire apprécier de qui se signale par de mauvais jugements. Ce n'est pas orgueil : s'il reste à apprendre pour se faire aimer l'amant n'y répugnera pas, il travaillera pour atteindre le point où se situe l'autre, mais s'il voit que son apprentissage ne s'accompagne d'aucune revalorisation de sa personne, il blâmera l'aimé pour son manque de discernement, et il ne l'aimera plus.

Ou encore, s'il devine ne pas pouvoir parvenir si haut, il s'abstiendra de retenir l'aimé « à son étage », et il contentera son appétit à des mets moins élevés, ou se résoudra, pour le bien de qui il admire, à ne point l'abaisser par sa présence, car c'est un principe de sagesse de ne pas aspirer à ce qui est manifestement inaccessible – en dépit de toutes mes amitiés pour tels auteurs d'un autre siècle, je ne désire pas véritablement leur parler ou leur serrer la main outre-tombe, pas plus que je n'importune les artistes présents que j'admire en leur réclamant des autographes.

Il est vrai qu'on distingue, dans la sorte d'esprit perfectionné dont je parle, une façon de justifier l'amour qui ne veut rien devoir au hasard ou à la « magie » : cette intelligence réclame de savoir pourquoi elle aime, et exige des gages qu'elle ne fait pas erreur, qu'elle ne surestime point ; elle examine et mesure. C'est assez opposé, je sais, à la morale commune selon laquelle l'amour ne doit nullement s'expliquer ; oui, mais les tout premiers progrès de l'esprit sont de comprendre qu'il y a pour toute évaluation des critères, pour toute sentence des justifications, et de ne pas s'en défendre, en sorte que ma leçon vaut pour ceux qui ont commencé d'avoir de l'esprit et confirme que je ne consens pas à adresser mes pensées – encore moins mes amours – à des animaux.

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