Motiver l'agir sans la destruction pure
M'est avis que l'un des enjeux politiques majeurs de l'avenir des civilisations se situe dans la capacité à trouver le moyen de susciter l'engouement puissant de grandes quantités de citoyens sans recourir à leur volonté instinctive et féroce de destruction. Si les dictateurs parvinrent à mobiliser le peuple avec efficacité, ce fut toujours, comme le concéda Hitler en l'établissant comme doctrine dans Mein Kampf, par la désignation d'un ennemi commun, qu'il soit intérieur – le Juif –, extérieur – la France – ou bien les deux – le marxisme, ainsi que par l'incitation sans relâche à supprimer l'ennemi désigné, suppression entendue comme pratique et concrète, et pas du tout métaphorique ou virtuelle. C'est, de l'aveu même des fondateurs des mouvements historiques, ce qui est le plus propre à fédérer et à mobiliser des partisans : l'idée seule, croyance en des vertus suprêmes et conception d'un objectif éloigné, est insuffisante, il y faut des étapes tangibles, des échelons clairs et atteignables pour indiquer les jalons effectifs d'un succès. L'adhérent exige généralement de percevoir des critères de réussite pour s'encourager de l'avancée d'un mouvement, ce qui le motive dans sa lutte est une succession de victoires notables comme à la guerre les soldats se dégoûtent s'il n'y a pas de percées pour justifier leurs efforts, et seuls des esprits symbolistes et théoriques se satisfont de paroles. Mais on rencontre dans tout parti une mentalité d'iconoclastes, des forces qui ne sauraient s'en tenir à la paralysie et à la latence, des puissances particulières qu'il faut entretenir dans le goût et l'effort de réalisations concrètes et bien nettes plutôt que dans l'attente parlementaire d'un progrès ; c'est même ce qui excite à l'aventure, comme une destinée en marche dont on accompagne la providence heureuse : on croit alors suivre un mouvement favorisé par le sort, et même le détracteur, quand il se sent opposé à cette tendance du siècle, préfère souvent rallier l'idée sensible d'une irrésistible évolution.
Or, jusqu'à présent, rien n'est d'une nature plus galvanisante à provoquer l'activité du partisan que l'assaut physique et la violence triomphante : chaque adversaire vaincu, manifestement abattu, crée l'encourageant précédent du triomphe dont la somme figure ce destin, chaque anéantissement soulève l'émoi dans la satisfaction d'un avenir en cours d'établissement, l'entretien de la motivation se situe dans la réitération régulière de brutalités efficaces propres à instaurer la Vision : le dieu du carnage est une créature bien présente en l'homme, ravive sa ferveur, échauffe sa vitalité, renouvèle sa vigueur et l'empêche de succomber à l'affadissement des pensées et au sentiment triste de vanité que lui transmet l'impression de l'inutilité ou de l'absence des actes. Qu'on juge consternant le mot qui suit, il n'en est pas moins humainement vrai dans l'état actuel de notre humaine condition : un parti a toujours plus besoin de combattants que d'esprits, et l'épée sert mieux la cause que la plume. Une réflexion, même juste, est vaine si elle ne s'impose pas au monde sous la forme d'action, et pour qu'elle s'installe et se répande, c'est concrètement qu'elle nécessite insistance et prises de guerre, car une pensée s'oppose toujours à une autre, et, même s'il y a de la misère à le constater, il n'existe pas d'idée qui l'emporte par sa seule vérité lumineuse dénuée de propagande et de sa geste. Un idéal, en notre si prosaïque époque, a besoin d'entrer dans l'arène politique, et il lui faut pour cela des soutiens qu'elle ne peut acquérir que par un caractère de pugnace vivacité, voire de combativité et d'agressivité assumée : c'est toujours comme si le goût des premiers sangs multipliaient l'intention d'en découdre à fond. On n'a pas éprouvé une volonté dure tant qu'on ne s'est pas senti un devoir d'extermination : cette explosion, ce surgissement du définitif et de l'irréparable en soi, est le signe caractéristique du fanatisme, et je crois qu'il n'y eut jamais de révolution bonne ou mauvaise sans une pareille radicalité entraînante, sans la sensation viscérale qu'un compagnon, qu'un camarade, qu'un allié, accepte de donner sa chair et sa liberté comme soi pour une cause qu'on partage, qu'on défend et assume avec d'autant plus d'âpreté que cette pièce sent le crime, le feu et la mort, et qu'il est trop tard pour reculer et se dédire – bien des foules uniquement se sont laissées subjuguées par cette fusion instinctive décuplant les désirs et les actes (on salua d'un geste furieux des despotes par cette moiteur fauve, et par elle on tondit sans ciller le crâne de femmes). Dans toute altération foncière d'une société, il y eut du coup d'État ; dans toute action en faveur d'un parti se conçoit l'esprit impitoyable d'un putsch ; le parlementarisme lentement délibératif est en cela le régime de la pensée qu'on ne se sent pas l'envie d'appliquer : la certitude aspire à briser vite les idoles.
Il ne se peut, en effet, qu'une conviction profonde, qu'un goût puissant de vérité et de progrès, tolère la conviction opposée qui lui devient mensonge et nuisance : l'ardeur ressentie à exposer un avis est exactement proportionnelle non seulement à la certitude que le détracteur a tort, mais aussi à l'opportunité qu'on se trouve de l'établir largement en sa société. Autrement dit, quand on est froid à défendre une cause, quand on y est indécis ou mou, c'est qu'on n'est absolument pas persuadé de son importance : nul n'est plus « philosophe » sur n'importe quelle question que celui qui s'en fiche, qui disserte doctement pour la pavane, qui théorise sans rapport au monde. Moi-même, ce n'est pas sans chaleur ni passion que j'attaque la mentalité contemporaine, celle qu'en un mot j'ai résumé par cette expression de « vacances de l'esprit », pourtant je n'ai peut-être pas assez le souhait d'en finir avec elle sur un plan politique pour déclarer et organiser la destruction des perpétuels imbéciles et divertis, en quoi mon « combat », à moi, en restera à une idée de mépris assez peu offensif à l'usage seulement de qui auront fait l'effort d'atteindre et d'approuver mes textes. Ma vision d'idéal ne s'accompagne d'aucun programme échelonné, d'aucune organisation ; ma force de conviction est en quelque sorte trop désillusionnée pour fixer des objectifs par paliers ; je ne crois pas assez en la possibilité d'une altération de l'homme pour déterminer un plan de bataille où chaque coup serait à ordonner dans le cadre d'une guerre plus que symbolique ; en somme, je manque de politique, ne faisant que prôner l'exemple et le sentiment intérieur, la raison également, ce qui n'a jamais beaucoup servi à convertir des masses. Mon idéal ne s'incarne pas en un parti organisé ; j'ai évidemment l'air volatil, intangible ; ma seule vision, sans un appel du moindre glaive, est inapte à motiver. Mon conseil de mépriser le Contemporain abruti ne s'impose pas comme un commandement : en ce sens, je n'ai aucune chance de triomphe en tant qu'entité politique, en tant qu'influence sur une multitude ; mais si j'admettais au contraire la nécessité de la violence comme moyen de salut, l'action pratique et systématique contre l'adversaire, j'obtiendrais peut-être des suffrages, j'aurais une possibilité de susciter des émules, je pourrais parvenir à fédérer un parti autour d'actions destructrices qui motiveraient des foules par des aperçus de victoires donc par la conception, extrapolée à partir du réel, d'une possible victoire totale – or, ma pensée est une vision qui ne gagne pas et ne s'en donne pas même les moyens pratiques, et, si par hasard ou par force de conviction elle emporte des victoire, nul ne le verra, ce ne sera flagrant en aucun feu et en aucune perte.
Cet abandon d'envie d'en découdre, ce n'est pas même chez moi quelque entretien volontaire de solitude, ce n'est pas l'expression dédaigneuse d'un snobisme, c'est juste la négligence consciente, et paresseuse peut-être, de recourir à autrui, un immense à-quoi-bon dont l'au-delà espéré se situe exclusivement dans le rêve : mon désir d'une humanité d'excellence ne se définit pas comme projet ; c'est au mieux une coterie d'affinités ; c'est au moindre le spectre d'une idée ; c'est au plus proche une espèce de franc-maçonnerie spirituelle. Dans toute fédération, le leader utilise ses partisans et n'a cure de les considérer avec condescendance ou mépris c'est-à-dire qu'il n'ignore pas qu'il en fait des outils au service d'une cause commune, il les considère en bras et en mains qui le servent en détruisant l'adversaire, et s'il l'accepte c'est parce que sa cause n'est pas incompatible avec cet usage des foules ; mais où mon dessein serait de rendre les peuples élevés et instruits, d'une suprême dignité plutôt que d'un puissant feu revendicateur, plutôt qu'une démesure, qu'une violence excessive, je ne saurais me résoudre à les inciter à des débauches de passion que mon idéologie réprouve, et je serais dégoûté de telles alliances – or, je le sais, il est d'une utilité indispensable que les démonstrations submergent comme une lame l'opinion publique et la propulse dans l'inertie vive de puissants rebonds d'agir. Or, je ne veux pas tuer la bêtise, je veux qu'elle se soumette par sa propre honte, qu'elle propose d'elle-même la résurrection de sa native grandeur humaine ; l'idiotie du divertissement ne se fusille pas, et il n'est pas question pour moi de poser le canon d'une arme sur les QI à tant, mais j'ai toujours voulu que l'admiration, aidée du mépris par les meilleurs, guide les esprits vers l'humaine responsabilité et qu'une unanimité d'homogène discernement constitue la boussole intérieure de chacun. Mais forcer à la grandeur serait, précisément, empêcher la grandeur de trouver sa voie personnelle, c'est-à-dire que cela reviendrait à mouler sa croissance dans un carcan décevant de petitesse, comme des milliers de tilleuls superbes et colossaux qu'un tuteur aurait moulés de façon exactement pareille, et qui ne seraient identiquement supérieurs que par le pouvoir d'une même contrainte : le mérite reviendrait au tuteur, non à l'arbre ; or, je veux des arbres forts, et je réprouve l'obligation des carcans qui les enserrent et en font des géants forcés de grandir contre leur volonté, des nains devenus malgré eux des géants. Je veux bien l'exemple comme moyen d'accès à l'élévation, je réfute la coercition qui rapetisse ; mon but particulier est ainsi opposé au moyen général le plus efficace, et qui sert n'importe quel objectif, à savoir l'incitation à exterminer l'opposant.
Si l'on voulait encore, en quelque illusion pacifiste persistante, me contester le principe selon lequel la violence est l'instrument le plus performant d'un parti, qu'on voie comme l'homme continue d'associer, à des valeurs, diverses atteintes : c'est en reliant l'action d'empêchement ou d'annulation à une morale présentée comme nécessaire qu'on rend une agression impérieuse et unanime. Toute doctrine politique aspirant à susciter adhésion et activité consiste à justifier des exactions présentées comme anéantissement urgent d'un plus grand mal : puisque nulle estime-de-soi ne saurait s'estimer assez cruelle pour assumer la mort et la destruction, il faut que la violence ait pour prétexte la défense et le rétablissement d'un bien. Cette dialectique primitive n'a pas évolué avec les siècles : le parti le plus propre à attirer des adhérents vigoureux demeure celui qui présente l'opposant le plus insidieux ou tyrannique – on vérifierait sans difficulté, je pense, que les factions des causes les plus mesurées et patientes, les moins manichéennes, n'ont jamais emporté une large victoire politique ni réalisé une profonde révolution. La seule différence en l'histoire des mouvements politiques procède de la façon dont les meneurs s'emparent de la moralité ambiante, toujours différente, se l'approprient et s'en revêtent comme principaux défenseurs, pour renverser en faveur de leur combat la balance de leur « éthique universelle ». On assume alors d'avoir « très envie d'emmerder », on consent sans peine à discriminer, on accepte fort bien de retirer toutes sortes de libertés à autrui, tant que c'est toujours au nom d'une lutte contre un pseudo-monstre qui profite de votre passivité pour nuire : il faut ainsi être actif pour mettre un terme à un abus de votre faiblesse ou de votre mansuétude, à un abus, justement, de votre « défaut d'agir » ; c'est de là que doit naître et surgir la « réaction », et rien ne mobilise plus les foules que le sentiment de cette nécessité ; on devient quelqu'un alors pas seulement de penser (tout le monde n'en pense pas moins), mais on s'enorgueillit, avec un groupe, d'accomplir : voilà qui gonfle de supériorité en insufflant l'orgueil d'une suprême cohérence (agir désinhibe et décomplexe).
Mais l'enjeu pour l'avenir, si je ne m'abuse, consistera à atteindre le moyen d'une fondation puissante et durable, et plus emprunte de sagesse que de fureur, qui, dans un contexte de « moralité » croissante, se constituerait efficacement à l'exclusion du motif palpitant de la destruction. Quelque plus haute humanité gagnerait à s'élever sur le socle d'une perspective plutôt que sur l'imitation ; on prouverait ainsi sa faculté à concevoir des pensées si exactement qu'elles se présenteraient à l'esprit comme des phénomènes ou même comme des faits, au lieu qu'encore et depuis des siècles elles ont besoin du renfort des réussites partielles pour s'installer enfin comme tangibles et qu'on reproduise leurs succès. C'est même au point que – réciproque à la tendance faisant de la destruction un critère de poursuite – le caractère le plus propice à assurer le triomphe d'une vision n'a presque rien à voir avec la justice qu'elle exprime ni même avec la propreté de sa conception, mais surtout avec le progrès de son mouvement destructeur au sein d'une grande masse de partisans, en quoi le triomphe d'une idée ne dépend presque que de l'organisation concrète d'une somme d'actions, indépendamment de sa vérité ou de sa grandeur. Il suffit d'entendre comme Mein Kampf, s'agissant de la thèse de l'Aryen ou du complot juif, est faible intellectuellement et ne repose sur aucune démonstration scientifique au point d'en être assez évidemment ridicule, et de mesurer combien les talents de commandant de Hitler, indéniables, ont permis, sur un fond si piètre, d'emporter des suffrages et d'enthousiasmer des foules, pour sentir combien la qualité des idées a peu de rapport avec leur succès, combien un quasi hasard, selon qu'une circonstance ou conjoncture présente l'idée comme superficiellement opportune ou adéquate à une situation ressentie, et selon la rapidité et l'éclat, selon la publicité, de ses victoires, et notamment les premières. Or, notre époque est pusillanime, le confort la rend impropre à soutenir des combats, le Contemporain est très peu disposé à rester actif au-delà du premier émoi, il se trouve toutes sortes de raisons de se décourager parmi lesquelles, en prétexte, la cause ne progresse pas assez vite ou lui semble désespérée, et, en profondeur, il aurait plutôt à perdre à maintenir son engagement en lequel il sacrifie de son divertissement. Le temps joue toujours en défaveur du partisan d'à présent ; et même, comme il n'est pas bien certain de sa légitimité parce qu'il vit sous l'influence d'une morale sociale plus forte que ses convictions (il est, pour ainsi dire, convaincu que la société a probablement plus raison que lui, et il éprouve toutes les peines à ne pas s'y ranger), les violences efficaces et utiles en principe à servir et entraîner la cause l'effraient et le font douter, dès qu'elles sont condamnées par un grand nombre – c'est l'histoire, en peu de mots, des manifestations des Gilets jaunes. Les questions morales, pour lesquelles le Contemporain manque de détermination et de préparation, suffisent à l'inquiéter et lui font faire volte-face lorsque sa conviction n'est pas à la hauteur de ce qu'il risque ; or, dans une société de confort et de divertissement, il n'existe pas d'aspiration ou de cause dont le gain, obtenu par quelque destruction, soit supérieur à la situation normale, supérieur notamment à la perspective d'un conflit et d'une culpabilité. L'inconvénient des causes actuelles, c'est non seulement que les moyens médiatiques leur trouvent et publient quantité de contradictions, mais surtout qu'elles ne bénéficient plus d'une conjoncture critique qui puisse étayer nettement le sentiment de profit et d'urgence à les réaliser : on n'est pas sûr tout à coup, et c'est surtout, bien plus que par l'effet d'une argumentation contraire qu'un Contemporain n'entend pas davantage qu'hier, parce qu'on s'aperçoit qu'on a peut-être moins à gagner qu'à perdre, ce qui renverse toute conviction avec plus de résolution et de soudaineté que des démonstrations irréfragables ou que des preuves indéniables. Comme on prend sa position sans réfléchir, n'ayant pas pris le temps d'un seul livre sur la question, on est mal affermi et instable, on manque d'accroche et de fondement, on ne « tient » pas ; rien qu'une tentation de « morale solidaire » vous emporte, mais on vous renverse à la première apparence de science, votre obstination paresseuse ne pouvant au mieux que s'appuyer sur l'absence d'examen : un argument ne signifie plus rien, il n'est plus temps depuis longtemps de discerner la falsification et la vérité, la thèse n'est alors plus qu'une posture de principe, un pauvre établissement d'humeur ou de valorisation personnelle. Et ne disposant plus nulle part d'actions brutales où puiser une frénésie, on erre dans des froids où ne se distingue pas l'intelligence théorique ou philosophique, il ne reste rien d'un tel « avis » qu'on puisse qualifier de militant. Ce devient moins qu'un discours qui, faute d'idée, se change en lapalissades et platitudes, et aussi moins qu'une chaleur qui, faute de remuer et de chauffer les sangs, s'adoucit dans une inactive légèreté de concessions et de relativisme.
C'est pourquoi l'idée seule devra servir aussi bien à la portée qu'à la reconnaissance du coup : je ne vois pas d'autre solution. Elle devra pousser elle-même la destruction, et sa destruction être si évidente au regard des partisans, qu'elle suscitera le plaisir entraînant des conquérants. Il faut que la victoire soit rendue flagrante, écrasante, totale, dans la formulation de l'idée contre qui n'en disposera pas et paraîtra manifestement vaincu. Il faudra qu'on rie du ridicule et de la honte patents de celui que l'idée exterminera, et que se perpétue la sensation du désir sanglant du puissant triomphe, sans que la sensation requière un anéantissement physique qui est facile, qui ne signale aucune supériorité de vérité et de justesse, et qui s'oppose au dessein d'une sélection de grandeur individuelle, comme en ces connivences où plusieurs personnes savent qu'elles ont emporté une victoire contre un autre, comme en ces connivences même où plusieurs personnes, par l'évidence de leur puissance juste sur un autre, parviennent à susciter de la plupart des témoins une impression de supériorité propice à de l'admiration. Si, dans une foule, le critère de vérité, cette lumière, pouvait se diffuser assez nettement jusqu'à ne plus être contesté par ceux qui la rencontrent, alors on pourrait être enthousiasmé par une idée, par un idéal, par les démonstrations graduelles de cette hégémonie, sans qu'il soit besoin d'une destruction matérielle, sans que le feu et le sang soient seuls à stimuler l'action. Mais alors il faudra au préalable une communauté des insignes du triomphe, il faudra que la réjouissance naisse enfin de ressorts pertinents et absolus, comme en un débat on peut distinguer objectivement, avec une acuité de connaissance dialectique, qui l'emporte et qui ne fait qu'insister. C'est cela, l'objectif du meilleur homme : passer par échelons de l'universalisation des indices de la vérité jusqu'à la reconnaissance du vainqueur évident et écrasant ; on doit éduquer le peuple à aspirer à sentir la grandeur, comme les Grecs anciens, à un moment de leur histoire, jubilèrent des coups rhétoriques que portait Socrate à ses adversaires, ce temps supposé où agir, dès lors, revenait à ressembler à Socrate. Mais tant que la parole d'un homme demeurera incapable de susciter, et en commun, l'excitation presque féroce d'une supériorité accomplie, alors on restera loin de soulever l'humanité par des tressaillements de discours et des rêves conditionnels, il y faudra toujours l'adjuvant de la violence brute pour agiter le désir de se fédérer et l'espérance de la concrétisation. Tant que l'admiration d'un esprit, d'un propos, d'une repartie, ne retroussera pas, en un sourire canin, les babines du séide, tant qu'un mot de géant ne lui signifiera pas une puissance et un acte, alors on aura besoin des casseurs, des terroristes et des coups.
Où j'aboutis à cette conclusion : il faut rassembler et élargir le cercle des affamés énormément jubilatoires de la verve juste et de la spirituelle grandeur, de façon que chacun, voyant comme ils sont superbes sans conteste et exemplairement triomphants, désire en faire partie.
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